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« Tous en train de chatter sur MSN, comme les autres ! » - Le magazine - Témoignages - handimarseille.fr, le portail du handicap à Marseille
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« Tous en train de chatter sur MSN, comme les autres ! »

Handimarseille : Bonjour, est-ce que vous pouvez vous présenter ? Quelle est votre activité au sein de cette institution ?

Christelle Aguyon : Bonjour, je m’appelle Christelle Aguyon. Je suis professeur des écoles, enseignante.

H : Pouvez-vous nous donner votre propre définition de ce qu’est le handicap ?

C.A : C’est un trouble qui va empêcher le développement ordinaire d’un enfant, d’un adolescent puis d’un adulte. Ce n’est pas une maladie, c’est à différencier d’une maladie.

H : Quelles sont, d’après vous, les difficultés que peuvent rencontrer les enfants et personnes handicapées ?

C.A : Tout va dépendre du type de handicap, mais c’est majoritairement l’intégration. L’intégration scolaire peut poser des difficultés, mais aussi l’intégration sociale.

H : Pouvez-vous nous donner des exemples de ce qui vous a le plus marquée dans le cadre de votre travail, sur les difficultés que les enfants ont rencontrées ?

C.A : On a beaucoup de jeunes qui sont en retour d’intégration en milieu ordinaire, c’est-à-dire des jeunes qui ont été intégrés en milieu ordinaire en école et dont l’intégration s’est relativement... moyennement bien, voire mal passée, et qui reviennent chez nous avec des difficultés par rapport au regard de l’autre, essentiellement. Sans compter tout ce qui est troubles associés au handicap lui-même, par rapport à l’intégration sociale et autres.

H : Avez-vous été témoin de problèmes, de difficultés rencontrées par des enfants ou par des adultes, dans et en dehors de votre travail ?

C.A : De discrimination ? Oui, bien sûr ! En dehors du cadre de notre travail, mais aussi dans le cadre de notre travail : le regard porté sur nous en sortie. En général, on a un bon accueil. Ça va être le regard des passants, qui va être plus interrogateur qu’accusateur. Mais le problème c’est que souvent on ne donne pas la réponse, c’est-à-dire qu’ils ne vont pas venir nous poser la question, du coup on ne fait pas forcément la démarche quand on est en sortie de groupe, pour aller à leur rencontre et tout. Mais c’est assez riche quand ces moments peuvent se faire, en général.

H : Quand vous êtes face à ces difficultés c’est sur les moqueries, la honte, la gêne..?

C.A : Ce sont les jeunes qui vont se retrouver dans cette situation-là . C’est rarement de la moquerie en tant que telle quand on est en groupe, quand il y a des adultes autour. C’est rarement de la moquerie. Ça va plutôt être des questions, comment on fait pour se déplacer ? Comment on fait pour aller aux toilettes ? Plutôt de cet ordre-là, très précises en fait.

J’ai eu l’occasion lors de l’intégration d’un jeune du centre dans une école ordinaire à aller en amont à la rencontre des enfants justement pour discuter de l’intégration et des difficultés que pouvait rencontrer ce jeune. Le jeune n’était pas là ce jour-là . Du coup je leur ai proposé de poser toutes les questions qui leur passaient par la tête. Il y a vraiment eu des questions très terre-à-terre. « Comment il fait pour aller aux toilettes ? Comment il fait pour manger puisqu’il ne peut pas utiliser ses bras ? » Voilà, c’est des questions très précises et je pense qu’à partir du moment où on peut y répondre et que les gens sont informés... Le handicap c’est quelque chose qui fait malheureusement un peu peur, par méconnaissance en général. Après l’intégration s’est assez bien passée.

H : Comment vous avez ressenti ça ? Est-ce que vous avez plutôt essayé de rester extérieure, ou vous êtes intervenue dans une situation où il y a un manque d’ouverture ?

C.A : Justement en général j’essaie d’intervenir, mais de façon à ouvrir un dialogue, pas d’intervention où je vais donner une définition ou quoi que ce soit. Je vais plutôt essayer de faire rentrer nos jeunes handicapés en contact, en discussion avec les autres. Je vais servir de médiateur.

H : Et vous avez des moyens techniques ou même des disponibilités, pour qu’il y ait des relations entre personnes « valides » et personnes handicapées ?

C.A : Ici, dans l’enceinte de l’établissement, on essaie de mettre en place des activités qui vont amener les jeunes vers l’extérieur au niveau scolaire. Ce qui est vraiment plus ma partie à moi. Essayer de mettre en place des échanges (mais ça c’est vraiment à l’état de projet) avec l’un des deux lycées qui sont à proximité, mais je ne sais pas si cela pourra se mettre en place sur des thèmes particuliers. Cela permettra des intégrations, des échanges. On a déjà fait ça au niveau du sport.

H : Justement ça coïncide un peu avec ce que disait votre collègue : souvent on se heurte à de la méconnaissance, il faut essayer de favoriser les rencontres.

C.A : C’est difficile, parce que le handicap ça fait un peu peur tant qu’on ne connaît pas. Du coup, lancer une rencontre c’est un gros mécanisme. Soit les gens sont un peu sensibilisés, ça peut se faire assez vite... Si les gens ne sont pas trop sensibilisés, demander à une classe de rencontrer une autre classe, malheureusement, ça ne va pas se faire par projet d’établissement scolaire en milieu ordinaire, mais plus par des envies de gens qui vont porter un projet. Ce qui est un peu dommage.

H : D’après vous, quel est le genre de difficultés qu’ils doivent affronter pour pouvoir se faire accepter, ou pour pouvoir trouver un travail ?

C.A : Alors chez nous, les orientations sont de deux ordres. Il y a des jeunes qui vont être en capacité et qui vont avoir une reconnaissance de travailleur handicapé, et qui vont être en capacité de prétendre à avoir un travail, souvent en ESAT [1]. D’autres vont se retrouver en masse en maison d’accueil spécialisée où ils vont être amenés à avoir des activités (et à ce moment-là, pas du travail).
Du coup, c’est toujours un peu compliqué, même au niveau du monde du travail leurs possibilités sont réduites de par le fait qu’ils sont handicapés moteurs et surtout parce qu’ils ont des troubles associés importants, avec des dyspraxies [2], des dyslexies... après pour le monde du travail, la dyslexie c’est moins gênant. Mais la dyspraxie est toujours très importante.
L’orientation dans l’espace, tout ça. Pouvoir tenir un poste de travail en tant qu’ouvrier ça peut être compliqué. Il y a peu d’ouverture. Les jeunes qui sortent d’ici ne sont orientés en général que vers un seul établissement ESAT, où le nombre de places est limité. Il faut quand même savoir que 80% des jeunes qui sont ici, qui sont préparés à leur sortie, entre 14 et 18 ans (parce que c’est ce qu’on fait ici : préparation à la vie d’adulte) à un retour à domicile avec une prise en charge par des services sociaux ; mais quand même un retour dans les familles qui peut parfois être très compliqué, avec des difficultés d’insertion sociale. Pour assister à une activité il faut que le lieu soit adapté, il faut que la personne qui mène l’activité soit en capacité d’accueillir une personne handicapée à mobilité réduite, avec des troubles associés, et qui parfois n’a pas de langage... Des fois ce n’est pas évident. Mais là c’est plus le champ de ma collègue...

H : Que pensent votre entourage, votre famille de votre travail ?

C.A : J’ai été très soutenue par ma famille quand j’ai choisi de m’orienter vers le handicap. Mes collègues, mes amis trouvent que c’est bien mais ne comprennent pas tout à fait mon choix. Et mes collègues enseignants, j’ai la même formation qu’eux, mais ils pensent qu’à l’arrivée on ne fait plus tout à fait le même métier. Alors que je maintiens que je fais le même métier si ce n’est que j’adapte tout ce que je fais au handicap des jeunes. Mais je fais le même métier qu’eux.

H : Vous avez quels outils ? Comme les handicaps ne sont pas les mêmes...

C.A : On a des formations théoriques. Après c’est l’adaptation en lien avec les ergothérapeutes, les orthophonistes, les kinésithérapeutes pour les installations, les outils, tout ce qui tourne autour de ça aussi. C’est l’avantage et la richesse du travail en établissement. C’est de travailler avec plusieurs parties, rééducateurs, éducateur, enseignants, avec chacun sa vision et les échanges qu’il peut y avoir.

H : Qu’auriez-vous à dire sur votre travail, vos envies, les améliorations à apporter sur ce thème...?

C.A : Mon travail : j’ai la chance de me lever tous les jours et d’être contente de venir travailler, pas tout le monde a cette chance-là ! La motivation de voir les jeunes progresser ; même si des fois ça paraît dérisoire, il y a toujours du progrès, ce qui fait que c’est hyper enrichissant. Essayer toujours de trouver le petit truc qui va faire qu’ils vont un peu mieux comprendre, présenter d’une autre façon, mieux adapter au handicap de chacun. Ils ont tous un handicap différent à l’arrivée...
À améliorer : la loi de 2005 intègre les jeunes par obligation. Ce qui serait chouette que ça ne soit plus une obligation mais que ce soit une réalité de terrain ouverte à tous et offerte à tous, et pas une imposition. Parce que si on repart par rapport à l’Éducation nationale, effectivement il y a obligation d’intégrer les enfants handicapés dans les classes ordinaires. Ça c’est un point positif, c’est génial. Mais en réalité, dans les faits, est-ce qu’on donne vraiment des possibilités à ces jeunes-là , sans que les enseignants soient formés au handicap, avec tous types de handicaps possibles...? Ça a amené des limites et du coup ça rend certains enseignants frileux, en refusant ou alors en allant à reculons vers des intégrations qui pourraient se faire très bien avec l’aide d’institutions comme les nôtres, où l’on a des gens qui sont formés, qui sont compétents et qui pourraient aider. Mais parachuter un enfant handicapé dans un milieu inconnu avec des gens inconnus qui débarquent, qui ne savent pas et qui ont déjà 30 gamins à gérer... en moyenne 25 autres enfants qui ont déjà leurs propres difficultés à gérer... Rajouter un handicapé, certes avec AVS [3], mais qui n’est pas forcément toujours bien formé... C’est peut-être, des fois, ajouter un peu plus de handicap. C’est un peu dommage. Mais la loi est, à mon sens, une bonne chose. Seulement il va falloir attendre que les mentalités changent.

H : Il faut du temps pour ça...

C.A : Il faut toujours plus de temps. L’avantage c’est qu’il y a déjà la loi.
À partir du moment où on explique, tout se comprend et à ce moment-là, la différence est moindre. Il y a toujours une différence, sinon on ne parlerait pas de handicap... Mais en puisant dans le cas des jeunes qu’on accueille ici, ils sont handicapés moteurs avec troubles associés. Il n’y a pas de déficience intellectuelle, donc il n’y a pas forcément de retard par rapport aux autres jeunes au niveau des envies. Il va y avoir des retards par rapport aux apprentissages, parce que leurs troubles associés vont les freiner. Mais il n’y a pas de retard par rapport à ce qui leur plaît... Ils sont tous en train de chatter sur MSN comme tous les autres ! Ils ont tous leur crise d’adolescence.

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