Logement adapté - plus que l’habitat, le projet de vie
De plus en plus de personnes handicapées expriment la volonté de vivre à domicile. Le premier pas pour réaliser ce souhait c’est de trouver un logement adapté. Vivre chez soi nécessite un service d’accompagnement compétent et humain, un service d’aide aux personnes de qualité, qui prend en compte les besoins des usagers. Depuis plus de sept ans maintenant, HandiToit essaie de répondre à ces nécessités. Armand Benichou, président de l’association a répondu à quelques-unes de nos questions.
H - En tant que président, pourriez-vous présenter votre association ?
Armand Benichou - Avec plaisir. L’association HandiToit a été créée en mars 2002 à l’initiative de trois associations au sein desquelles se trouvaient des personnes avec des problèmes, à la fois de vie à domicile et de logement. Certaines de ces personnes vivaient en établissement et ne voulaient plus y rester. D’autres, vivaient à domicile mais dans des conditions qui n’étaient pas adaptées à leur handicap. D’autres encore, qui étaient parents de jeunes handicapés voulaient trouver une formule qui leur permette de se sentir chez elles et de vivre comme tout le monde. Sur ces différents besoins, ces trois associations se sont retrouvées dans des réunions organisées par le Conseil Général des Bouches du Rhône. Elles ont pu échanger sur ces questions et ont pu réfléchir à différentes solutions pouvant répondre aux trois préoccupations que je viens d’évoquer. Elles ont finalement décidé de créer l’association HandiToit Provence. HandiToit Provence a donc pour objet de faciliter la vie à domicile de personnes handicapées, avec des solutions de logement adapté, bien sà »r, mais aussi dans la recherche d’aides permettant la vie à domicile. On sait tous ce dont a besoin une personne lourdement handicapée et dépendante. Ces aides permettent de rester chez soi, de pouvoir être pris en charge à la fois pour le lever, le coucher, la toilette, la préparation des repas et autres.
H- Quelles sont ces aides ?
A.B. " Aujourd’hui, dans la formule qui existe, nous permettons à des personnes lourdement handicapées de vivre chez elles dans des appartements qui ont été totalement adaptés à leur handicap physique. Nous nous adressons exclusivement à des personnes handicapées physiques. Ces appartements sont totalement adaptés avec, bien sà »r, des portes suffisamment larges pour pouvoir circuler, des salles de bain adaptées, où l’on peut sans difficulté accéder à des bacs à douche extra plats. Les personnes peuvent accéder également à leur balcon. L’ouverture des portes est automatisée, la porte d’entrée de l’immeuble comme la porte palière. L’ascenseur est suffisamment large pour que les personnes puissent l’emprunter sans difficulté, et toutes les parties communes sont accessibles. Ça c’est pour le logement proprement dit. En ce qui concerne le service, les personnes ont besoin d’une aide au quotidien. Cette aide est à la fois, comme je vous disais précédemment, pour le lever, l’aide à la toilette, la préparation de repas, l’habillage, bien sà »r, les courses, l’entretien de l’appartement et tout ce qui concerne les tâches administratives. Les personnes lourdement handicapées savent qu’elles peuvent compter sur le dispositif que nous avons mis en place pour pouvoir obtenir cette aide au quotidien. Dans un même temps, elles sont chez elles. Elles n’ont pas quelqu’un 24 heures sur 24 mais elles ont la garantie de pouvoir demander qu’on intervienne en fonction de leurs besoins. Cela en appelant simplement, par un système de communication qui les relie directement au siège du service.
H - C’est un service attaché à l’association, qui gère toutes les demandes ?
A.B. - Absolument. Il y a 14 appartements dans le dispositif qu’on a installé à La Belle de Mai. Il y a 14 personnes qui vivent chez elles. Et dans le quinzième appartement, vous avez notre service SAMSAH. C’est à la fois le point d’accueil de tous les salariés, leur vestiaire, le lieu pour faire quelques démarches administratives. Ça leur permet aussi d’être proche de leur véritable lieu de travail, qui est le domicile des personnes chez qui ils interviennent. Ces salariés sont sous la responsabilité d’une directrice et coordonnés par un infirmier. L’infirmier coordinateur essaie d’organiser les interventions en fonction des besoins exprimés par les locataires usagers et en fonction de l’effectif du personnel dont il dispose. L’avantage c"™est qu’on intervient au rythme des personnes. Bien sà »r, il y a des contraintes par rapport au nombre de personnes, par rapport aux mesures d’urgence que peut solliciter telle ou telle personne. On essaie de caler notre fonctionnement au rythme des usagers. Il n’y a pas d’heure de lever, il n’y a pas d’heure de repas, il n’y a pas d’heure de coucher. Chacun est chez lui et vit à son rythme. On assure le lever, la préparation des repas et on va jusqu’au soir, où on sert également le dîner, on assure le coucher des personnes et on les veille. Il y a toujours quelqu’un de disponible, parce que les personnes se couchent à l’heure qu’elles veulent, elles peuvent se coucher à huit heures, comme à onze heures. Vous allez voir un spectacle. Il se termine à minuit. Alors il faut quelqu’un qui vous couche quand vous rentrez chez vous. Et si dans la nuit il y a un besoin, comme ça peut arriver pour tout le monde, les personnes qui sont de garde interviennent.
H - Vos actions s’inscrivent dans le cadre du service à la personne. Quels progrès voyez-vous dans ce domaine ?
A.B. - Nous avons réfléchi notre projet au début des années 2000. Entretemps il y a eu la loi 2005-102. A l’époque nous n’avions malheureusement que l’ ACTP, qui ne permettait de couvrir que deux heures et demie, trois heures maximum d’intervention. Donc c’était très difficile, pour des personnes lourdement handicapées, de vivre à domicile. Nous avons été un petit peu à l’avant-garde par rapport à la disposition de la loi 2005 sur les aides à domicile, puisque aujourd’hui, grâce à la prestation-compensation du handicap on peut obtenir des aides qui peuvent aller de trois à plus de dix heures pour certaines personnes, voire jusqu’à 24 heures si la personne est très lourdement handicapée. Si on regarde sur le plan général avec l’avantage des avancées de la loi 2005 concernant ce point bien précis, le texte permet à une personne lourdement handicapée de vivre chez elle, chose qui n’existait pas avant la loi. Il y a un progrès à ce niveau-là . Maintenant il est évident qu’il faut toujours réfléchir et être vigilant sur les besoins de la personne et l’interprétation de ses besoins par l’équipe pluridisciplinaire. Après il y a un autre niveau de discussion, celui de l’expression des besoins et l’appréciation de ces besoins par l’autorité qui finance. En règle générale il y a toujours, au final, un accord.
H - Comment aidez-vous concrètement les personnes handicapées à structurer leur projet de vie ?
A.B. - Dans la mesure où les personnes sont en capacité de définir et de gérer leurs besoins à domicile, nous considérons qu’elles structurent leur vie, leur projet de vie. On n’est pas dans un accompagnement à ce niveau-là , on n’est pas dans l’éducatif. On est uniquement dans une formule qui considère que les personnes qui sont capables de vivre chez elles, même si elles sont lourdement handicapées mais dans la capacité de faire leurs choix et de gérer leur quotidien, peuvent venir chez nous.
H - Est-ce que ce sont des personnes qui viennent vous voir directement ou elles sont envoyées par d’autres structures ?
A.B. - Souvent, elles ont entendu parler de nous. Aujourd’hui nous sommes quand même plafonnés au nombre de personnes qui existent dans notre formule, c’est donc 14 personnes. Après on est limités. Il y a des personnes qui nous contactent parce qu’elles sont intéressées. Elles font partie d’une liste d’attente qui peut éventuellement être utile si une personne venait à déménager ou si le nombre de personnes demandeuses nous amenait à réfléchir au développement d’une deuxième unité.
H - Selon vous, quels sont les problèmes principaux que rencontrent les personnes handicapées ?
A.B. - Bien évidement, avoir une vie comme tout un chacun, ça signifie de pouvoir être dans une maison adaptée. Ça, nous l’avons résolu. Mais une fois qu’on est hors de chez soi, qu’on est dans la rue, qu’on est sur le trottoir, on se rend compte que, malheureusement, la ville de Marseille est vraiment très en retard à ce niveau-là . Nous avons une voirie qui est vraiment dégradée ou pas adaptée, souvent inaccessible ou impraticable à cause de l’incivisme des automobilistes. Ensuite, vous avez également un problème au niveau du transport. On a une ville très en retard au niveau du transport. Si certains bus sont accessibles, les arrêts ne le sont pas. Certes, le tramway est intéressant mais compte tenu de son tracé il est quand même assez limité. Et le métro, on sait très bien que le métro n’est pas accessible. Donc, à ce niveau-là on se rend compte qu’avoir une vie comme tout un chacun c’est quand même difficile parce que, justement, les moyens de déplacement ne sont pas praticables. Bien sà »r, la ville de Marseille, voire la communauté urbaine, a mis en place un service de substitution qui permet aux personnes handicapées de se déplacer, mais c’est un service qui a du mal à satisfaire toutes les demandes des personnes. Les établissements recevant du public ont encore beaucoup à faire aussi. Certains lieux culturels sont accessibles mais beaucoup ne le sont pas. Il y a tellement de besoins, tellement de difficultés, que la personne concernée par le handicap trouve que c’est très long. La loi 2005 à quand même fixé l’échéance de 2015. Et 2015 c’est bientôt "¦ Je crois cependant qu’aujourd’hui on a quand même des perspectives un peu plus heureuses quand on voit Marseille, capitale Européenne de la culture pour 2013. Et quand on voit le plan d’aide que le Conseil Général a voté à destination de la communauté urbaine de Marseille. Les moyens ont été votés. Il va il y avoir beaucoup d’investissements qui vont être faits. Alors si Marseille change de visage, et si ce nouveau visage de Marseille n’inclut pas dans sa totalité l’accès à la circulation, ou tout simplement à la vie citoyenne et sociale des personnes handicapées, alors ce serait grave.
H - Quelle évolution imaginez-vous dans le domaine du service aux personnes handicapées ?
A.B. - Il faut prendre en compte le souhait et le désir des personnes handicapées. Il n’y a pas une solution identique pour tout le monde. Il faut que les services s’adaptent en fonction du besoin exprimé par la personne. On parle de la vie à domicile mais il y des personnes qui doivent vivre en établissement. Il faut que l’établissement ait les moyens d’accueillir ces personnes et que cet établissement ait les moyens également de faire participer ces personnes à la vie de la cité. Il faut que les conditions d’hébergement se fassent dans le respect des personnes, avec du personnel qualifié. Et aujourd’hui, là où le bât blesse, c’est qu’on a de plus en plus de personnes qui interviennent dans l’aide à domicile et dans l’aide aux personnes handicapées, et on se rend compte qu’il y a quand même de gros gros efforts de formation qui sont à faire.
Il y a un deuxième axe, c’est l’accès au logement en général. Il faut pouvoir trouver des bailleurs qui acceptent de faire des logements adaptés. Si les bailleurs, en amont, réfléchissaient à réserver deux ou trois appartements dans un programme d’une cinquantaine de logements, ça permettrait d’aller très vite dans l’attribution. Il y a un gros travail qui a été fait avec l’appui du Conseil Général des Bouches du Rhône, de la Région, et prochainement avec le Conseil Général du Vaucluse, pour que les bailleurs aient connaissance des dispositifs d’aide au financement des surcoà »ts des logements adaptés.
H - Dans ce domaine, voyez-vous des progrès ?
A.B. - Ah, oui, absolument. Aujourd’hui les bailleurs ont bien intégré cette notion de logement adapté et grand nombre d’entre eux intègrent dans leur production des logements adaptés.
A titre indicatif, pour ce mois de mars il y a six personnes qui vont emménager dans des appartements adaptés. Alors ce n’est que six personnes, mais si HandiToit n’avait pas eu cette démarche il y a deux ou trois ans, ça aurait été zéro aujourd’hui.
H - A Marseille, c’est HandiToit qui aide des bailleurs à détecter des besoins ?
A.B. - Aujourd’hui HandidToit a identifié près de 250 demandes de personnes handicapées et c"™est ce qui nous a incité à aller demander des logements adaptés à destination de ce public. Nous essayons de mettre en place une plate-forme du logement adapté qui va permettre de concrétiser cette adéquation entre les offres et surtout les demandes, et donc d’informer plus précisément les bailleurs pour qu’ils intègrent ces informations à leurs projets.
H - 250 demandes, ça me paraît beaucoup.
A.B. - Je suis sà »r qu’il y en a beaucoup plus. Il y en a peut-être dix fois plus, parce que tout le monde n’est pas identifié.
Le contexte positif c’est qu’il y a encore beaucoup à faire mais dans la mesure où les bailleurs ont intégré cette notion, on peut dire que la mécanique est lancée et ça va se solutionner. Sans vouloir avoir d’excès d’optimisme, on peut dire qu’aujourd’hui des choses sont quand même prometteuses.
Il y a encore des choses à revoir. C’est pas encore la panacée mais je crois que cet élan que la loi de 2005 a suscité est une bonne chose. Ça avance mais il faut être vigilant. Les choses doivent être pratiques pour tout le monde. Quand on évoque les avancées ou les problèmes que rencontrent les personnes handicapées, ce n’est pas seulement les personnes handicapées qui les rencontrent. Il faut conserver un principe d’universalité. Si on fait quelque chose pour une personne, on le fait pour tous.
H - Merci de nous avoir accordé cet entretien.
Propos recueillis par D. Marciano le 13 mars 2009
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