Entretien avec Rémy Marciano, architecte
L’architecture, ou l’art de construire des édifices. Comment l’architecte appréhende-t-il le handicap et les problèmes d’accessibilité des handicapés ?
Rencontre avec l’un d’entre eux.
Q - Rémy Marciano, bonjour, et merci de nous recevoir. Dans le cadre de notre dossier thématique "Droit de cité", nous avons interrogé précédemment un urbaniste, Marc Petit, pour avoir son point de vue sur le handicap. Nous nous intéressons maintenant à la vison de l’architecte que vous êtes. Pouvez-vous nous dire, d’abord, comment prend forme un projet d’architecte ?
R - Un projet d’architecte naît d’abord d’une demande, et cette demande, elle, peut naître d’un besoin. Ce besoin, il peut être appelé par des citoyens, il peut venir d’un politique, ou ça peut être les deux. Généralement, les besoins résultent de l’analyse de certains constats qu’on fait aujourd’hui. Le dialogue entre un maître d’ouvrage, un politique, des conseillers... fait apparaître des besoins de projets. Bon, là , je parle des projets publics. C’est plutôt le sujet puisque ce sont les bâtiments publics, aujourd’hui, qui sont un peu plus à la page pour ce qui concerne la mise en conformité aux normes d’accessibilité, même si ça se généralise aussi dans le logement...
Q - Et pour le domaine privé ? Est-il dans cette problématique ?
R - Il n’y a pas forcément d’obligations. Les textes de lois ne sont pas les mêmes pour les bâtiments publics ou les bâtiments privés. Un privé fait ce qu’il veut, finalement. S’il le veut, un privé peut se faire une maison avec huit étages sans ascenseur. Il ne pourra pas recevoir de personnes en fauteuil au huitième étage, mais on est dans le domaine privé, là . Après, il y a des hiérarchies. Il y a ce qu’on appelle, par exemple, des bâtiments qui sont classifiés "code du travail", donc ce ne sont pas des bâtiments publics, mais ce sont par contre des bâtiments dans lesquels on doit respecter certaines normes d’accessibilité un peu moins contraignantes, parce qu’on considère que dans ces lieux privés, on peut aménager, par exemple, des bureaux pour une personne en fauteuil roulant au rez-de-chaussée d’un bâtiment de bureaux. Alors, en effet, il n’aura pas forcement accès aux étages supérieurs"¦ D’une façon réelle et concrète, le besoin d’accessibilité d’une personne en fauteuil dans un bâtiment public est plus intéressant et plus justifié.
La personne en fauteuil, elle ne va pas frapper à la porte d’une entreprise privée pour rentrer et dire "je veux aller dans vos services". Par contre, si elle arrive dans une bibliothèque ou dans un musée, c’est légitime qu’elle puisse accéder partout où vont les autres"¦
Q - Ce sont des endroits publics accessibles à tous...
R - Voilà , c’est ça la base, je crois. Après, comme je vous le disais, aujourd’hui les choses évoluent aussi dans le domaine privé. Par exemple, dans la construction de logements, on doit adapter certains locaux, des salles de bain... Mais la législation pour le privé est moins imposante que dans le domaine public. Les normes dépendent du type de construction. Par exemple, certains établissements sont classés E.R.P. (Etablissement Recevant du Public). Pour les bureaux, on est dans une réglementation encore différente, qui s’appelle "code du travail". Il existe une réglementation spécifique aussi pour l’hôtellerie...
Q - Quelles sont les priorités d’un architecte ?
R - Les priorités d’un architecte qui travaille sur l’échelle d’un bâtiment ou sur l’échelle d’un quartier - parce qu’en tant qu’architecte, on est appelé aussi à travailler sur les échelles qui vont au-delà d’un simple bâtiment - c’est qu’un bâtiment soit en phase avec le contexte dans lequel il s’implante et réponde à une demande, celle du programme auquel il a été soumis. Mais dans son projet, l’architecte essaie d’aller au-delà de ce programme, essaie de tisser des liens avec le contexte, les gens... Moi - c’est personnel - dans mes projets, j’aime que mes bâtiments soient non seulement une réponse au programme, mais que par le jeu d’aménagements d’architecture, j’arrive à trouver aussi des espaces de transition, des espaces qui vont aller chercher les gens, qui vont tisser des liens, qui vont amener des morceaux de paysage. L’architecture est un peu un acte de violence puisqu’on arrive quelque part avec une masse construite. Il faut essayer, en contrepartie, de donner, d’amener quelque chose, d’offrir un apport avec ce bâtiment, que ce bâtiment ne soit pas seulement un inquisiteur mais qu’il soit aussi un lien avec ce quartier"¦
Q - Si je comprends bien, une liaison directe ou une cohérence...
R - Les deux. Oui, c’est ça, mais ça peut être aussi en rupture, si on considère un quartier en déclin. Par exemple, on peut considérer le projet comme quelque chose qui va redynamiser le lieu, comme un nouveau départ...
Q - Justement, le cas de Marseille est typique là -dessus parce qu’on joue entre l’ancien et le moderne, et on a essayé de composer avec.
R - Composer avec, ça ne veut pas dire être en veilleuse ou être dans la compromission. Ce n’est pas du tout ça. Composer avec, c’est au contraire aller chercher dans le laid, le mal foutu, aller chercher dans la ville chaotique, le potentiel poétique, aller chercher les vraies valeurs identitaires et les remettre en avant. Et montrer, finalement, dans cette architecture ou dans cette ville un peu mal foutue que l’on trouve des valeurs de poésie, des valeurs d’usage, qu’on trouve des liens, des choses qu’on a envie aussi de mettre en avant"¦ Souvent, un projet peut révéler des choses très positives dans des endroits qui sont considérés comme chaotiques. Si on prend l’exemple des ports, aujourd’hui tout le monde reconnaît que les ports sont des lieux de mixité, des lieux hétérogènes... Et on apprécie ces ruptures d’échelle, on apprécie ce chaos, à la fois d’être au bord de la mer et en ville, d’avoir des passerelles... Tout ce qui finalement crée une ville qui est assez riche. En tant qu’architecte, c’est ça que j’aime mettre en avant.
Q - Dans votre métier, il est donc indispensable d’aller observer.
R- Oui, la pertinence qu’il faut avoir quand on intervient en ville c’est d’aller chercher, d’aller regarder d’abord. Qu’est-ce qu’il faut conserver, qu’est-ce qu’il faut garder"¦ ? Voilà , ce qu’il ne faut pas renier dans un territoire quand on arrive. Enfin, on travaille le projet de façon à tisser des liens, à amener une touche qui est, qui peut être personnelle, ou qui peut être une réponse au programme en particulier, parce que le projet c’est aussi un scénario"¦ On est un peu comme des metteurs en scène. C’est-à -dire que dans un endroit donné, on va créer une approche vers le projet, on va créer des sensations nouvelles, on va donner du plaisir... Donc, on est aussi dans l’ordre de la fabrication. Mais on fabrique avec la matière qui est déjà là . Quand on réfléchit à un modèle d’urbanisme ou à des projets à venir, il faut surtout analyser ce qui s’est passé avant, comprendre, et être en phase avec la mémoire collective.
Q - Depuis les années 80, nous entendons parler des nouvelles politiques urbaines, que pouvez-vous me dire sur cette question ?
R - Je suis quelqu’un d’assez positif. En général, j’essaie de voir ce qu’on a eu de bon, les actions politiques ou les actions d’urbanisme... On peut dire deux mots de la reconstruction. La reconstruction répondait à un besoin provisoire de logement et malheureusement le provisoire est devenu définitif. On a gardé les bâtiments qui n’ont servi ni la profession, ni les gens qui vivaient dedans. Bon, je crois qu’on est tous d’accord sur ce point. Après le boom des politiques de grande échelle , on a eu un retour à la ville. Cela s’appelait "l’architecture urbaine". L’exemple typique de l’architecture urbaine, c’est Bologne dans les années soixante-dix. La reconstruction d’une grande partie de Bologne sur un modèle assez classique de rénovation de centre-ville à l’identique. Il n’est pas applicable dans toutes les villes. Cette ville avait un centre-ville, une histoire suffisamment intéressante pour appliquer cette méthode-là . Dans les années quatre-vingt, le modèle qu’on retient tous en terme d’urbanisme, c’est Barcelone. A Barcelone, ils ont eu cette chance d’avoir les Jeux Olympiques, et puis à partir de là , ils ont développé une politique d’urbanisme assez énorme, dans une ville qui ressemblait beaucoup à Marseille, avec cet aspect un peu chaotique. On peut toujours avoir des regrets, mais je crois qu’eux sont allés de l’avant"¦ Pour finir sur Barcelone, ils ont eu comme méthode de travailler principalement sur des petits espaces publics un peu dans toute la ville. Et ils disaient que ces espaces publics agissaient comme des "métastases positives", qu’ils allaient contaminer de façon très généreuse mais très positive tous les quartiers alentours, et c’est ce qui s’est produit ! En traitant de façon très consciencieuse des petits espaces publics, des petites places, des petits jardins, les quartiers ont pu renaître comme ça, et finalement se rénover à partir de ces espaces publics"¦
Q - Et en France ?
R - Moi, je considère que les grands changements ne se font pas qu’avec des mots, ne se font pas qu’avec des grilles que l’on va essayer d’appliquer, avec des chiffres des besoins en nombre de mètres carrés... Les grands changements, ils se réalisent avec des grands projets.
C’est ce qu’avait compris Mitterrand quant il avait fait ces grands projets à Paris : le Louvre, la Grande Arche, la Bibliothèque de France"¦ Des grands projets, ce sont des choses marquantes en terme d’urbanisme. Aujourd’hui, je trouve que l’urbanisme est trop dissout dans la ville, c’est-à -dire qu’il ne revendique pas suffisamment un point de vue, une attitude, contrairement au projet d’Euralille des années quatre-vingt où Rem Koolhaas, notre grand architecte hollandais avait proposé un travail complet de restructuration, de gestion de flux avec la gare, l’autoroute... Et c’est un projet qui a marqué la ville, qui a marqué aussi le public, l’opinion, et enfin les professionnels. Moi, je trouve que si, justement, on ne retient pas de grands changements à Marseille et à Paris, c’est qu’on n’a pas eu de grands projets d’urbanisme.
Q - En tant qu’architecte, quel regard portez-vous sur le handicap et les handicapés ?
R - Moi, je travaille avec et pour les handicapés. Les nouvelles lois sur l’accessibilité pour tous ont permis, souvent, de reconsidérer des programmes d’une façon différente en termes de logement, par exemple. Pour le logement, je trouve ça extrêmement positif. Pourquoi ? Parce qu’en gros, on gagne de la surface dans les logements. Et quelque part, ça a débloqué des idées reçues comme le fait de faire une cuisine isolée, par exemple. Aujourd’hui, dans un appartement, par rapport à ce qu’on appelle "l’handi-capabilité", on n’a pratiquement plus de cuisine isolée. Maintenant, on a des cuisines ouvertes, on sait gérer les odeurs par des hottes aspirantes performantes... Du coup, les appartements paraissent plus spacieux, les chambres sont plus grandes parce que le fauteuil doit circuler autour des lits... Alors bien sà »r, ce sont des contraintes, il nous faut reprendre énormément de choses, comme faire comprendre au client qu’on a besoin de cinq mètres carrés en plus par appartement pour appliquer ces normes. Souvent, on est plutôt gagnant car il y a une prise de conscience. Ça peut arriver à tout le monde, de se retrouver en fauteuil roulant ou bien de perdre la vue, et on se dit alors qu’en effet, c’est plutôt pas mal de pouvoir accéder partout... Après, ce qui est dur, parfois, pour nous autres architectes, c’est qu’il y a différentes commissions et certaines ne sont pas toujours très souples. Dans leur point de vue, on comprend toujours qu’il y a une volonté de rendre accessibles tous les lieux. C’est parfois un peu difficile et un peu contradictoire... Il faut s’adapter, il faut retrouver un vocabulaire, aussi, par rapport à tout ça. Et les solutions qui sont proposées sont souvent un petit peu dures pour nous, un peu frustrantes. Parce qu’aujourd’hui, si on a un poteau foncé, par exemple, et qu’on a envie de créer une colonnade de poteaux, la réglementation pour les handicapés va nous obliger, sur chaque poteau, à avoir des bandes blanches afin que les personnes mal voyantes puissent se repérer"¦ Ce sont des contraintes nécessaires, mais ça ne va peut-être concerner qu’une personne sur dix mille qui va pratiquer le bâtiment. Et ce bâtiment va être marqué, stigmatisé, alors que justement, on cherche à ce que les signes de cette "accessibilité pour tous" ne se voient pas. Finalement, ça stigmatise l’architecture, parfois... Ou plutôt, cela limite la créativité. Il y a une espèce de censure que parfois on vit mal. Par exemple, une commission d’accessibilité va nous obliger à rendre accessible à tout moment un lieu sans créer de marches, alors qu’on pourrait trouver un accès suffisamment généreux pour une personne en fauteuil. Une solution minimum pourrait être tout à fait recevable et on va peut être parfois trop loin dans l’application des réglementations. Aujourd’hui, pratiquement, il faudrait une ville plane... C’est impossible.
Là , je parle au nom des architectes. On a tous connu ça dans nos projets. Alors, il y a sà »rement des solutions. Peut-être qu’il faudrait qu’on travaille plus en amont avec les services d’accessibilité, peut-être qu’il faudrait des architectes qui se spécialisent là -dedans.
Q - Jauger les problèmes suffisamment tôt...
R - Voilà , pour éviter que la seule solution soit de mettre du rubané blanc sur les pavés en béton !
Et là , on peut dénoncer les contradictions de certains services. Par exemple, on a des services, à Marseille, qui vont aller nous titiller par rapport à du scotch sur les poteaux, par contre, la ville laisse tout le monde se garer sur les trottoirs ! On ne peut plus passer, on est obligé de circuler sur la route"¦ C’est insupportable et c’est le même service. Je parle de la ville de Marseille, mais ça doit se passer pareil partout. Et quand nous, concepteurs, on nous dit "vous allez mettre du scotch sur les poteaux pour les personnes malvoyantes", on se dit comment un même service peut nous imposer cela et ne pas se donner les moyens de verbaliser les gens qui sont garés sur les trottoirs"¦ On a une logique qui n’est pas appliquée en ville, alors que c’est l’endroit où le problème de la circulation est le plus sensible. Et il y a pire ! Je le sais pour avoir travaillé avec eux, que les services d’accessibilité reçoivent de nombreuses plaintes de personnes en fauteuil, qui justement se plaignent d’avoir, le soir en rentrant, de la merde plein les mains, parce qu’ils roulent dans la merde des chiens !
Q - Avant de concevoir et de présenter vos projets architecturaux prenez-vous en considération la population handicapée ?
R - Aujourd’hui, oui. Je pense qu’à une époque, ce n’était pas le cas. Aujourd’hui, un projet public dans lequel l’accès principal est un grand emmarchement d’escaliers, ce n’est plus possible, plus concevable. Un architecte ne proposera plus ça, parce que je crois qu’il y a eu une prise de conscience collective du handicap. Il y a des choses très importantes. Mais d’autres sont plus discutables, parfois un peu pénibles... L’accès, pour moi, est important. Qu’une personne puisse accéder à tout les niveaux, puisse accéder par l’entrée principale sans passer par l’arrière du bâtiment, par exemple, ça me paraît essentiel. D’autres problèmes pourraient être résolus sans nécessairement tout baliser.
Q - Le pouvoir politique est-il attentif à vos propositions en ce sens ?
R - Le pouvoir politique, il veut surtout se couvrir et respecter la loi, la réglementation"¦ Les lois se renforcent, ou disons, se complexifient. Elles sont censées être plus applicables, mais bon, on s’aperçoit que parfois, ça entre en contradiction avec beaucoup de choses. Quand un service travaille, il n’est pas forcement bien informé. Je prends un exemple : dans une cuisine, le service vétérinaire qui est chargé de faire respecter les normes de santé publique voudra, lui, que tout sol, mur, surface soit lisse, parce que le nettoyage est facile. Derrière, le service d’accessibilité passe. Pour lui, le sol lisse, c’est glissant... Que doit-on faire alors ? Ensuite, l’acousticien nous dira que cette cuisine est trop bruyante et qu’il faut des plafonds démontables, poreux. Mais c’est incompatible avec le service vétérinaire... Donc, on est sans cesse en train d’essayer de composer avec ces nouvelles lois, de chercher des prototypes... On se retrouve parfois avec des choses qui ne sont pas très heureuses. Que doit-on privilégier ? L’accessibilité, l’hygiène ou encore autre chose ? Répondre à des demandes contraignantes si on a des solutions adéquates, ce n’est pas un problème. Mais si elles sont en contradiction...
Q - Pensez-vous que la ville de Marseille soit particulièrement bien placée en matière d’aménagement urbain pour les handicapés ?
R - Oui, ils ont mis en place pas mal de choses pour les handicapés, mais comme je vous le disais tout à l’heure, les trois quarts de ces mises en place sont complètement détruites par le non respect, l’incivisme des Marseillais, et surtout le laxisme des gens qui sont chargés de faire respecter les parkings. Aujourd’hui, on manque de parkings, ou bien les parkings sont trop chers. Enfin, il y a une juste mesure à trouver entre proposer des parkings et proposer des moyens de déplacement pas trop chers. Mais on pourra faire ce que l’on voudra, c’est le comportement des Marseillais qu’il faut changer !
Q - Avez-vous déjà réalisé un projet concernant l’accessibilité des handicapés dans la ville de Marseille ?
R - Oui, le cours Jean Ballard. Ce n’était pas simple parce que c’est un endroit où il y avait beaucoup de dévers, pas mal de pentes. Et donc on a travaillé avec le service d’accessibilité pour que se soit praticable par tous"¦Après, bon, on travaille sur un espace public et aujourd’hui, qu’est-ce qui ce passe ? Les taxis se garent en triple file sur le cours ! Les gens qui travaillent au journal La Marseillaise continuent de se garer sur le cours d’Estienne d’Orves, même si il y a un parking en dessous. Mais en surface, c’est gratuit, et du coup, les automobilistes ne sont pas verbalisés... Cet incivisme est révoltant.
Q - Il y a t-il, à votre connaissance, d’autres villes françaises qui offrent une meilleure circulation dans la cité pour les handicapés ?
R - Oh, il y a des villes qui ont mis le paquet dans l’aménagement, oui. Strasbourg, avec l’aménagement de tramways. Bordeaux aussi. Après, en général, tout les projets qui se font aujourd’hui respectent la réglementation et deviennent accessibles"¦
Q - Cette question de l’adaptation du milieu urbain pour les handicapés est-elle, selon vous, une préoccupation majeure des politiques de la ville, des urbanistes et des architectes ? Quels sont les préoccupations prioritaires dans les réflexions d’urbanisation ?
R - Une préoccupation particulière à Marseille, parce qu’il y a des lieux qui sont justement marqués par la pente. C’est ça qui a fait la force, le charme de certains quartiers ou lieux. Et aujourd’hui, on se retrouve devant des situations où il faut adapter un lieu qui est marqué par ce qu’on appelle un "gradinage" ou par une pente. L’inaccessibilité en fauteuil, ça devient une histoire de fou. Ça peut contredire complètement l’identité même d’un quartier ou d’une rue. Voilà , on peut se retrouver face à des contradictions aussi"¦ Lorsqu’on tranche des décisions sur un projet, on a bien sà »r l’aspect réglementaire, mais on a d’autres aspects qui rentrent en jeu comme l’émotion, le respect d’une histoire"¦
Q - Si vous deviez proposer un concept pour les personnes handicapées, quels sont les éléments que vous mettriez au premier plan ?
R - Ce qui est bon pour les handicapés est bon pour tout le monde, je crois. Donc, des trottoirs plus larges, moins de voitures sur les trottoirs, déjà . Si on raisonne comme ça sur un cheminement accessible, on va faire plaisir aux personnes âgées, aux enfants qui apprennent à marcher, aux gens qui ont des poussettes... Une certaine générosité des espaces publics, c’est un premier point, et donc, une façon de repenser la ville pour le piéton en général"¦
Q - Existe t-il quelques architectes handicapés qui proposent des projets adaptés à cette population ou est-ce plutôt rare ?
R - Je crois que la qualité d’un architecte, c’est aussi sa capacité à rentrer dans la vie des gens. Voilà , ce n’est pas parce qu’on n’est pas musicien qu’on ne va pas concevoir une salle de spectacle"¦ Je crois qu’il faut prendre à bras le corps cette question du handicap, interroger les gens, les écouter, s’inspirer des expériences des personnes handicapées...
Q - Comment un architecte voit-il la ville au travers des prismes politiques, économiques et sociaux ?
R - Je crois que c’est d’abord une ville dans laquelle on a plaisir à vivre. Moi, en tant qu’architecte et en tant que citoyen, c’est un peu le point que je me mets en tête à chaque fois que je conçois. C’est le premier point parce que je suis vraiment un citadin. J’aime la ville et donc j’aimerais que les gens continuent à l’aimer, à y rester et qu’on ne tombe pas dans le travers d’une ville sectorisée. On peut regarder les État-Unis avec les endroits où l’on dort, les endroits où l’on va acheter à manger, les endroit où l’on travaille et finalement, la vie, on la trouve nulle part. On la trouve dans les centres commerciaux dans lesquels on vous donne une sorte d’image de vie artificielle. Au final, c’est simplement le temple de la consommation. Pour moi, ce n’est pas la ville...
Q - Quel est votre conclusion en matière d’accessibilité des handicapés dans la ville de Marseille ?
R - Il faudrait que chacun mette en application les demandes et, en premier lieu, que l’espace public soit davantage respecté par les automobilistes. Il y a sà »rement des moyens pour faire respecter aussi cette ville qu’on est en train de mettre en place pour tous. Parce que je crois que la ville a fait des efforts à ce niveau, pour l’accessibilité, pour les trottoirs, mais il faut aussi qu’elle arrive à faire respecter ces lieux publics. C’est plus difficile, j’en ai l’impression... Alors, oui, je crois que c’est le respect qui est important. Ce qui est frustrant pour nous, c’est de devoir vivre ou subir certaines choses, alors que la demande provient d’un réel besoin. Et puis, quand on parle d’accessibilité, c’est un un pas en avant. Et de voir comment cela se traduit parfois dans cette ville... Par exemple, on conçoit un commissariat avec un parking à quatre niveaux et deux jours après, on a déjà toutes les voitures de police garées dehors, alors que le parking est vide en dessous ! C’est ce genre de contradiction qui est énervante.
Propos recueillis par Mohammed Mahdjoub, le 12 septembre 2008.
Vous avez trouvé cet article intéressant ou utile, votez :