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Je suis la preuve qu’une personne handicapée peut avoir des enfants

Pierre Carrasco n’a pas du tout l’image d’une mère handicapée, mais plutôt celle d’une femme qui vit à 200 %, une bonne vivante qui sait s’entourer de personnes de qualité. Il est fier des combats qu’elle mène et de la force qu’elle a su lui transmettre. S’il n’a pas souffert du regard des autres c’est qu’il a su prendre le recul nécessaire, il regrette juste les jugements de ceux qui ne connaissent pas...

Je suis la preuve qu'une personne handicapée peut avoir des enfants

Handimarseille : Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Pierre Carrasco : Je suis Pierre Carrasco et je suis le fils de Yvette Boyer, j’ai 22 ans, je suis actuellement militaire en phase de reconversion dans la métallurgie.

H : Vous avez une mère en situation de handicap, quand et comment avez-vous réalisé cet état de fait ?

P.C : Depuis que je suis tout petit, je la vois en fauteuil, je n’ai pas l’image d’une mère handicapée, vu que j’ai toujours connu ma mère comme ça, ce n’est pas comme si elle était passée de valide à invalide. Pour moi, c’est une mère normale.

H : Y a-t-il eu des étapes dans la compréhension de cette situation ?

P.C : Pas vraiment, parce que ça s’est passé tout naturellement. En fait, j’ai compris qu’il y a des choses que je ne pourrais pas faire comme les autres, mais en fait, elle a remplacé son côté physique par tout ce qu’elle pouvait, le côté affectif, protection, ce qui fait que je n’allais pas partout avec elle mais elle me soutenait dans tout ce que je faisais. Elle essayait d’être le plus près de moi. Je n’ai pas eu de manque sur ce côté-là, ou des moments à me dire : « ah ben ma mère est handicapée, je ne peux pas faire ça. » Elle venait toujours s’il y avait des réunions parents-professeurs. Tous mes amis ont de suite vu qu’elle était handicapée, il n’y a jamais eu de souci et je n’ai jamais eu de problème avec cette image-là des personnes handicapées.

H : Lorsque vous disiez à vos amis que votre mère est en situation de handicap, comment réagissaient-ils ?

P.C : Quand j’étais petit, ils se posaient des questions ; mais vu que c’est elle-même qui venait toujours, c’est elle qui répondait souvent aux questions. Je n’en parlais pas non plus, vu que pour moi, ce n’était pas quelque chose à raconter, donc ça s’est toujours bien passé. Ce qui est comique, c’est que j’ai plus de questions maintenant, étant « adulte », et dans ma vie social,e que quand j’étais petit où ça s’arrêtait aux questions banales maintenant c’est : « comment elle a fait ? Comment ces personnes peuvent avoir un enfant sans qu’il y ait de problème ? » Je leur réponds que je suis là , que je ne suis pas handicapé. Je n’ai pas de problèmes de santé, au contraire, les seules problèmes de santé que j’ai, c’est de mon père qui est valide. Je n’ai rien reçu de ma mère, je suis la preuve qu’une personne handicapée peut avoir des enfants, c’est ce qui me fait rigoler.

H : Et cette curiosité des gens, ça vous dérange ?

P.C : Non, parce que je leur réponds, après il y a des personnes qui le comprennent moins. Je suis déjà tombé sur des personnes qui ne comprenaient pas du tout qu’une personne handicapée puisse avoir des enfants. Après, j’essaie d’écourter la chose, si la personne ne veut pas comprendre que tout le monde peut avoir des enfants sans forcément générer des problèmes.

H : Par moment, vous avez du mal à l’accepter ce handicap ?

P.C : Pas vraiment non, c’est quelqu’un qui est très présent. Elle avait commencé à faire des études de droit, quand j’étais à l’école elle les a arrêté pour s’occuper de moi quand je rentrais, vu que mon père passait une spécialisation dans son travail donc, pour qu’il y ait toujours quelqu’un auprès de moi, elle était là . Elle avait déjà une fille au pair, ce qui faisait que ça remplaçait un peu ma mère, sur tous les à-côtés comme venir me chercher à l’école ou faire une sortie, j’avais toujours quelqu’un qui était là pour remplacer ses bras et ses mains.

H : Avez-vous pu ressentir une gène par rapport aux regards des autres sur votre mère ?

P.C : Une fois, il y a une personne qui disait « Mamie, passe la deuxième ! », vu que ma mère a son fauteuil à moteur et à plusieurs paliers, je lui balançais la réflexion et je disais « non, non, c’est juste ma mère qui est derrière. » Ça m’énervait, à certains moments de ma vie, j’acceptais moins les réflexions.

H : Ce sont des gens de l’extérieur, pas vos amis du collège ou du lycée ?

P.C : Ce sont des personnes que je croisais des fois et je sentais qu’ils allaient porter un jugement sans connaître la chose. Je juge quand je connais, c’est pour ça que quand on parle de religion, je ne dis jamais mon point de vue parce que je ne connais pas toutes les religions, tous les textes. Je n’appréciais pas que des personnes se permettent de juger ou qu’on me dise on ne peut pas avoir d’enfants quand on est handicapé, ben si tu savais que c’était possible, tu ne dirais peut-être pas ça.

H : Est-ce que c’est facile de débattre de ça avec les personnes ?

P.C : En règle générale oui, parce que je tombe sur des personnes assez ouvertes d’esprit qui ne connaissent pas beaucoup la chose, ou alors qui ont connu par manière indirecte des personnes handicapées, donc le débat est assez facile, vu qu’elles acceptent le fait de ne pas savoir tout sur tout. Après sur les personnes qui sont complètement fermées... J’ai une personne qui disait : « Non c’est la loi de la nature, si une personne est plus faible, c’est la loi du plus fort donc elle ne devrait pas avoir d’enfants. » Je suis déjà tombé au régiment sur une personne comme ça, je lui ai dit : « pensez ce que vous voulez » — j’ai grandi dans un milieu où mon meilleur ami, sa mère est handicapée — et je leur expliquais que je n’étais pas un cas isolé. Après, il y a certaines maladies qui sont héréditaires donc c’est vrai que là, le débat est un peu plus dur parce que de dire que l’on va mettre au monde, une personne en étant sur qu’elle sera handicapée, c’est quand même une question douloureuse.

H : En discutiez-vous avec vos parents ?

P.C : Pas vraiment, parce que moi le milieu handicapé, j’ai toujours connu ça. Mon père travaillant au centre Bellevue, quand on allait le voir au travail, il n’y avait que des personnes handicapées autour de moi. J’ai toujours été proche de ces personnes, ce qui fait que toutes les questions que j’aurais pu me poser, j’avais les réponses sans même les poser. Même sur la maladie de ma mère, quand on me posait des questions, je lui demandais ce qu’elle avait eu, ce qui s’était passé, mais ce n’est jamais quelque chose qui m’est venue naturellement. Pour moi, il ne s’est rien passé, elle est née comme ça. En discutant et en cherchant des réponses auprès de ma mère, elle m’a expliqué qu’elle avait une maladie, qu’elle n’était pas née comme ça, donc j’ai eu mes réponses un peu grâce aux personnes externes.

H : Le regard des autres a-t-il influencé, transformé le regard que vous portiez sur vos parents et votre mère en particulier ?

P.C : Jamais. Il y a quelques années, j’avais réfléchi à cette question mais je n’ai jamais eu un regard différent sur ma mère parce qu’elle était handicapée. J’ai toujours l’image de ma mère comme une mère, pas comme une personne handicapée. Il n’y a personne qui me mettra le doute, c’est comme ça, c’est ma mère avant d’être une personne handicapée.

H : Y a-t-il un moment où l’on dépasse le regard des autres, le regard social ?

P.C : J’essaie de prendre sa défense, alors qu’elle m’a prouvé qu’elle pouvait très bien répondre, au contraire, elle a une très bonne répartie là -dessus. Au début, quand je me baladais avec elle, qu’il y avait des réflexions, je leur en faisais aussi et puis avec le temps, j’ai vu qu’elle se défendait très bien toute seule et qu’elle n’avait pas besoin de moi pour se protéger.

H : Vous êtes fier de votre mère ?

P.C : Je suis fier de ce qu’elle fait, du combat qu’elle a pour être le plus autonome possible, de quitter les centres. Elle n’a pas de jambes mais c’est tout comme, elle fait sa vie. Si elle veut sortir le soir en boîte, elle peut sortir, c’est quelqu’un qui vit beaucoup. Quand elle est partie vivre à Marseille et moi à Gardanne, on a pris quelques distances et on se retrouvait par hasard dans une salle de concert ou dans des lieux communs. J’étais fier quand je voyais mes collègues dire : « ah ben il y a ta mère ». Elle vient aux mêmes trucs que moi, elle vit sa vie à 200 %. Je suis fier de ce côté-là de ma mère, qui est une bonne vivante et qui le restera jusqu’au bout.

H : Votre père est valide, votre mère handicapée, avez-vous ressenti un déséquilibre au sein du couple ou de la famille ?

P.C : Non puisque mon père a toujours traité ma mère comme une personne égale, quand il s’engueulait des fois, c’était : « bon ben je vais te coucher et moi je vais aller dans mon coin », et là il faisait sortir le côté handicap mais il n’avait pas le choix, si ma mère se couchait, il fallait qu’il y aille, mais sinon non, il y a toujours eu une part d’égalité entre eux. Vu qu’elle ne pouvait pas faire des activités avec moi, elle me protégeait beaucoup, elle m’aidait beaucoup donc c’est ce point-là qui créait des fois des disputes, ça aurait été une personne valide, elle aurait pu tout à fait faire la même chose, il y a beaucoup de mères protectrices donc ce n’est pas vraiment le handicap qui déclenchait les engueulades.

H : Comment décrieriez-vous vos liens avec chacun d’eux ?

P.C : Ce n’est pas le fait du handicap qui change la nature du lien. Ma mère a une famille très protectrice, mon père au contraire. Donc je suis plus attaché à ma mère, et j’ai plus de libertés du côté de mon père. Ce sont des liens qui se font naturellement, ça vient des personnes, pas du physique.

H : Avez-vous eu tendance à protéger particulièrement votre mère ?

P.C : Non, c’est quelqu’un qui se bat, qui est toujours à fond, qui va au bout de ses idées, elle s’est toujours entourée des bonnes personnes donc même avec la distance, je savais que je n’avais pas besoin d’être présent, vu qu’en plus avec l’Armée, j’étais beaucoup en déplacements. S’il y avait un souci, on me le disait, mais la connaissant, j’étais serein. Je n’ai pas eu besoin de la surprotéger.

H : Considérez-vous que le handicap de votre mère a pu être un handicap pour vous aussi ?

P.C : Pas un handicap, une force, parce que ça m’a fait prendre des responsabilités beaucoup plus jeune. Comme mon père travaillait et qu’il fallait gérer, il ne fallait pas que je sorte avant telle heure parce qu’il fallait qu’elle mange, qu’elle se couche, il fallait que je gère tout ça et si je voulais sortir, il fallait que je rentre tôt pour l’aider. Cela m’a permis de grandir un peu plus vite, de prendre de la maturité. Elle ne voulait surtout pas que je souffre par rapport à son handicap.

H : Envisageriez-vous, comme votre père de vous mettre en couple avec une personne en situation de handicap ?

P.C : Ça ne me pose aucun souci, j’ai déjà eu une ex-copine qui avait une maladie voisine de la maladie des os de verre. C’était un autre truc à gérer mais je sais qu’à l’heure actuelle, il y a beaucoup de milieux comme ceux de ma mère qui ont été créés. Donc je pense qu’il n’y a aucun souci pour se mettre avec une personne handicapée. On a moyen de vivre une vie tout à fait correcte. On ne sait jamais ce que la vie nous réserve.

H : Quel message aimeriez-vous faire passer aux personnes qui liront votre témoignage ?

P.C : Qu’il faut prendre le temps d’écouter ces personnes handicapées, de ne pas avoir de jugements bloqués, il y a beaucoup de choses qu’elles peuvent nous apprendre parce qu’elles ont, depuis leur enfance, eu beaucoup de combats à mener. Elles ont souvent une joie de vivre et ce sont des personnes au grand cœur, donc il faut prendre le temps de les écouter, il faut arrêter de juger, de penser qu’elles sont inférieures parce qu’elles sont en fauteuil.

H : Y a-t-il un élément dont vous aimeriez parler et qui n’aurait pas été abordé pendant cet entretien ?

P.C : Ma mère est en train de monter des projets pour essayer de faire passer des lois comme en Suisse ou en Allemagne pour des assistants sexuels. C’est un débat qui est méconnu, ces personnes se sont données l’idée qu’une personne handicapée pourrait avoir une vie sexuelle sans forcément porter de jugements. Je reste toujours choqué par des médecins qui disent « vous êtes handicapé, vous ne pouvez pas avoir d’enfants ». Je trouve ça aberrant que des médecins, des professionnels de la santé se restreignent à dire cela, alors que physiquement ils peuvent. Elle lance un beau combat. Elle a été notamment au Salon de l’érotisme et ce qui est drôle, c’est que l’année dernière, toutes les personnes du milieu pornographique ont trouvé ce combat admirable. Ce sont des personnes très ouvertes d’esprit, qui justement, vu qu’il n’y a pas de tabous chez elles, étaient pour que cette loi puisse passer, quitte à faire une reconversion là-dedans.

H : Merci.

Propos recueillis par Yoann Mattei


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