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"Si tu voyais ce que j’entends"

Au delà du jeu des images, vivre son handicap

"L’image de soi, c’est l’image que l’on essaie de renvoyer de soi même vers l’extérieur", nous dit Béatrice. Mais quelle image renvoyer lorsque l’on est non-voyant et que l’on n’a aucune image de soi ? Entre le souci de bien vivre en société, qui passe par le respect et l’acquisition d’un certain nombre de codes, et le refus de devenir l’esclave du regard des autres et de l’image qu’ils nous renvoient, certains naviguent à vue. D’autres ont trouvé la voie de la sagesse, bien au dessus de la mêlée, des codes et du jeu social, à l’image de Béatrice, de l’association Valentin Haà¼y, qui nous reçoit pour cet entretien.

"Si tu voyais ce que j'entends"

Handimarseille - Pouvez-vous vous présenter ?

Béatrice - Je suis bénévole à l’association Valentin Haà¼y. Je m’occupe de l’accueil des personnes et les informe sur ce que propose l’association. Je m’occupe également des activités culturelles, de la relation avec les théâtres et de tout ce qui est pièces en audio-description. Il s’agit des pièces et des films où l’on enregistre un commentaire entre les dialogues, pour expliquer ce qui se passe sur l’écran, ce qui permet aux aveugles et aux malvoyants de mieux suivre les films. Ces commentaires sont écrits au niveau national par la VH à Paris. Nous avons pas mal de DVD qui sont draftés avec ce processus. Sinon, je travaille en partenariat avec la bibliothèque de l’Alcazar, et tous les mois, nous projetons un film en audi-description avec des séances gratuites ouvertes à tout public.

H. - Pouvez-vous nous parler de votre handicap ?

B. - J’ai une cécité quasi-totale depuis la naissance, suite à un problème de rétine. En fait, j’ai une rétine qui ne s’est pas complètement développée, puisqu’il me manque les cellules conilatoniques, ce qui m’empêche de voir. J’ai simplement une perception du jour et de la nuit et de certaines formes, mais cela s’arrête là .

H. - Comment définiriez-vous l’image de soi ?

B. - C’est l’image que l’on essaie de renvoyer de soi même vers l’extérieur. C’est pour nous, quelque chose d’un peu plus abstrait, dans la mesure où l’on ne se voit pas. On doit davantage se baser sur les codes que nous apprennent les gens, car nous n’avons pas vraiment de notion de ce à quoi on ressemble visuellement. On est donc obligés d’intégrer des codes qui pour nous, ne veulent pas dire grand chose, mais nous vivons en société et on est obligés de respecter et d’acquérir un certain nombre de codes.

H. - Qu’entendez-vous par codes ?

B. - Le code vestimentaire, par exemple. Savoir que l’on doit s’habiller de telle sorte, que telle ou telle couleur vont ensemble, d’autres non. Cela ne signifie pas grand chose, car sur le plan visuel je n’ai aucune image de moi. Je veux bien le croire et suis obligée de l’accepter et de me conformer au goà »t de la majorité. On est obligés de se plier à un certain nombre de codes pour vivre en société, ce qui ne signifie pas se laisser dominer par l’image de soi. Je garde quand même mon indépendance et mon libre arbitre, car il ne faut pas que ça aille trop loin et que je devienne esclave du regard des autres. Sinon, pour en revenir à votre question, un code c’est quelque chose qui est établi, qui est décidé. C’est un mode de fonctionnement. Il n’est pas forcément écrit, il est décidé pour satisfaire à telles ou telles exigences sociales, et l’on doit se comporter de telle ou telle façon. C’est une chose admise, à laquelle il faut se tenir. Une fois en marchant dans une rue, il y avait des gens assez jeunes qui venaient en face de moi. L’un dit à l’autre : "attention elle n’y voit pas" et l’autre lui répond : "t’as vu comment elle marche, je suis sà »r qu’elle fait semblant". Tout cela parce que je marchais bien trop vite, parce que je n’avais pas une démarche hésitante et que je ne correspondais donc pas aux codes de la personne handicapée visuelle qui traîne les pieds, qui marche tout doucement. Voilà , un code ça peut aussi déboucher sur une image toute faite, un a priori. Mais bon, je lui ai fait un grand sourire et j’ai continué mon chemin. Je l’ai pris comme un compliment. S’il a dit cela, ça veut dire que je me débrouille bien.

H. - C’est en partie le regard de l’autre qui nous permet de construire notre propre image, comment vivez-vous le regard des autres ?

B. - Comme pas mal de gens. Je l’ai assez mal vécu quand j’étais adolescente, parce que j’avais l’impression d’être regardée comme une bête curieuse. Quand vous êtes adolescente ça vous blesse, maintenant ça m’est indifférent. Le regard des autres, je me dis "Bof ! Ils pensent ce qu’ils veulent. Je laisse aller".

H. - Le fait qu’ils parlent de vous en votre présence, vivez-vous cela comme une maladresse ?

B. - Oui, c’est ça ! Quelquefois, quand j’entends "Oh la pauvre ! Elle ne voit pas", je leur dis "Je ne vois peut-être pas, mais je ne suis pas sourde", pour qu’ils sachent que j’entends et que j’ai une sensibilité. Mais bien souvent je les excuse, parce que je pense qu’ils se comportent comme cela par maladresse et par manque d’information. Si quelqu’un commence à me parler de mon handicap, je suis prête à discuter avec, pour lui expliquer certaines choses, en me disant que la prochaine fois cette personne sera moins maladroite.

H. - A partir de quel âge avez-vous commencé à mieux supporter ce genre de regard ?

B. - C’est en fait lié à la lecture d’un livre, écrit par un aveugle américain. C’est une autobiographie que j’ai lue quand je devais avoir une quinzaine d’années. Elle parle d’une personne qui a eu une adolescence difficile, bourrée de complexes, très agressive et qui s’en est sortie, qui a fait des études supérieures. Cela a été comme un déclic, ça m’a décomplexée et du coup, je n’ai plus eu du tout la même approche, en ce qui concerne les autres. Après, ce qui m’a aussi beaucoup aidé, c’est lorsqu’à partir de la seconde, j’ai quitté mon école spécialisée pour aller dans un lycée de "voyants". Ça m’a fait un bien énorme. Je ne supportais plus ce milieu fermé des handicapés, j’avais envie d’en sortir. C’était une démarche personnelle, on ne m’a rien imposé.

H. - Et comment s’appelle cet auteur ?

B. - Tom Sullivan et le titre français était : "Si tu voyais ce que j’entends". Je l’ai relu plusieurs fois depuis. J’ai quarante-cinq ans aujourd’hui, et plus j’avance en âge, plus je me rends compte qu’à chaque fois, j’en retiens quelque chose de nouveau. Quand on est adolescent, il arrive que l’on soit dans une grande souffrance. Avec l’âge, on acquiert une sagesse ou tout au moins un certain recul et même une forme d’auto-dérision sur les petites aventures qui peuvent nous arriver et qui nous heurtent énormément sur le coup. Par exemple, je me souviens lorsque je devais avoir huit-neuf ans, d’avoir un peu bousculé un balayeur en faisant du vélo. Il m’avait alors dit : "Et bien alors, tu n’y vois pas clair ?!" et j’étais rentré en pleurant à la maison. Sur le coup, cela m’avait fait de la peine. Avec le recul je me dis qu’à la limite, c’était presque un compliment, parce qu’il n’avait pas prêté attention à mon handicap. Il m’avait parlé comme à n’importe quel gamin qui lui aurait foncé dedans. Les gens qui disent qu’ils ne remarquent pas mon handicap ça me fait plaisir.

H. - Notre perception première est souvent faite de clichés, d’idées reçues. Avez-vous l’impression que ce que l’on voit d’abord, soit votre handicap ?

B. - On a souvent l’impression quand on rencontre des gens pour la première fois, qu’il faut quoi qu’il arrive que vous fassiez vos preuves, parce qu’a priori, personne handicapée égale souvent personne diminuée. Vous avez l’impression quelque part, qu’il vous faut conquérir votre interlocuteur. En ce qui me concerne, ce n’est maintenant plus une obsession. Les gens m’acceptent, tant mieux, s’ils ne m’acceptent pas, tant pis. Je n’ai plus cette hantise de vouloir plaire à tout le monde. Je suis comme je suis. On me prend comme je suis. Il ne faut pas être esclave de notre image, sinon on est toujours entrain de calculer. En plus, l’image que l’on veut renvoyer ce n’est pas forcément une vraie image, ça peut être une image truquée, une image trafiquée. Donc moi, j’essaie d’être le plus naturelle possible.

H. - Quel lien faites-vous entre image de soi et estime de soi ?

B.- Je pense que pour avoir une bonne image de soi, il faut avoir l’estime de soi. Donc si on est sà »r de soi, on doit renvoyer une image positive. Quelqu’un qui est un peu emprunté, un petit peu sur la réserve, renvoie forcément une image un peu plus négative. Maintenant, je n’ai pas l’impression de chercher à renvoyer une image quelconque. Cela doit se faire naturellement, instinctivement et à la limite, là on dépasse le côté image.

H. - Comment construisez-vous l’image des personnes qui vous entourent, sur quels critères ? Qu’est-ce qui est important pour vous ?

B.- D’après le son et le ton de la voix d’une personne, qui peut-être agressive ou enjouée. Dans la mesure où je n’ai pas d’image visuelle de la personne, je m’appuie sur une représentation mentale. Pour moi, tout passe par l’ouà¯e, ce qui me donne l’impression d’avoir une perception plus perspicace. Mais je sais que l’on peut avoir un sourire forcé. Je sais que l’on peut se cacher derrière un sourire. Pour la voix, c’est déjà plus délicat. A travers la voix, on laisse transparaître si c’est du sérieux ou si c’est trafiqué. Moi, les personnes, rien qu’à leur ton de voix ou à leur façon de me parler, je sais si c’est franc ou si c’est fabriqué.

H. - Notre société accorde une importance considérable à l’image. Comment vous situez-vous, par rapport à cela ?

B. - Et bien, je trouve justement que l’on accorde beaucoup trop d’importance à l’image. J’ai l’impression d’être un petit peu au dessus de ça, parce que je ne m’arrête pas au critère visuel, qui empêche d’aller au fond des choses. Je suis certainement moins sévère qu’une personne voyante qui va dire : "T’as vu la tête de celui-là , t’as vu comment il est habillé, t’as vu ceci, t’as vu cela, il est trop gros, il est trop maigre". Moi je suis à l’abri de ce genre de choses, puisque je ne vois pas. Je dirai même tant mieux, parce que cela m’évite d’avoir des préjugés sur des gens qui ont des problèmes ou une apparence difficile, mais qui derrière sont des gens de valeur. Effectivement, j’échappe au diktat de pas mal de codes liés à l’image. J’accorde moins de place à l’image que les voyants, et c’est peut-être pas plus mal.

H. - Le mot handicap véhicule une image. A votre avis, que mettent les gens derrière ce mot ?

B. - Le mot handicap en langage courant, ça sous-entend un problème, une difficulté, un manque. Effectivement, on ne peut pas dire que le handicap soit un avantage ; ce serait mentir. Moi j’appelle un chat un chat, je n’ai pas honte et je n’aime pas me cacher derrière des mots, qui ne veulent rien dire. Le mot handicap je l’accepte, je sais très bien ce qu’il veut dire. On peut très bien pallier un handicap et vivre avec. Ce qu’il y a de plus important, c’est apprendre à vivre avec. On sait qu’il est là , on s’organise et on sait qu’on n’y peut rien y changer, donc on fait avec.

H. - Merci


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