Deux fois miraculé
Dominique traversait un passage clouté quand un chauffard l’a violemment percuté en grillant un feu rouge. On le récupère quinze mètres plus loin, traumatisé crânien et un genou explosé, dans un coma qui durera plus d’une journée... Il avait dix neuf ans, sa vie venait de basculer. C’est alors que survient la double peine. En plus du handicap, il se retrouve incompris et par ses amis, ses employeurs et par le corps médical qui ne pose aucun diagnostic sur les troubles dont il est atteint. Après vingt ans de souffrances et d’échecs, se croyant "maudit", il se met enfin à aujourd’hui à revivre épaulé par le docteur Farisse qui assure son suivi et lui prescrit un traitement adapté. Dans son épreuve, il aura donc survécu d’une part à son l’accident et de l’autre à la bêtise humaine, pour ne pas dire plus...
Handimarseille. - Pouvez-vous vous présenter ?
Dominique. - Je m’appelle Dominique, j’ai quarante-trois ans et je suis handicapé "invisible".
H. - Suite à un accident ?
D. - J’en ai eu plusieurs, dont deux traumatismes crâniens, mais c’est surtout le premier qui a fait mal... En fait, je traversais un passage clouté, le petit bonhomme était vert et une voiture a grillé le feu rouge, j’ai alors fait un vol plané d’une quinzaine de mètres en plein centre-ville. Donc j’ai eu un traumatisme crânien avec suture du cuir chevelu. J’ai en fait éclaté le pare-brise avec ma tête, j’ai eu un genou éclaté aussi, et de longs mois de rééducation... Je suis tombé dans le coma à peu près un jour et demi... Donc j’ai eu de longs mois de rééducation, alors que je venais juste de commencer une préparation à un diplôme, j’avais alors dix-neuf ans et ça a été catastrophique pour moi, jusqu’à il y a très récemment... Pendant vingt ans j’ai souffert des autres, et en entreprise je n’ai jamais pu m’intégrer, j’étais toujours mis au rebut.
H. - Quel diagnostic a été posé ?
D. - Il n’y a pas eu de diagnostic. Pour moi ça a été particulier, parce que j’étais lâché dans la rue. Je n’ai ni été suivi par des psychiatres, ni par des avocats, j’ai même été lésé par les assurances, parce qu’ils ont été fouiller dans le passé médical de ma mère, qui avait un problème de genou, et le problème que j’avais au genou, ils l’ont reporté sur... Enfin pour eux, en quelque sorte c’était héréditaire... Et ça, ça m’a fait aussi très mal, et j’étais sonné, j’ai été sonné pendant pas mal de temps, sans aide, sans rien...
H. - A quel type de difficultés avez-vous été confronté après votre accident ?
D. - Comme je vous le disais, je n’ai pas été suivi, donc je ne comprenais même pas ce qu’il m’arrivait, je savais que j’avais un problème, voire plus lourd. J’avais des troubles de la mémoire, de concentration, fatigabilité et autres... Tous mes amis de l’époque, alors que je m’étais confié pensant que c’était mes amis, ont profité de moi. Ça s’est toujours mal passé et puis je suis tombé dans une très grande dépression, il y a eu tentative de suicide, et je ne voyais absolument plus mon avenir.
H. - Qu’est-ce qui vous a permis de vous en sortir ? Vous dites "Aujourd’hui, il y a des choses qui ont changé."
D. - Alors, moi je vais mieux depuis que j’ai rencontré l’AFTC, qui m’a orienté vers le SAMSAH. J’ai connu en même temps Khadouma et on a commencé à s’entraider. J’ai obtenu plusieurs diplômes, pour essayer de me diversifier, et à chaque fois c’est le même schéma qui se répétait, comme j’étais dépressif et que j’avais des attitudes qui paraissaient des fois un peu bizarres, je n’ai jamais pu m’intégrer. On se foutait de moi, on faisait tout pour me "gicler", et ça réussissait à chaque fois. Bon, à l’époque j’avais comme un blocage au niveau du langage, donc je ne parlais pas, j’avais la tête entre les épaules, et j’ai eu un choc émotionnel il y a quelques années et ça m’a débloqué.
H. - Je peux vous demander ce qu’a été ce choc émotionnel ?
D. - Alors que je sortais d’une hospitalisation à l’Hôpital Montperrin pour grande dépression. Il y avait une personne qui faisait des études en infirmerie, qui devait avoir des problèmes avec les hommes, parce qu’elle a trouvé en moi un souffre-douleur. Donc elle m’a agressé verbalement, et moi pendant trois jours je me suis retenu, et au bout du troisième jour j’ai explosé, alors autant avant je n’avais pas de répondant, là d’un coup, j’ai donc piqué une "gueulante", et voilà c’était débloqué. Ça a fait quelque chose au niveau du cerveau, parce que pendant plusieurs mois je me levais à deux heures du matin... Après ce choc émotionnel, les deux premiers jours je n’ai pas pu fermer l’œil, je n’ai pas pu dormir, j’en ai profité pour faire des travaux dans le jardin, pendant deux jours et deux nuits, j’ai bien avancé... J’avais aussi perdu l’humour, pendant vingt ans... Les gens ne me trouvaient pas intéressant, et là j’ai retrouvé un emploi, je travaille maintenant comme "Assistant de vie" pour Khadouma. J’ai repassé un CAP en 2007... c’était avant le choc émotionnel, je n’ai même pas continué dans cette voie, parce que les rapports humains qu’il y a dans ce genre d’entreprise sont vraiment... Si on a une "grande gueule" à la limite on peut passer partout. Si on est comme moi, on est vite mis au rebut, voilà ... Donc maintenant je suis toujours suivi par les psychiatres... par un grand médecin, le Docteur Farisse...
H. - ... qui est spécialiste des traumatisés crâniens ?
D. - Voilà , et qui donne les bons traitements, parce que pendant des années j’ai été suivi par un neuropsychologue ou par un psychiatre, qui me donnaient de tout et de n’importe quoi, ce qui fait que j’étais dans des états différents... Un coup je n’arrivais plus à fermer l’œil, un coup j’arrivais plus à me lever, et en plus ils me donnaient des médicaments qu’il ne faut strictement pas prescrire aux traumatisés crâniens... votre psychiatre va faire comme avec les oies, c’est-à -dire qu’il vous gave de médicaments et après... Tandis qu’avec le Docteur Farisse, on est suivi quotidiennement et il change la quantité ou carrément le traitement en fonction de l’amélioration...
H. - Comment vous sentez-vous depuis que vous avez ce traitement ?
D. - Je me sens comme à l’époque d’avant mon accident, c’est-à -dire quand j’étais bien...
H. - Mais ça vous a quand même mis une vingtaine d’années pour arriver à retrouver cet état ?
D. - Voilà ! Et oui, parce que pendant vingt ans je m’autodiagnostiquais. Mes parents et moi, pensions même que j’étais "maudit", qu’on m’avait jeté un sort parce que j’ai eu pleins d’accidents, pleins de trucs qui me sont arrivés, et à l’époque je faisais du dessin d’art, des dessins qui avaient à voir avec l’occulte, des objets, des posters... et j’ai prié des millions et des millions de fois, j’ai été trois fois à Lourdes pour essayer de guérir, là je me demande si ça n’a pas marché. Et donc comme je disais, les amis à l’époque de mes dix-neuf ans, m’ont fait les pires des crasses et les copines, elles, m’ont détruit moralement, parce qu’elles se moquaient de mon visage. Je sais pas à l’époque, je me rappelle plus, ce qui fait que, en regardant mon visage dans la glace, je me mettais à "chialer", et c’est pour ça que j’ai jamais pu aussi rencontrer de compagne... tout ça mis bout à bout...
H. - Pourtant votre handicap est totalement invisible.
D. - C’était après l’accident... et puis je devais vraiment avoir la poisse, parce que... j’étais très dépressif, ça ne se voit pas, c’est d’autant plus dur, parce que quelqu’un qui n’a jamais eu d’accident, moi je sais comment ça se passe, parce que je suis passé par là ... Ce sont des gens qui sont hautains, narcissiques, qui se disent que ça n’arrive qu’aux autres, et ceux qui ont vraiment de la méchanceté, quand ils tombent sur quelqu’un d’aspect visuel normal, et dès qu’ils s’aperçoivent qu’il a un problème, aussitôt c’est "il est taré, il a un problème..." Ils ne cherchent même pas à connaître la personne... On est tout de suite mis dans une case... et voilà .
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