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Le défi d’une infirmière travaillant auprès de personnes atteintes d’Alzheimer

Lorsqu’une personne âgée devient démente, l’un des choix qui se pose est le placement en institution. Mireille Parey, infirmière coordinatrice au sein d’une maison de retraite, Beau-Site de Marseille, nous transmet son expérience, sa vision de la maladie et ses envies pour ces personnes.

Handimarseille : Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Mireille Parey : Je m’appelle Mireille Parey, je suis IDEC (infirmière diplômée d’État coordinatrice) à la Maison de retraite de Beau-Site depuis 5 ans et j’ai été un an infirmière avant d’être IDEC.

H : Comment avez-vous été amené à travailler avec les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ?

M.P : C’est un petit peu le hasard. J’aime le travail médico-social, je suis infirmière dans le secteur médico-social et non dans le sanitaire. J’ai travaillé 3 ans à la Chrysalide donc c’est un milieu qui m’intéresse et j’ai été amené à faire des vacations pour arrondir les fins de mois et c’est comme ça que j’ai commencé à travailler en maison de retraite. J’ai trouvé ça très passionnant et notamment tout ce qui touche le cerveau et ses pathologies. Je me suis dit qu’on pouvait faire avancer les choses, notamment sur les projets de vie individualisés et surtout réussir modifier cette image de maison de retraite « mouroir ». Je suis venue ici pour relever un défi.

H : Combien y a-t-il de personnes souffrantes d’Alzheimer au sein de votre maison de retraite ?

M.P : On parlera d’Alzheimer mais également de démence apparentée, sur les 90 résidents de ce bâtiment, nous avons entre 65 à 70% de personnes qui souffrent de démence.

H : La maladie d’Alzheimer touche les personnes âgées et induit un déclin rapide des facultés. Quels sont les symptômes de la maladie ?

M.P : Ce qu’on remarque surtout en premier lieu chez les personnes qui débutent une démence, c’est le trouble de la mémoire immédiate c’est-à-dire qu’elles vont avoir des souvenirs très anciens, elles vont chanter, elles vont réciter les tables de multiplication, par contre, elles ne se souviendront pas de ce qu’elles ont mangé le midi. Souvent à domicile, on oublie les clés, le gaz et ce sont souvent des signes qui annoncent une entrée dans la démence.

H : C’est l’évolution-type de la maladie ? Y a-t-il un moyen de la retarder ?

M.P : Les troubles de la mémoire immédiate oui. Ce n’est pas évident. C’est souvent par paliers, ça dépend beaucoup des personnes et de leur démence, chaque démence a des signes bien particuliers. Ça peut évoluer assez rapidement comme très lentement.

H : Comment les malades vivent cette perte de leur faculté, en ont-ils conscience ?

M.P : Ils en ont conscience et souvent il y a des phases dépressives, quand ils sont dans cette phase à la fois de symptômes et de prise de conscience de la maladie. Je pense notamment à une dame que j’ai reçue récemment, qui cherchait ses mots or elle est tout à fait cohérente mais le fait de ne pas trouver ses mots, le fait qu’on la regarde, elle s’est aperçu de ses déficiences, elle était en larmes. Il y a une période où vraiment la personne souffre.

H : Est-ce qu’il y a un travail psychologique qui est fait pour ces personnes ?

M.P : Ce qu’il faut savoir, c’est que nous avons un accueil de jour qui est destiné aux personnes qui vivent encore à domicile afin que l’aidant puisse souffler. Cela permet à la personne de stimuler ses fonctions cognitives puisqu’on va travailler sur les repères temporo-spatiaux, on va discuter autour d’un café de l’actualité, on va faire des activités physiques, puisqu’il y a le matin, un réveil corporel fait par l’aide médico-psychologique, l’après-midi, ce sera plus des activités manuelles.
Nous avons eu la chance, dans le cadre du Plan Alzheimer, d’obtenir une labellisation pour être un PASA (Pôle d’activités et de soins adaptés) et par la suite, une aide-soignante formée en soins de gérontologie a été embauchée, elle s’occupe des patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé. Ces personnes résident chez nous, mais elles sont prises en charge par cette aide-soignante à partir de 11h30 jusqu’à 19h30. À compter de cet été, elles seront également prises en charge par une psychomotricienne et je trouve ça assez intéressant.

H : Le fait de stimuler le cerveau, de le faire travailler, est-ce que c’est une aide pour la personne ?

M.P : C’est très controversé. Certains disent que oui, d’autres non. C’est comme les médicaments, actuellement, nous n’avons aucune thérapeutique qui soigne la maladie d’Alzheimer, on va essayer de traiter le trouble du comportement.

H : Et pour vous qui êtes proche de ces personnes ?

M.P : Je ne suis qu’infirmière. Personnellement, je ne trouve pas qu’il y ait un grand effet des médicaments. C’est bien de combiner les deux, on peut essayer de combiner un traitement, plus une stimulation à la fois cognitive et physique. Mais juste l’un ou l’autre, ça n’a pas vraiment fait ses preuves, peut-être à un stade intermédiaire, à un stade de prévention, on a encore pas mal de travail à faire là-dessus.

H : À partir de quel moment y a-t-il une décision de placer la personne dans une institution telle que la vôtre ?

M.P : Cela dépend souvent des familles, qui souvent, sont dans le déni de la pathologie. Un bon placement doit se faire dans le calme et dans la sérénité et non pas dans l’urgence. Dans le calme et dans la sérénité, on peut être amené à se déplacer, à rencontrer la personne, lui expliquer comment on fonctionne, se présenter, je pense que c’est très important parce que vous imaginez la personne âgée est déjà en perte de repères, si du jour au lendemain, on la balance de son domicile à la maison de retraite, c’est difficile pour elle. Je préconise aux familles de le faire dans le calme et la sérénité, malheureusement, on n’est pas toujours écouté, parce que les familles pensent qu’elles détiennent la vérité.

Il y a aussi une problématique financière, ce qui n’est pas négligeable non plus. Si je devais donner un conseil, je dirais il vaut mieux placer une personne atteinte de cette maladie quand elle est encore consciente des choses, c’est-à-dire qu’elle pourra reprendre ses repères dans notre établissement, plutôt que d’attendre un stade trop avancé. Ça doit être terrorisant de se retrouver avec des gens que l’on ne connaît pas. Ce que j’ai lu, c’est qu’une personne en démence très avancée qui ne reconnaîtra plus les visages, ne saura plus ce qu’est un stylo, elle reconnaît tout de même la voix de ses proches, comme quand on est dans le ventre de sa mère où l’on reconnaît les voix et ça, apparemment, resterait jusqu’au bout, c’est pour cela que souvent, la famille a l’impression que la personne les a reconnu.

H : Qui prend la décision ?

M.P : C’est souvent la famille, ce n’est jamais une personne qui vient d’elle-même. Les médecins conseillent mais ils ne sont pas toujours écoutés. Les professionnels, nous ne sommes pas toujours écoutés.

H : Quel est le coût pour la famille ?

M.P : C’est ça qu’il faut se dire, c’est que nous ne sommes pas l’hôpital. Cela coûte cher de placer quelqu’un dans une structure, ça peut aller de 2300 à plus de 3000 euros en fonction de la chambre, donc ça il faut les sortir.

H : Comment s’organise le travail auprès d’eux ?

M.P : La toilette est déjà un moment privilégié où l’aide-soignante va faire les choses en douceur. Il y a pas mal de choses à respecter, notamment rester en face et expliquer à la personne ce qu’on va lui faire, parce qu’une personne en perte de repères ne sait plus ce qu’est le bras, le pied et puis tant que l’on peut la stimuler, on va la laisser faire. Les aides-soignantes ont beaucoup de mérite, parce qu’elles se heurtent souvent à beaucoup de violence. Pour une personne âgée démente, ça peut être violent une douche, donc on va commencer par les jambes. Il y a tout un travail à ce niveau qui est important, au niveau corporel. Ensuite ces personnes sont préparées, elles vont aller soit à l’accueil de jour, soit au PASA ou sinon les personnes déambulent. Ça se passe plutôt bien, sachant que nous n’avons pas de zone réservée aux personnes démentes, aux personnes qui ont toute leur tête, tout le monde est mélangé, sauf pour les activités. On a pris le parti, par notre architecture, de mélanger les gens, de ne pas faire de ghetto, et honnêtement, à part de rares personnes qui ont été agressives avec d’autres, ça se passe plutôt bien.

H : C’est important qu’il y ait cette mixité entre les résidents ?

M.P : Je pense que c’est important. C’est plus de travail pour nous, c’est plus compliqué de gérer toutes ces personnes qui n’ont pas les mêmes pathologies, mais à la fois, je pense que pour les familles, c’est important. Il y a beaucoup de personnes qui étaient dans des « cantou », ces zones fermées, et qui sont venues chez nous.

H : Quelles sont les activités à mettre en place afin d’aider les personnes à maintenir leurs capacités ?

M.P : Je suis pour que ces personnes bougent un maximum, il y a une corrélation entre le psychique et le physique. Un cours de gymnastique est aussi efficace qu’un Exelon [ndlr : c’est un médicament], c’est ça qui est important et dans la prévention, on dit toujours qu’il faut faire de l’activité physique.

H : Réussissez-vous par ces activités à pallier certaines déficiences ? Un malade peut-il récupérer des facultés qu’il a perdues ?

M.P : Sur une démence, non, c’est inéluctable. Maintenant peut-être ça la ralentit, de toute façon, ça ne peut pas faire de mal. Après attention, stimuler tant que la personne en a envie, il ne faut pas la mettre en échec. On essaie de travailler autour du plaisir, on n’est pas dans la performance.

H : Le travail se fait aussi avec la famille ?

M.P : Oui, c’est essentiel. D’abord parce que la famille a une mauvaise image de la maison de retraite avec tout ce que l’on entend dans les médias et puis il y a cette image du mouroir, ensuite, elle a la culpabilité donc avec les soignants, ils vont être très agressifs. Il y a vraiment un travail à faire avec les familles. Parce qu’en plus, il y a les conflits familiaux qui resurgissent au moment du placement. Il y a tout un contexte qui fait que c’est très dur pour nous en tant que professionnels. Quelquefois, on conseille certaines choses, mais les familles ne veulent pas l’entendre, alors que nous n’avons rien à y gagner. On essaie de les faire parler durant des groupes de parole famille pour qu’ils puissent déverser tout ça.

H : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant toutes ces années ?

M.P : Les familles. Autant les résidents ont leur pathologie, on essaie de les gérer. On a de très bons retours de certaines familles, mais moi, ce sont les familles qui me posent problème, vraiment, parce qu’à partir du moment où ils paient, c’est problématique cette ingérence de la famille dans les soins et ce manque de confiance alors que ce sont eux qui ont quelquefois des problèmes, des familles qui se déchirent, qui ne se parlent pas...

H : Est-ce qu’il y a un suivi psychologique pour le personnel ?

M.P : Oui. On fait des analyses de pratiques pour les aides-soignantes, sur la base du volontariat. C’est vraiment pour elles, où elles peuvent décharger tout ce qu’elles vivent, parce qu’une personne démente peut être extrêmement agressive, vous griffer, vous frapper, vous cracher dessus...Ce n’est pas simple de garder son calme et son sang-froid en toutes circonstances, donc c’est pour ça que pour moi, il est important qu’elles puissent dire madame untel, je ne la supporte plus, ça permet de pallier la maltraitance. Quelqu’un qui ne dit jamais rien, c’est suspect, je préfère qu’on me dise : « je voudrais changer de secteur, je ne la supporte plus, faites quelque chose ! » Les aides-soignantes sont vraiment très proches des résidents et ce n’est pas simple de gérer le décès de personnes pour lesquelles elles se sont investies, donc ces groupes de paroles ont une importance pour les soignants.

H : Si vous aviez un message à faire passer aux familles et aux proches de ces personnes, ce serait lequel ?

M.P : Ce serait « faites confiance aux professionnels ». Il y a des équipes formidables, dans certaines structures en tout cas, qui essaient de faire leur maximum et c’est dommage de mettre tout le monde dans le même panier.
Après, il faut savoir que quand on rentre en maison de retraite, on va y mourir, donc il ne faut pas être dans le déni de la mort parce qu’on va tous y passer. Dans tous les cas, le risque zéro n’existe pas, ce n’est pas parce qu’ils sont en maison de retraite qu’ils ne vont pas tomber ou mourir ou qu’ils vont s’améliorer, non ce n’est pas ça... Notre mission à nous, c’est déjà une meilleure surveillance que ce qu’ils peuvent avoir à domicile, qu’ils ne soient jamais seuls, que l’on propose des activités, qu’ils se réalisent, qu’ils soient bien, qu’ils ne souffrent pas, qu’ils mangent bien, parce que ça je pense que c’est important, et on les accompagne tranquillement vers la fin.

H : Y-a-t-il un sujet qui n’aurait pas été aborder et dont vous aimeriez parler ?

M.P : J’aimerais que l’on ait plus de moyens, que les gouvernements pensent un peu plus aux personnes âgées !

Propos recueillis par Yoann Mattei


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