Musicothérapie, quand la musique nous raccorde au monde
Après un parcours atypique fait de musique, de bois, de thérapie, de formations, de petits métiers divers et variés, Jérôme Chartier a trouvé sa voix et sa voie : musicothérapeute. Depuis plusieurs années maintenant, il intervient auprès des centres de formations en musicothérapie, et prend en charge dans des institutions des patients atteints de troubles du développement, d’autisme, de schizophrénie, de surdité...
Handimarseille : Qu’est-ce que la musicothérapie ?
Jérôme Chartier : La musicothérapie utilise les potentialités de la musique et du sonore comme support du travail thérapeutique. La musicothérapie ce n’est pas apprendre à faire de la musique, mais utiliser les éléments constitutifs de la musique, comme les sons, les silences, les vibrations.
C’est une manière d’entrer en communication avec la personne sans passer par les mots. On regarde comment la personne fait pour se relier et se couper du monde, via le corps, les regards, le souffle. L’objectif du musicothérapeute est de repérer où se trouvent les ruptures de contact avec l’environnement, à des endroits où, probablement dans l’enfance la personne a été blessée, et de restaurer une communication. On cherche à restaurer des canaux de communication. Le musicothérapeute n’est pas là pour faire passer des valeurs ou enseigner, il est là pour entendre et accompagner la souffrance.
H : Depuis quand existe la musicothérapie en France ?
J.C : La musicothérapie existe depuis les années 60 en France, il y a eu de tout : du bon et du n’importe quoi. Il est important de clarifier les pratiques, d’où l’intérêt de la Fédération de musicothérapie qui demande un engagement éthique et une déontologie aux affiliés. Pour se faire reconnaître par la fédération, il faut envoyer sa candidature, une commission valide ou pas le dossier en soumettant éventuellement des directives, propositions de stage, de formation complémentaire, de supervision…
H : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette Fédération de musicothérapie ?
J.C : C’est un regroupement des écoles de musicothérapie qui ont travaillé sur une définition commune de la musicothérapie, en vue de créer un référentiel métier pour le faire reconnaître auprès des instances de santé, le gouvernement. Pour l’instant, il y a 5 centres dans la Fédération : AMB à Dijon, AMBX à Bordeaux, le Centre International de musicothérapie qui se trouve à Paris et à Aix-en-Provence, La Faculté à Montpellier et l’Institut de musicothérapie de Nantes.
H : Quelle formation avez-vous suivie ?
J.C : J’ai deux diplômes de musicothérapie. Un premier que j’ai passé en 2004 au Centre International de musicothérapie à Paris. Un autre diplôme sur des aspects plus cliniques passé à Dijon. À côté de ça, j’ai fait de nombreux stages sur des spécificités en musicothérapie.
Et bien sûr un travail personnel en thérapie, une supervision régulière et des analyses de pratiques. Je ne conçois pas qu’on puisse travailler avec l’humain si on n’est pas au minimum au clair avec sa façon d’être au monde. Sinon l’histoire personnelle du thérapeute peut entrer en résonance avec l’histoire du patient et à ce moment-là, le thérapeute ne sera pas en mesure de bien accompagner la personne, la thérapie stagnera.
H : Comment êtes-vous arrivé à la musicothérapie ?
J.C : J’étais dans la musique, depuis l’adolescence, je pratiquais divers instruments et surtout j’avais un rapport très sensible et émotionnel à la musique. Je n’étais pas dans l’optique de devenir musicothérapeute, c’est peu à peu, de fil en aiguille, que les chemins « musique » et « travail thérapeutique » se sont croisés et j’ai souhaité me professionnaliser. À la base j’étais menuisier. Puis j’ai fait des rencontres importantes avec des gens qui m’ont aidé à trouver ma voie. Ce sont ces rencontres qui m’ont mené vers la musicothérapie. Je remercie ces personnes profondément humaines.
H : Où travaillez-vous ?
J.C : À l’institut régional des jeunes sourds, Les Hirondelles près de la Valentine ; à la clinique Saint-Michel, c’est une clinique psychiatrique pour adultes, dans un foyer d’accueil médicalisé dans le 12e avec des adultes polyhandicapés, dans une maison de retraite Les Oliviers dans le 9e, et j’interviens depuis quatre ans à Gardanne, de manière bénévole, dans un centre de soins palliatifs. Reste le cabinet dans lequel je reçois des gens deux jours par semaine, il s’agit de demandes de particuliers qui souhaitent travailler leur voix, leur rapport au monde. Je fais également des supervisions pour des musicothérapeutes.
H : Quelles pathologies peuvent être traitées par la musicothérapie ?
J.C : Je voudrais insister sur le fait qu’il n’y a pas pour moi des malades mais des personnes atteintes de telle ou telle maladie. Chaque personne est avant tout un individu à part entière qui a sa personnalité, ses particularités. En fonction de la maladie, du ou des troubles dont la personne est atteinte, je vois au cours de la séance si la musicothérapie est appropriée ou non. Il n’y a pas de contre-indication à la musicothérapie, par contre ce ne sera pas toujours l’outil le plus approprié.
Concernant les pathologies principales sur lesquelles je vais intervenir via la musicothérapie, les psychopathologies, la surdité, les troubles de développement, les dépressions. Et le public avec lequel je me sens le plus pertinent sont les personnes atteintes de troubles envahissant du développement.
H : Ça se fait en individuel ou en groupe ?
J.C : Les deux. En général, il y a d’abord un travail individuel, puis au bout d’un certain temps, je propose des séances collectives. C’est une manière de se confronter au monde, au groupe, à l’autre, de faire évoluer le travail. Si la personne n’est pas prête, on revient au travail individuel. Mais parfois je travaille d’abord sur le groupe puis en séance individuelle, ça dépend bien sûr des problématiques des personnes. Je suis avant tout à l’écoute pour repérer les portes d’entrée possibles. Parfois ça va être le son, l’instrument de musique, mais parfois c’est d’abord tout un travail dans le champ de la relation, la distance, le rapprochement des corps.
H : En règle générale, les patients que vous avez en instituts se prêtent facilement au travail que vous proposez ?
J.C : Pas forcément. Cela dépend des difficultés rencontrées, des symptômes. Pour certains, ça commence par une position de rejet, des actes agressifs ou même violents. Les premières séances, des meubles peuvent voler ! Après c’est au thérapeute de contenir tout ça et d’amener l’enfant ou la personne à entrer dans la proposition de travail.
H : Comment faites-vous pour faire de la musicothérapie avec des sourds ?
J.C : Je vais trouver un autre moyen de communication. J’utilise la communication non verbale. La communication c’est aussi tout ce qui relève du non verbal : les expressions du visage, la frontière contact dans le champ de la relation, le souffle, les regards, les onomatopées, les bruits de bouche... Je travaille avec tout cet univers-là, comment l’autre fait pour être en contact ou ne pas être en contact avec l’environnement. Par exemple, je regarde comment le corps réagit lors de la séance, via l’utilisation des instruments, des percussions. Comment on joue ensemble ou pas, comment l’autre se coupe de la relation, comment il exprime ses émotions : colère, agressivité, tristesse. Je suis en contact, en captation avec ce qui se vit avec la personne dans l’ici et maintenant de la situation.
Et, un point essentiel, j’écoute tout ce que je ressens, en particulier avec les personnes qui n’ont pas accès au langage, par exemple si je me sens triste, démuni, je peux l’exprimer, si cela reste au service de la personne. Même si le patient n’entend pas complètement ce que je dis, je pars du principe qu’il est en capacité de recevoir le message par l’intention du message, les vibrations et l’expression corporelle.
H : Est-ce que vous vous positionnez dans un courant psychanalytique ?
J.C : Non, je suis musicothérapeute. J’ai fait des études de psychologie dans mon parcours. J’attache évidemment de l’importance à la psychanalyse même si je ne partage pas tout. Mais c’est une référence à laquelle on ne peut pas échapper, et dans ma pratique je m’appuie sur des concepts psychanalytiques.
H : La musicothérapie a-t-elle fait ses preuves ?
J.C : Il y a encore du chemin ! Car il y a beaucoup de personnes qui se disent musicothérapeutes alors qu’elles ont juste fait un stage de trois semaines. Non, la musicothérapie c’est au moins trois ans de formation ! Avec une éthique, un code de déontologie, un suivi, un travail personnel... Car sinon c’est dangereux autant pour le patient que pour le thérapeute : il faut les épaules pour accueillir la souffrance de l’autre. Il y a des psychologues qui ne travaillent pas sur eux, c’est leur responsabilité, pour moi c’est inconcevable.
H : Quelle est votre plus grande satisfaction ?
J.C : C’est un métier difficile, parce que c’est être au quotidien confronté à la souffrance humaine, ce qui n’est pas évident tous les jours, puisque moi-même, je suis humain (rires). Ce qui me satisfait, ce qui m’émerveille, c’est que je rencontre des personnes qui sont souvent mises dans des cases, celles de leurs pathologies, et finalement avec ces personnes je vais au-delà de ça. Parfois, humainement, émotionnellement, je vais vivre des choses très fortes avec des gens atteints de telle ou telle pathologie, alors qu’avec les gens de la vie de tous les jours ça va être plus plat. Ce qui me plaît et qui m’anime c’est d’être au contact de l’humain, au cœur de la relation. Quand la personne sort un tant soit peu de son isolement, et qu’on peut partager un moment dans du « être ensemble », je m’en réjouis.
Voir en ligne : Jérome Chartier musicothérapeute
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