"Il ne faut pas se laisser abattre, autrement c’est la maladie qui vous ronge !"
Notre dossier traite des handicaps invisibles, des maladies qui ne se voient pas, du moins pas de suite perçues... Ainsi, c’est le cas de Christian qui a souffert durant des années, à cause d’une maladie non décelée, et qui va perturber sa vie personnelle et professionnelle. C’est un handicap qui le faisait donc boiter, sans que, visiblement personne, pas même ses proches ne l’aient perçu. Cela paraît significatif d’un certain aveuglement général, un déni de perception et d’empathie envers ceux qui souffrent, parfois en silence, jusqu’à ce que le mal, insidieux, progresse et que la douleur, devenue intolérable, dévoile la gravité de la maladie qui, à présent nécessite beaucoup de soins médicaux. Alors que si elle avait été diagnostiquée plus tôt, moindres auraient été, sà »rement, les complications et les désagréments.
Par conséquent, ouvrons les yeux (et le cœur) vers ces personnes qui sont victimes de maladie, ou de handicap invisible ou pas, et qui réclament haut et fort, tel Christian, leurs droits, comme celui de "réintégrer la vie sociale, la vie que mène toute personne".
HandiMarseille - Présente toi, dis-nous qui tu es, ce que tu fais, quel est ton parcours...
Christian GALLERINI - Je m’appelle Christian, j’ai 44 ans, je suis né à Aubagne et je vis à Marseille. J’ai mon CAP d’ajusteur mécanicien que j’ai passé au LEP Don Bosco. Je vivais avec mon père et ma belle-mère et je suis parti travailler en Italie, parce que je ne me sentais pas bien à Marseille...
H - Pour quelles raisons ?
C. G. - Je n’étais pas à l’aise avec eux, j’ai donc décidé de partir. J’ai travaillé en Italie pendant une quinzaine d’années, puis il a fallu que je rentre sur Marseille, parce que je commençais à avoir des douleurs à la jambe, à la hanche et au dos. Ensuite, je suis retourné en Italie pour continuer à travailler, mais malheureusement la maladie que j’ai eue s’est aggravée...
H - Peux-tu nous expliquer ce que tu as eu ?
C. G. - Tout d’abord, j’avais une jambe plus courte que l’autre, ce qui m’a provoqué un décalage de la hanche et donc j’avais la colonne vertébrale complètement décalée... J’ai eu quatre opérations...
H - Plus courte de combien ? C’était en millimètres, en centimètres ?
C. G. - Avant l’opération, c’était de huit centimètres !
H - C’est énorme... Et personne ne s’en était rendu compte avant ?
C. G. - Je sentais quelque chose... Ma tante en Italie a toujours dit à mon père
qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Et mon père lui disait : « Mais non, il est un peu comme moi, il jette la jambe ! » Lui, c’était par rapport à un accident de Vespa...
Ça s’est déclaré dans les années 85, on m’a fait des radios des hanches, et c’est là que l’on a constaté que l’une des jambes était plus courte.
J’ai été opéré deux fois et on m’a mis un fixateur externe. Tous les jours, mon kiné donnait un tour de vis pour faire l’espacement voulu. Une fois l’écartement atteint, on m’a mis le greffon avec l’os synthétique. Quelques mois plus tard, au début de la rééducation, j’ai fait un rejet du greffon et il a fallu tout refaire. On m’a pris les os de la crête iliaque et sur le fémur, on a tout tiré : les muscles, les nerfs, etc. et on m’a scié l’os pour insérer l’un des morceaux d’os de la crête iliaque. On me l’a ensuite fixé avec une plaque tenue par des vis.
Je suis resté quatre mois à la clinique la Casamance, à Aubagne... Ce qui a été le plus douloureux, ça a été moralement : quand je voyais les autres jeunes qui faisaient du vélo, qui jouaient au foot par exemple et que moi je ne pouvais plus le faire, cela me rendait malade... Mais c’est quand même à partir de là que le moral a repris le dessus : car j’ai connu des personnes qui étaient encore plus mal fichues que moi. Je me disais : « Moi comparé à eux, j’ai rien... rien du tout ! »
Je suis resté presque cinq ans avec les béquilles et quand je les ai enlevé, je me suis senti comme "œil est libre Max !" ... J’étais comme un gamin qui venait d’avoir son premier vélo, j’étais tout heureux et content.
J’ai du faire de la rééducation, bien sà »r et une fois que c’était fini, je suis reparti en Italie pour travailler là -bas. Je ne pouvais plus faire certains métiers, je faisais de l’intérim. Et puis, en 2003, j’ai commencé à ressentir une douleur sur l’épaule. Je suis allé voir un médecin qui m’a fait passé une radio : il fallait encore m’opérer, un tendon avait lâché... Je n’ai pas voulu me faire opérer en Italie, je ne connaissais pas ces docteurs-là !
J’ai donc appelé mon père qui m’a pris un rendez-vous à Marseille et après de
nombreux examens, échographie, radio et IRM, la conclusion était la même : l’opération.
On m’a donc opéré et je suis resté trois mois avec le bras en écharpe et de la rééducation. J’ai vite compris que je ne pourrais pas retourner en Italie, car j’allais avoir besoin de mes médecins ici. Donc j’ai pris la décision de rester en France.
J’ai recommencé à travailler et au bout de six ou sept mois, de nouvelles douleurs à l’épaule se faisaient sentir mais j’ai laissé courir... J’avais trouvé entre temps un nouveau travail à La Marseillaise, je travaillais de 4h du matin à 9h et cela me correspondait parfaitement. Cependant, j’avais toujours mal à l’épaule... J’ai essayé de tenir tant que je pouvais et au bout d’un an et demi, je suis retourné voir le chirurgien : il fallait à nouveau m’opérer le tendon et me mettre une mini-prothèse. Au bout de trois mois, le chirurgien me dit : « Interdit de porter du poids, de soulever, de taper avec un marteau, de faire du vélo, de la moto, etc. »
Donc à partir de là , je me suis dit en moi-même : « Qu’est ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie ? »
Je me disais que même si je faisais une demande à la COTOREP [1], je ne pourrais pas aller dans des "œateliers protégés" , c’est pour ceux qui ont des problèmes physiques mais qui ne peuvent plus intégrer le travail ordinaire. Et en général, ils ne savent ni lire, ni écrire.
H - Comment s’appelle ta pathologie ?
C. G. - C’est une pathologie dégénératrice des deux épaules avec rupture de la coiffe.
H - Mais c’est indépendant de la jambe ?
C. G. - En fait, ça n’a pas un lien direct, parce que ce n’est pas la même maladie, mais ça a un rapport avec la jambe, car j’ai trop porté les béquilles... Les deux épaules sont atteintes, mon tendon a encore "œcassé" mais on ne peut plus ré-opérer parce que j’ai une amyotrophie [2].
Dans quelques années, il est prévu qu’on me mette une prothèse totale. Pas maintenant parce que je suis trop jeune...
Alors pour le moment tous les trois mois, je prend quinze à vingt séances de rééducation des deux épaules. La gauche, pour l’entretenir et l’autre pour garder les amplitudes et les automatismes. Ainsi éventuellement si je dois me faire mettre la prothèse, j’aurais moins de difficultés à récupérer...
H - Quand on t’a annoncé que tu allais avoir de nombreuses opérations, de la rééducation, comment l’as-tu vécu ?
C. G. - Au début, pour la jambe, lorsque j’ai su qu’il y aurait une ou deux
opérations, je me suis dit en moi-même : « Ça y est, ma vie est foutue ! » J’étais jeune, je mordais la vie à "œpleines dents" ... J’étais fait pour jouer au foot, j’ai toujours fait du vélo en compétition, toujours couru, marché dans la montagne, etc. De savoir que je ne pouvais plus faire tout ça, ça m’a foutu un coup au moral.
La première question que je me suis posée : « Pourquoi moi ? Pourquoi cela m’arrive à moi et qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » Après je me suis dit que peut être j’avais du faire quelque chose qui n’avait pas plu au Seigneur ! À partir de là , je suis allé au cimetière parler à ma pauvre mère et je lui ai demandé de me donner la force et le courage de faire ceci.
Et ensuite, le moral a repris le dessus, parce que j’ai rencontré des personnes qui étaient vraiment plus mal-en-point que moi. Je me disais en moi-même que, moi demain, je pourrais toujours marcher. Qui peut voir de l’extérieur que j’ai été opéré, quand on me regarde marcher ? Comme dit le proverbe, il faut souffrir pour embellir ! Quand j’ai vu toutes ces personnes en fauteuil roulant, que cela faisait partie de leur vie quotidienne, du matin au soir, et malgré ça, ils avaient la joie de vivre... Je me suis dit : « Moi, je me plains pour ce que j’ai ? »
H - Est ce que cette maladie a changé ton regard sur ta vie, sur tes priorités ?
C. G. - Au début oui, parce que je ne savais plus ce que j’allais devenir avec ces problèmes physiques... Je ne voulais pas être considéré comme une personne handicapée, car je ne voulais pas avoir ce sentiment d’être "œexclu" de la société. Je vis comme tout le monde, je parle comme tout le monde, je mange, je fais marcher le commerce... comme tout le monde !
J’ai pris le taureau par les cornes et j’ai rempli un dossier à la Cotorep en demandant à travailler en "œmilieu protégé" . J’ai reçu un refus et on m’a mis à faire un stage de pré-orientation. Là , quand les personnes ont vu mon potentiel intellectuel, elles m’ont dit : « Pourquoi tu veux gâcher ta vie à aller dans les milieux protégés, alors que tu as un potentiel intellectuel vraiment au-dessus de la moyenne ? Tu peux aller en milieu ordinaire, faire des formations, etc. » Moi, je ne voulais pas retourner à l’école, à 40 ans ! Je ne voulais pas me ridiculiser !
J’ai ensuite atterri à l’association Résurgences... Je sais à présent qu’avec ma problématique, l’un des seuls boulots que je peux faire, c’est dans les Call Center, parce que c’est ce que je sais faire de mieux...
H - On est dans une société qui privilégie l’image : comment vis-tu le fait que ton "œhandicap" ne se voit pas ?
C. G. - À force, c’est une habitude... Je sais ce que j’ai, mais je n’en parle pas aux autres. Si personne n’aborde le sujet, j’essaie d’éviter parce que je ne veux pas qu’ils me plaignent ! Je veux être comme tous les autres. Je veux travailler comme tous les autres, je veux être l’égal des autres... Dans les chantiers d’insertion, on m’a demandé si j’étais reconnu travailleur handicapé, donc là , il a fallu que j’en parle. Mais au contraire, ça m’a donné une force en plus, je ne m’apitoie pas sur mon sort...
H - J’ai lu qu’on dit souvent aux personnes atteintes d’une maladie invisible : « Oh mais t’as rien, t’as l’air en forme ! » ou bien « C’est que dans ta tête tout ça... » As-tu déjà eu ce genre de réactions et si c’est le cas, comment les as-tu géré ?
C. G. - J’en ai eu quelques-unes effectivement et je leur ai répondu : « Prenez toutes les choses que j’ai eues et donnez-moi votre vie, vous allez voir comme ça change... Passez quatre mois dans une clinique, allongé du matin au soir avec des escarres dans le dos... Sachant qu’après, vous ne pourrez plus pratiquer les sports que vous aimez... Après vous repenserez à ce que vous avez dit, car ce n’est pas parce que cela ne se voit pas, que je n’ai rien... » Ils m’ont alors répondu qu’ils n’aimaient pas les hôpitaux et les opérations !
H - Vivre dans un corps qui vous véhicule, et qui ne répond pas toujours à votre volonté... Comment gères-tu cela ?
C. G. - Quand j’ai mal à l’épaule, par exemple, je n’ai pas le choix : je supporte... Tout est un conditionnement qui part de la tête.
H - Est-ce que ton entourage a changé de comportement par rapport à toi quand ils ont su que tu avais ce handicap.
C. G. - Au début oui, ils m’ont plaint ! Je n’ai pas eu beaucoup de personnes qui sont venues me voir, à l’hôpital. Mon père n’a jamais vraiment été là pour me soutenir : il n’a jamais eu les mots pour me réconforter... La seule personne qui m’ait vraiment beaucoup soutenu, c’était ma tante d’Italie... Elle m’a d’ailleurs toujours considéré comme son fils, parce qu’elle m’a élevé.
H - Et toi, de ton côté, as-tu changé ta relation par rapport à l’autre ?
C. G. - Non... Quoique, je me suis toujours promis une chose, en sortant de l’hôpital : beaucoup de personnes ont intérêt de raser les murs, comme on dit ! Mais en fait, je n’ai jamais rien fait...
H - Comment te vois-tu maintenant par rapport à avant ?
C. G. - En fait, je me vois pareil qu’avant, sauf que je suis plus confiant et plus
sà »r de moi. Disons que je fonce droit devant, sans regarder derrière... Et ça, depuis que je n’ai plus les béquilles, tous les jours je me conditionne, en me disant que je vais aller de mieux en mieux, que je prends mes responsabilités, etc. Je regarde droit devant et je laisse le passé derrière.
Je me sens beaucoup plus fort, parce que j’ai notamment appris certaines choses. Ce n’est pas parce qu’on a une maladie, même invisible, qu’on doit se laisser abattre. Au contraire ! Il faut surmonter tout ça et aller de l’avant. Et moi, c’est surtout pas cette maladie qui va m’empêcher d’aller de l’avant !
H - Ton avenir, tu le vois comment ?
C. G. - J’ai une maladie dont on ne peut pas mourir mais elle est handicapante : je ne peux pas faire ce que je veux et il y a certaines choses que je suis obligé de demander aux autres. Mais il n’est pas question que ça m’arrête, ce n’est pas parce que j’ai eu ça et que je risque à nouveau d’être opéré, que je vais baisser les bras. Je suis prêt à affronter tout ça parce que je suis plus fort que la maladie.
Quant à mon avenir, je le vois beaucoup plus rose depuis que je sais que j’ai la possibilité de réintégrer la vie sociale, dans un métier qui me plaît. Il faut espérer maintenant que je puisse acquérir plus d’expérience dans ce métier. C’est ce que je suis en train de faire avec l’association dans laquelle je travaille actuellement.
H - Un message à transmettre ?
C. G. - Il ne faut pas se laisser abattre, autrement, c’est la maladie qui vous ronge : on va se renfermer sur soi-même, s’apitoyer sur son sort, ne plus vouloir sortir, ne plus voir personne, et ça, c’est la vraie maladie ! Au contraire, il faut sortir : voir d’autres personnes, aller faire du shopping, acheter des bricoles, mener la vie que mène toute personne... Parce que le moral, c’est 70% de la guérison !
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