Handicap et cinéma, une longue histoire
Pendant de nombreuses années, au cinéma, la place du handicapé était, au mieux, celle d’un faire-valoir du héros du film. Qu’il soit bossu, aveugle, unijambiste, sourd, muet, il était le compagnon de la vedette, jamais la vedette. Des vrais-faux handicapés de la Cour des Miracles de Notre-Dame de Paris jusqu’au Bernardo muet de Zorro, la liste est longue des handicapés qui apparaissent sur l’écran.
Pendant de nombreuses années, au cinéma, la place du handicapé était, au mieux, celle d’un faire-valoir du héros du film. Qu’il soit bossu, aveugle, unijambiste, sourd, muet, il était le compagnon de la vedette, jamais la vedette. Des vrais-faux handicapés de « la Cour des Miracles » de Notre-Dame de Paris jusqu’au Bernardo muet de Zorro, la liste est longue des handicapés qui apparaissent sur l’écran. Mais ce n’est que rarement que la personne handicapée tient le rôle principal. Les choses ont changé depuis les vingt dernières années et plus particulièrement depuis 1998/2000 où la production de ce type de film a sensiblement augmenté.
Dans ces films, les difficultés de la vie de tous les jours, les problèmes d’adaptation, sont montrés. Les cannes, les fauteuils roulants matérialisent le handicap et sont souvent chargés de significations multiples. Les cinéastes s’essaient à la neutralité et tentent d’éviter le voyeurisme, la complaisance. Le choix, subjectif, des films étudiés pour illustrer ce sujet, porte sur des œuvres qui ont pour thème le handicap ou un héros handicapé. Ces films ont été réalisés entre 1929 et 2008. Leur particularité est que ce sont des films où la personne handicapée est au premier plan. Souvent il s’agit d’une histoire dont elle est le héros. La sélection de films est celle du site internet AlloCiné, site d’informations spécialisé sur le cinéma.
À travers ces films, on peut voir évoluer le regard porté sur le handicap par les cinéastes, mais aussi, corrélativement, l’évolution du public quant à la perception du handicap. Car on peut estimer que si le nombre de films consacrés au handicap ou avec un héros atteint d’un handicap a augmenté ces dernières années, c’est que le public est dorénavant prêt à voir ce type de film.
Un premier constat s’impose : le nombre de films réalisés sur le sujet après 2000 est sensiblement supérieur à ceux réalisés dans les 2 décennies précédentes. On compte plus de 20 films pour la décade 2000 - 2010 contre 4 pour la décade 1990 - 2000 et 4 pour 1980 - 1990. Bien sur, cette liste n’est pas exhaustive et ce choix de 30 films indique au mieux une tendance mais il ne semble pas que cette tendance soit contredite par un état des lieux plus complet. Il est frappant, par ailleurs, de constater qu’entre 1920 et 1980, il n’y a que 7 films sur le sujet ou du moins dont le sujet est le handicap en tant que tel.
C’est la catégorie films de fiction dramatique qui est la plus représentée avec 26 films toutes époques confondues. Les biographies sont relativement bien représentées avec 6 films, la comédie est présente avec 5 films, le documentaire avec 5 films, l’horreur et la science-fiction avec 2 films. Bien entendu ces catégories sont perméables car certains films peuvent être présents dans plusieurs catégories à la fois tel, Jour après jour de Jean-Paul Fargier qui peut être classé à la fois comme documentaire et comme biographie.
On remarque que les auteurs de films traitant du handicap privilégient une approche dramatique. Ce qui est logique dans la mesure où le handicap n’est pas un sujet léger. Il transforme profondément la vie et la vision du monde du sujet qui en est atteint que ce soit par accident, maladie ou de naissance.
Ces films abordent le sujet du handicap selon divers angles :
le handicap est dû à un accident :
De Rouille et d’Os (2012) de Jacques Audiard, Intouchables (2011) de Eric Toledano et Olivier Nakache, My Own Love Song (2010) de Olivier Dahan, Mundane History (2009) de Anocha Suwichakompong, Le Scaphandre et le Papillon de Mathieu Schnabel (2007), Jour après jour de Jean-Paul Fargier (2006), L’art de la pensée négative de Bard Breien (2006), Cavalcade de Steve Suissa (2005), Mar Adentro d’Alejandro Amenabar (2003), Aaltra de Benoit Delépine et Gustave Dervem (2003), Open Hearts de Susanne Bier (2002), Breaking the Wawes de Lars Von Trier (1996)
la biographie d’un personnage handicapé public ou connu :
The Sessions (2012) de Ben Lewis, Le Discours d’un Roi (2010) de Tom Hooper, Le scaphandre et le papillon de Mathieu Schnabel (2007), Cavalcade de Steve Suissa (2005), My left foot de Jim Sheridan (1989)
le handicap est dû à la guerre :
L’idole de Frank Borzage (1929), Le Retour de Hal Ashby (1978), Né un 4 juillet d’Oliver Stone (1990)
le handicap est de naissance :
Busong (2011) de Auraeus Solito, Radio de Michael Tollin (2002), Edward aux mains d’argent de Tim Burton (1990), My left foot de Jim Sheridan (1989), Kenny de Claude Gagon (1988), Elephant Man de David Lynch (1980), Shanks de William Castle (1974), Miracle en Alabama d’Arthur Penn (1962), Freaks de Tob Browning (1932)
le handicap est mental :
Nos Plusieurs (2010) de Fred Soupa, Radio de Michael tollin, Le huitième jour de Jaco Van Dormael (1996), Birdy d’Alan Parkert (1984),
les documentaires :
Le Rêve de Zébulon (2012) de Fred Ripert, Courage est leur nom (2011) de Catherine Young, Nos Plusieurs (2010) de Fred Soupa, Benda Bilili ! (2010) de Renaud Barret et Florent de La Tullaye, Murderball de Henry Alex Rubin et Dana Adam Shapiro (2005)
On remarque que l’accident et la maladie de naissance sont également représentés, la part du handicap dû à la guerre est moins importante que l’on pourrait s’y attendre quant au handicap mental, il est peu représenté. Dans la majorité des cas, le ton de ces films est grave, le héros handicapé mène un combat pour vivre (Le scaphandre ou le papillon, Cavalcade) ou même parfois pour le droit au suicide (Mar Adentro). L’amour vient parfois se mêler ou s’emmêler dans l’histoire (De Rouille et d’os, Open Hearts, Breaking the Wawes, L’idole, Freaks). Certains films s’éloignent du « politiquement correct » tel L’Art de la pensée négative (2008) de Bard Breien où le héros est un ennemi déclaré du positive thinking, la pensée positive. On peut aussi citer Elephant Man qui n’est pas exactement un film qui magnifie la volonté de s’en sortir d’un héros positif.
On peut encore noter que 3 de ces films sont des biographies d’handicapés qui le sont devenus à la suite d’un accident, ce qui permet de montrer la détresse de celui ou celle qui se retrouve privé de sa liberté de mouvement et des épreuves qu’il doit surmonter pour continuer à vivre. Ces films sont des fictions mais réalisées à partir de livres écrits par des handicapés ce qui est nouveau dans la production cinématographique où ce type de réalisation était relativement rare exception faite de My left foot.
L’humour et le handicap. Depuis quelques années on peut voir au cinéma comme à la télévision le sujet traité sur le mode de la comédie ou de la dérision (Intouchables (2011), L’art de la pensée négative (2008) de Bard Breien, Pumpkin (2005) de Anthony Abrams et Adam Larson Broder (2002), Hollywood Ending (2002) de Woody Allen, Aaltra (2003) de Benoit Délépine et Gustave Kervern, Crazy (2000), et la série Vestiaire à la télévision).
La science-fiction et l’horreur sont aussi présentes avec des œuvres telles que Shanks de William Castle (1974) et Edward aux mains d’argent.
Le thème des rapports amoureux, avant et après, avec ou malgré le handicap est aussi abordé par le cinéma dans des œuvres telles que Open Hearts où un couple est séparé par un accident qui handicape le mari, sa femme tombe amoureuse du médecin qui le soigne. Dans Pumpkin, une jeune étudiante succombe au charme d’un handicapé. Nationale 7 aborde le sujet sous un autre angle puisque le héros du film, René, demande à bénéficier des faveurs d’une prostituée avant que l’évolution de sa maladie ne l’empêche d’avoir un rapport sexuel. N’oublions pas le Charlot amoureux d’une jolie aveugle dans Les lumières de la ville et L’idole de Frank Borsage où une jeune paysanne s’éprend d’un handicapé de guerre. Et puis, il y a les cas d’espèce tels que Freaks où Tod Browning démontre que la laideur morale est bien plus terrible que la laideur physique ou encore du même Tod Browning, L’inconnu où Alonzo, lanceur de couteaux de son état qui se fait passer pour infirme des deux bras finit par se les couper, réellement, par amour...
Et depuis quelques années, un tabou commence à se briser, la question de la sexualité et du handicap, aujourd’hui avec The Sessions (2012) de Ben Lewis, qui avait été précédé par Hasta La Vista (2011) de Geoffrey Enthoven, ou Nationale 7 (2000) de Jean-Pierre Sinapi.
On retiendra que, dans la majorité des cas, le handicap au cinéma est un drame, que c’est plus souvent une fiction qu’une biographie ou un documentaire, qu’en général l’accent est mis sur la volonté de se battre des personnages, que l’amour contrarié ou satisfait n’est pas absent, qu’il est rare que l’on plaisante avec le handicap. On peut aussi constater que le nombre de films qui traitent du handicap augmente fortement ces neuf dernières années et surtout que l’aveugle, le paralytique, l’handicapé mental n’est plus seulement un faire valoir, un symbole, mais qu’il devient un personnage principal, un être humain avec ses qualités et défauts. Et c’est cela l’essentiel.
Jacques Becker
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