Changer les regards
La sexualité des personnes handicapées demeure un sujet tabou. Malgré toutes les campagnes d’informations de diverses associations, malgré des témoignages dans des émissions à la télévision, à la radio, sur les forums, les personnes dites "valides" persistent à voir les personnes handicapées comme asexuées. D’où préjugés et clichés.
François Crochon, l’un des deux sexologues de l’équipe du Service d’Accompagnement à la Vie Affective et Sexuelle des personnes en situation de handicap (AVAS) nous a expliqué quels étaient les objectifs de la campagne menée depuis 2000, date de la création du service. Ceci afin de changer les regards...
François Crochon - Handicap International a fait le choix d"™aborder directement la question de l"™intimité et de la sexualité des personnes en situation de handicap et/ou vulnérables, en créant, en 2000, le service AVAS (Accompagnement à la vie affective et sexuelle des personnes handicapées : http://www.hi-france.org).
Le but de ce service est d"™accompagner la mise en œuvre d"™actions favorisant l"™épanouissement et la vie affective, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap et/ou vulnérables. Depuis trois ans, le service AVAS forme également des professionnels à même d"™animer des groupes de paroles pour les personnes handicapées.
Il s"™agit, via différentes formations, outils pédagogiques et groupes de paroles, de favoriser non seulement la prise de parole des enfants, adolescents ou adultes, sur la question de la sexualité, de leur sexualité, mais aussi d"™accompagner les familles et les professionnels dans le cheminement vers la prise en compte de cette dimension et la levée des tabous.
L"™enjeu fondamental réside dans l"™accès et dans le droit à l"™intimité pour toutes les personnes en situation de handicap et/ou vulnérables. Le service AVAS, par ses différentes actions, cherche donc à créer les conditions de cette intimité, mais également à aider les personnes en situation de handicap et/ou vulnérables à comprendre leur corps, le respecter, respecter l"™autre, se positionner dans ses choix, en se sachant respecté.
H - En faisant partie du Collectif National "Handicaps et Sexualité" pourriez-vous nous présenter ce mouvement ?
F.C. - Suite au colloque « Dépendance physique : intimité et sexualité » à Strasbourg, les 27 et 28 avril 2007, les associations et personnes composant le comité de pilotage ont pris en considération l’expression des situations et des témoignages présentés. Les demandes exprimées avec force étaient de l’ordre de l’information, de l’écoute, de la prise en compte par les pouvoirs publics des problématiques, de l’aide concrète à l"™accès au bien-être, au plaisir et à la sexualité.
Association Française contre les Myopathies (AFM),
Association des Paralysés de France (APF),
Coordination Handicap et Autonomie (CHA),
Handicap International
Les signataires ont réfléchi aux moyens à mettre en œuvre pour proposer des réponses individualisées aux besoins et attentes exprimés par les personnes en situation de handicap. La création d"™un collectif avant la fin de l’année 2007 s’est imposée, avec pour objectif de favoriser l"™accès à la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap.
Objectif :
Revendiquer, proposer et promouvoir la mise en œuvre d"™actions favorisant l"™épanouissement et le respect de la vie intime, affective et sexuelle des personnes en situation de handicap quelque soit leur âge.
Le collectif peut être amené à conduire lui-même ou à accompagner la mise en place de ces actions ci-dessous.
Actions proposées par le collectif :
Prise en compte des dimensions éthique et juridique.
Etude des expériences et services favorisant la vie intime, affective et sexuelle développés en France et dans d"™autres pays.
Analyse juridique de la situation actuelle en France et en Europe ; propositions d’aménagements légaux et réglementaires.
Sensibilisation, lobbying et plaidoyer auprès du grand public, des pouvoirs publics et de l"™ensemble des acteurs concernés.
Sensibilisation aux besoins des personnes en situation de handicap et à l"™« auto-détermination » de la vie intime, affective et sexuelle.
Incitation et accompagnement des établissements et des professionnels à respecter cette auto-détermination.
Publications diverses sur toute question concernant la vie affective, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap (formation, législation, travail d"™accompagnement"¦.).
Conseil, orientation et accompagnement.
Création de centres d’écoute, d’information, de conseil et d"™orientation des personnes en situation de handicap, et de sensibilisation de leurs proches et des professionnels.
Mise en place de lieux ressources et d"™outils pédagogiques pour les professionnels.
Mise en réseau de professionnels ressources.
Promotion de l"™éducation à la sexualité à destination des enfants et des adolescents dans les services et établissements.
Mise en place de groupes de parole sur les sujets liés à la vie intime affective et sexuelle.
Formation de l"™ensemble des intervenants des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux.
Evolution des référentiels métiers, de compétence et de formation.
Introduction de modules spécifiques dans les cursus de formation initiale.
Elaboration de modules de formation continue pour les professionnels en poste et formation de formateurs.
Assistance érotique et/ou sexuelle.
Définition de l’assistance érotique, de l’assistance sexuelle et de leur cadre éthique.
Elaboration de référentiels métiers, de compétence et de formation.
Mise en place de services d"™assistance adaptés.
Moyens d’action du collectif :
Partenariat avec les pouvoirs publics (état, collectivités locales, élus"¦) et les institutions concernées.
Utilisation des réseaux associatifs existants.
Veille et sollicitation des médias.
Mobilisation d"™experts (éthiques, juridiques"¦).
Collaboration avec les centres de formation des professionnels des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux.
Travail en réseau avec des acteurs internationaux engagés dans des actions similaires (en Suisse, Allemagne, Belgique, Pays-Bas,"¦).
H - Quels sont les obstacles à la création d’un service d’accompagnement à la vie affective et sexuelle des personnes handicapées ?
F.C. - En France, des initiatives individuelles existent, mais cette activité ne s’exerce pas au grand jour car elle poserait la question de la prostitution et du proxénétisme.
Nous observons cependant une forte mobilisation des personnes handicapées elles-mêmes, à travers les blogs et les forums, qui est relayée par des associations très militantes qui ont pu recueillir quelques soutiens politiques forts (comme par exemple [NUSS Marcel, Le livre blanc, Dunod, Paris, 2008] : Catherine TRAUTMANN, députée européenne PS et Nicolas ABOUT sénateur UDF, Président de la commission des affaires sociales du Sénat).
Le principal obstacle aujourd"™hui reste donc le contexte législatif français :
Code pénal article L 225-5 alinéa 1 :
Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
1°. D"™aider, d"™assister ou de protéger la prostitution d"™autrui. ["¦]
Le proxénétisme est puni de sept ans d"™emprisonnement et de 150 000 € d"™amende.
Code pénal article L 225-6 :
Est assimilé au proxénétisme et puni des peines prévues par l"™article 225-5 le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
1°. De faire office d"™intermédiaire entre deux personnes dont l"™une se livre à la prostitution et l"™autre exploite ou rémunère la prostitution d"™autrui.
H - Quels sont les besoins le plus souvent soulevés par les personnes handicapées concernant leur vie intime ?
F.C. - Pour les personnes handicapées vivant en institution, leur demande repose essentiellement sur le fait que soit respecté leur droit à une vie privée et à l"™intimité. Droit qui peut se trouver lourdement entravé par des règlements intérieurs.
H - D’après vous, de quelles possibilités disposent les personnes handicapées aujourd’hui, pour avoir une vie sexuelle épanouie ?
Dans l"™absolu une personne handicapée n"™est pas nécessairement en situation de handicap dans l"™expression même de sa sexualité bien qu"™il soit nécessaire de prendre en compte, inévitablement, des singularités liées au type et à l"™ampleur de ses déficiences (motrice, sensorielle, mentale, "¦)
Il est donc absolument nécessaire de porter la même attention et le même soin à l"™éducation, l"™accompagnement et à la prise en charge de leur sexualité.
Le handicap n"™est pas un état figé, mais évolutif.
C"™est une notion relative qui est variable en fonction du contexte et de l"™environnement
C"™est un état qui peut être modifié grâce à la réduction des déficiences ou au développement des aptitudes ainsi qu"™à l"™adaptation de l"™environnement
Tout comme chaque être est unique en son genre, le handicap d"™une personne n"™est finalement dans sa sexualité que l"™expression d"™une facette supplémentaire de son individualité
H - Quelle est l’approche de la société par rapport aux problèmes de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées ?
F.C. - En mai 2006, l"™IFOP a réalisé, pour l"™Association des Paralysés de France (APF), un sondage1 portant sur les Français et les idées reçues à l"™égard des personnes en situation de handicap et la discrimination vue par les personnes en situation de handicap.
Couple et sexualité sont encore vus comme épreuve ou tabou :
87 % des Français interrogés pensent que vivre en couple avec une personne en situation de handicap nécessite du courage
61 % pensent que les personnes en situation de handicap n’ont pas de vie sexuelle
Ce sondage récent montre bien qu"™encore aujourd"™hui, un grand travail reste à faire autour des préjugés, à -priori et représentations que peuvent se faire « les valides » de la sexualité des personnes en situation de handicap.
"L"™adulte handicapé" va-t-il enfin être davantage reconnu comme "semblable aux autres personnes" plutôt que comme "différent" ? Celui qui, dans l"™expression de sa sexualité, peut, à sa façon personnelle, se poser les mêmes questions : Qui aimer ? Comment aimer ? Aimer sexuellement ? Passagèrement, durablement, avoir des enfants ? Vivre en couple ? Où ? Avec qui ? Avec quelles ressources ?
H - Merci d’avoir répondu à nos question.
Vous avez trouvé cet article intéressant ou utile, votez :