Entretien avec Marc Petit, urbaniste
L’objet de l’urbanisme est d’adapter l’habitat aux besoins des hommes. Comment ceux qui pensent la ville et la vie en société conçoivent-ils la place du handicap et des handicapés en milieu urbain ? Entretien avec l’un d’entre eux.
Q - Marc Petit, je vous remercie de nous accueillir pour cet entretien. Pouvez-vous nous dire comment un projet d’urbanisme prend forme ?
R - Vaste question... (rires). Alors, mon travail consiste, on va dire, à aménager des espaces pour une population, en répondant à des orientations politiques. Dans mon cas, c’est avant tout la gouvernance qui met en place le projet, puisque je ne travaille pratiquement pas pour le secteur privé. Malgré tout, d’une manière générale, même un projet d’ordre privé s’inscrit dans un cadre plus large qui est aussi public, puisque tous les espaces, mêmes privés, sont encadrés par une logique publique, celle des PLU (Plan Local d’Urbanisme) notamment. Donc, il y a quand même un regard du public dans mon métier qui est omniprésent.
Q - Quelles sont les priorités d’un urbaniste ?
R - (Léger rire). Les priorités, c’est de répondre, avant tout, à des orientations politiques. C’est quand même ça qui est la base : répondre à ce qu’on appelle l’intérêt général. L’intérêt général doit intéresser le plus grand nombre. C’est le fondement de notre questionnement d’urbaniste. Ensuite, c’est d’être en équilibre entre les financements, puisque évidemment, à côté d’une volonté politique, d’un projet technique, il y a des financements qui viennent aussi encadrer les choses. Un projet passe par une étude de faisabilité : sa maîtrise technique et financière. C’est un petit peu les grandes lignes, les grands points d’ancrage et de passage d’un projet urbain.
Q - Quelles valeurs rattacheriez-vous à l’urbanisme ?
R - On va dire les valeurs humaines, puisqu’il faut arriver à déterminer les espaces fonctionnels à long terme - ce qu’on appelle "durables" aujourd’hui - afin que les gens continuent de profiter de ces aménagements. Puis viennent les valeurs de l’architecture, de l’esthétisme urbain, de la qualité urbaine, du cadre de vie. Des choses de cet ordre qui renvoient toujours finalement à l’humain. L’architecte et l’urbaniste sont forcément liés.
Q - C’est la même famille ?
R - C’est une suite logique. A partir du moment où le cadre de l’urbanisme est mis en place, l’architecte peut venir s’y intégrer avec ses propres réponses, avec ses intentions qui peuvent être autant en synergie qu’en systémisme. Ça peut désorienter ou réorienter les choses. Aujourd’hui, on a des architectures qui sont, ou qui se veulent urbanistes. Quand on fait des grandes tours, par exemple, on peut se poser la question : est-ce que ce n’est que de l’architecture ? Cela peut être de l’urbanisme dans le sens où ça va être un repérage fort, un point majeur dans la ville. Par exemple, si on prend la tour Major qui fut un projet d’archi à l’origine, c’est aussi un projet d’urbanisme à un moment donné. La Vierge de la Garde, c’est la même chose, c’est un projet à la fois d’architecture et d’urbanisme. La volonté vient certainement, quand même, d’une volonté politique et publique d’oser habiller cette colline au milieu de Marseille. Aujourd’hui, on aurait pu imaginer une tour à la chinoise, par exemple, pour montrer la puissance de la bourse française ou je ne sais quoi"¦
Q - Pensez-vous que l’urbanisme s’inscrive ou doive s’inscrire directement dans la perspective d’une politique publique ou qu’elle lui est, ou doit lui être, autonome ?
R - L’urbaniste peut être autonome dans sa réponse de technicien, de praticien. Il peut affirmer un parti-pris urbanistique particulier, mais la gouvernance reste majeure puisqu’on ne peut pas, à mon sens, faire de l’urbanisme indépendamment de la société. De l’initiative privée ou individuelle peut naître un projet, c’est vrai. C’est-à -dire qu’il peut y avoir des urbanistes qui vont démontrer aux politiques le sens futur d’une action qui va finalement être politique. Mais au départ, cette action n’est qu’urbanistique. Par exemple, on peut imaginer qu’il soit bien qu’il existe aujourd’hui à Marseille une deuxième polarité forte et aller vendre cette idée à un politique. On a du mal, par exemple, à trouver un deuxième pôle autour de la Joliette. Eh bien voilà , est-ce que le technicien peut se permettre, à un moment donné, d’ouvrir un peu la porte ? Je pense que oui.
Q - Depuis les années 80, nous entendons parler des nouvelles politiques urbaines. Que pouvez-vous me dire sur cette question ? Est-ce que cela a changé depuis ?
R - Oui, évidemment que ça change. Cela change parce qu’on est parti d’une politique très sociale, ce qu’on appelait les quartiers sociaux, les DSQ, les choses comme ça, où la prégnance du social était très forte et où l’on pensait qu’on allait résoudre les problèmes sociaux uniquement par le social"¦
Q - Le cas de la mission Banlieues 89 (1) aussi"¦
R - Oui, le cas du 89, par exemple, où il y avait une grande idéologie autour de ces questions. Petit à petit, on s’est aperçu qu’on s’enfermait quand même dans ce système-là . Alors, on a vu apparaître une chose nouvelle dans la réflexion sociale. C’est le travail, par exemple. On s’aperçoit, petit à petit, qu’un quartier social peut intégrer de l’emploi, peut intégrer des activités pour modifier l’image, pour modifier le comportement des gens aussi, modifier l’image du quartier, lui donner une tout autre valeur...
Il faut se poser la question de l’intérêt, du sens des actions. La destruction massive de logements, par exemple. Ils nous ont fait croire qu’on allait construire avec ce système, mais si on regarde, il y a 0,7 ou 0,8 logement de construit pour un logement détruit.
Q - C’est une différence énorme !
R - Oui, pour l’instant on est plutôt en destruction, si on prend globalement ce qui se passe sur le nombre de logements depuis quatre, cinq ans"¦
On a démoli énormément et on n’est pas en capacité de reconstruire à la vitesse à laquelle on démolit. Quand on démolit cinq cents logements, il faudrait en reconstruire autant. Et il faut du temps, cinq, six, sept ans, c’est un minimum pour reconstruire tout ça. Il faut trouver des lieux, il faut trouver du foncier pas cher pour faire du logement social. Donc voilà , ça c’est inquiétant, mais en même temps, ce dont on s’aperçoit, c’est qu’on ouvre des quartiers. Je crois que la vraie question du logement social, enfin du quartier social, c’est de l’ouvrir sur son territoire, sur la ville, que des échanges se fassent. Parce qu’il n’y a pas de quartier urbain de qualité, où les gens se sentent bien, s’il n’y a pas des échanges forts entre les gens... C’est un vaste sujet !
Q - Maintenant, une question qui nous intéresse plus précisément : en tant qu’urbaniste, quel regard portez-vous sur les handicapés ?
R - Tout à l’heure, nous avons parlé de ce qu’était le métier d’urbaniste. Dans tout projet, il y a des strates politiques, financières... Et le handicap là -dedans, c’est une autre strate que l’on a vu apparaître dans le bâtiment et le droit. Une strate qui ne marchait pas bien, comme celle des pompiers, de la sécurité. Parce que les orientations, les prescriptions fonctionnent assez mal, parfois, avec les nécessités des handicapés. Il y a des choses qu’on a tenté et qui ne marchaient pas. Un exemple, j’ai eu des commandes de petits aménagements publics et un représentant de handicapés demandait à ce qu’ils puissent traverser notre future place. Il fallait donc être en dessous des cinq pour cent de pente. Mais le territoire, parfois, il est fait comme il est fait. Donc, cela implique encore une fois des réponses très techniques et coà »teuses. C’est la limite de toute chose. Alors, c’est sà »r, la réponse n’est pas satisfaisante si on s’arrête à ça. On a du mal à répondre à cette demande. On ne sait pas faire autre chose pour les handicapés que la fameuse rampe à quatre ou cinq pour cent, à l’exception d’un petit monte-charge ou d’un petit ascenseur. Et là , on peut nous rétorquer qu’il faut en faire plus, que les cheminements des handicapés soient les mêmes, finalement, que ceux des autres personnes pour qu’il n’ y ait pas de discrimination. C’est vrai qu’il y a un problème d’éthique, un problème de déontologie, des problèmes humains qui se greffent sur des problèmes techniques. C’est toujours un gros souci. Si l’on prend le métro de Marseille, par exemple, c’est le gag marseillais. On dit qu’il est fait pour les handicapés, mais il n’est pas du tout accessible aux handicapés ! Les écoles aujourd’hui ne sont pas prêtes, non plus, à recevoir les enfants handicapés. On accède aux deux écoles qui sont à proximité de mon agence par des escaliers. Et qui aura l’argent pour faire ça ? Malheureusement, c’est ça, la question actuelle. Demain, trouvera-t-on une autre réponse aux problèmes des handicapés ? Par exemple, le seuil de deux centimètres maximum. Ce seuil qu’un handicapé en fauteuil a du mal à franchir lorsque il est seul. On s’aperçoit que la plupart des magasins en France ne peuvent pas accueillir les handicapés si on s’arrête à cette question-là . Moi, j’estime qu’il y a une vraie question humaine et qu’au-delà des seules réponses d’architecture, il faudrait que les gens s’impliquent davantage autour du handicap et des handicapés"¦
Q - Avant de concevoir et de présenter vos projets en matière urbanistique, prenez-vous en considération la population handicapée, justement ?
R - Eh bien, j’essaie. Lorsqu’on fait une ZAC (zone d’activité de concertation) de quarante hectares, par exemple, là où on aura des pentes de forte importance, on va construire le cheminement dans la diagonale pour tenter de limiter, d’amortir de façon plus adéquate le cheminement pour l’handicapé.
Q - Pensez-vous que la ville de Marseille soit particulièrement bien placée en matière d’aménagement urbain pour les personnes handicapées ?
R - Je ramène toujours les choses à une espèce de réalité. A Marseille, il y a des pentes partout. Pour les handicapés, la pente est un vrai souci. Alors, quelle est la réponse ? Moi, je ne sais pas. Si on regarde, le Roucas Blanc c’est interdit aux handicapés. Il y’a des escaliers sur cent mètres de haut, on ne peut pas imaginer modifier la forme urbaine, c’est un vrai problème. Je ne sais pas répondre à ça aujourd’hui, parce qu’en ce domaine on est quand même tributaire de la topographie.
Q - Oui, bien sà »r, on ne peut pas démolir une colline...
R - C’est sà »r que si on prend la colline du Roucas Blanc, par exemple, à Marseille, cela serait un non sens et une aberration de se dire que dans vingt ans, on aura réussi à rendre la dernière maison en haut du Roucas accessible aux handicapés. Ça n’a pas de sens"¦ Enfin, peut-être faudrait-il revenir aux Romains et aux Grecs pour leurs poser la question ? Les Grecs adoraient construire en haut des collines. Les Romains, eux, aimaient construire dans les plaines. Ils étaient très puissants, alors ils construisaient dans les plaines. Ils construisaient là où le sol était plat. Ils n’étaient pas fous. Ceux qui avaient peur, ce sont les Celtes"¦ Enfin, nos ancêtres les Gaulois, eux, se sont mis sur des villages perchés, à croire qu’ils avaient pas de handicapés. Et les Grecs se mettaient sur tous les espaces dominants la mer. Puisque l’ennemi venait de la mer, il fallait le voir de loin.
Q - Oui, justement, ils étaient bien placés à Marseille.
R - La base grecque de Marseille, c’est bien le Panier avec sa hauteur et sa perception sur la mer.
Q - Avez-vous déjà élaboré un projet, réalisé ou non, concernant l’accessibilité des handicapés dans la ville de Marseille ?
R - Pas vraiment, bien qu’on ait travaillé sur la Cour d’appel de Marseille où, effectivement, on a rendu à peu près accessible tout le bâtiment puisqu’on a traité des connections entre deux bâtiments par des rampes en bois, l’accès à la cafétéria et à tous les lieux de convivialité. Et puis on a installé un ascenseur. Donc ça, c’est jouable, on sait faire. Sur ces questions, on a peut-être mieux réussi à résoudre certains problèmes dans le bâtiment que dans l’urbanisme. Quand on travaille sur une place, on essaie de trouver une cohérence sur la continuité du cheminement parce qu’on élargit la réflexion aux mamans avec leur poussettes, aux enfants, aux petits enfants, lorsqu’il y a une maternelle. Et c’était le cas autour de cette place sur laquelle j’ai travaillé. Il y avait une maternelle, une petite école. Donc, la continuité de l’espace public est un élément très fort, évidemment. Là , le handicapé s’y retrouve un peu, même si de temps en temps, il y a une pente trop importante. Mais, c’est là où nous pouvons imaginer que d’autres personnes puissent arriver pour l’aider à franchir les vingt ou trente mètres trop difficiles pour lui. L’idéal, ce serait d’avoir des espaces publics continus et sans obstacles"¦ Sans la bagnole, on va dire, finalement. Et puis, sans les bornes aussi, parce qu’à Marseille, on peut parler des bornes ! On peut parler de tous ces éléments, panneaux de signalisation et autres qui sont mis en plein milieu des trottoirs. Donc ça, c’est déjà prendre en compte l’handicapé. Faire en sorte qu’il y ait pas de point inférieur à quatre-vingt-dix centimètres entre un mur et un obstacle, c’est déjà important. Voilà , les choses comme ça... Pour ma part, l’attention est claire sur ces problèmes-là .
Q - Y a t-il, à votre connaissance, d’autres villes françaises offrant une meilleure circulation dans la cité pour les handicapés ?
R - Bon, je ne pourrais pas citer comme ça de ville en particulier, mais toutes les villes qui prennent en considération, par exemple, les déplacements doux, partent dans des réflexions sur le cheminement des handicapés. Il y en a qui ont plus de chance, si on prend une ville comme Nantes, ou d’autres villes "plates" comme Strasbourg, où on a mis l’un des premiers tramways de France. Je pense qu’on arrive à gérer beaucoup mieux la personne handicapée dans ce genre de ville.
Q - Selon vous, la population touchée par le handicap pose-t-elle un problème en matière d’aménagement d’espaces, ou cela vous semble-t-il tout à fait possible de l’inclure systématiquement dans les projets ?
R - Bien sà »r, je pense qu’il n’y a aucun souci, d’autant plus qu’aujourd’hui, on va vers ce que j’ai appelé les projets de déplacement "doux", offrant des alternatives à la voiture. La voiture évidemment est en soit un obstacle, un élément dangereux pour l’handicapé. Donc, le déplacement doux s’inscrit dans ce que je disais sur la continuité de l’espace public, un espace libre de tout obstacle. C’est une première réponse. C’est omniprésent dans notre réflexion urbaine. C’est vrai qu’il y a aussi la question du revêtement qui se pose. Si on met des revêtements trop mous, par exemple, on sait que pour les roues, ça sera compliqué, donc il faut aussi que l’aspect du revêtement soit intégré dans notre réflexion. Ce qui n’est pas si simple. Le pavé n’est pas pratique, le sable n’est pas pratique. Il faut tenter de faire des espaces homogènes et puis surtout, praticables pour tout le monde"¦
Q - Si vous deviez proposer un concept pour les personnes handicapées, quels seraient les éléments que vous mettriez au premier plan ?
R - Eh bien, je reviens à ce que je viens de dire. Pour moi, la continuité de l’espace public est l’élément majeur. Il faut absolument qu’on arrive à avoir l’espace libre de tout obstacle à travers les villes. Et c’est pour ça qu’il faut qu’un plus grand nombre puisse l’utiliser dans ces conditions avec, évidement, l’handicapé au milieu de ça. Il faut garder la diversité, la multiplicité des relations et des contacts dans un même espace. Juste pour finir, il y a le transport en commun qui est intéressant, évidement, et il ne faut pas omettre de donner l’accessibilité totale au transport en commun aux handicapés. Ça, c’est un élément très important.
Q - Il y a une question qui nous intéresse particulièrement : existe t-il quelques urbanistes handicapés qui proposent des projets adaptés à cette population ou est-ce plutôt rare ?
R - Alors, franchement, comme ça, je ne connais pas d’urbaniste ou d’architecte handicapé qui réponde à la question de façon plus précise que les autres. Non, je ne pense pas que ce soit une question spécialement pour les handicapés. Le handicap, c’est une question humaine. La réponse, elle est dans l’échange avec les autres, la compréhension avec les autres. Et, je pense qu’on soit handicapé ou pas, on peut comprendre l’autre si on s’en donne les moyens. Un peu d’efforts pour échanger, créer des réflexions... Non, je ne crois pas à ça. Au même titre que je ne pense pas que les femmes urbanistes aient répondu mieux à la question de la femme dans la ville. Je ne pense pas qu’il faille aller dans ce genre de direction qui deviendrait une discrimination. C’est une question sociale, une vrai question de société"¦
Q-Avez-vous quelques noms de personnes qui ont défendu la cause des handicapés en matière d’accessibilité dans la ville de Marseille ou cela reste-t-il un peu flou ?
R - Je sais justement qu’à la ville de Marseille, un des directeurs du service handicapé est une personne handicapée. C’est vrai, là cela peut se comprendre parce qu’il a une connaissance réelle et quotidienne. C’est la personne qui est capable d’être l’interlocuteur qui va faire revenir, remonter tout les problèmes de l’handicapé. C’est vrai, un handicapé est mieux placé que quiconque pour répondre sur cette question-là , soulever tous les problèmes, valider notre recherche. On est incapable de s’apercevoir, justement, qu’un seuil de deux centimètres peut être une contrainte forte. Pour ça, c’est vrai que c’est intéressant.
Q - Pensez-vous qu’il y a eu beaucoup d’efforts fournis ces dernières années pour améliorer la vie des handicapés dans la ville de Marseille ?
R - J’ai du mal à répondre parce que c’est une ville en retrait, et en retard sur beaucoup de choses. On a parlé du métro tout à l’heure. Je pense qu’on peut parler de l’équipement public en général. Alors, un effort certainement puisque de toute manière, il y a une loi. Mais Marseille est une ville pauvre, ou assez pauvre, et comme on l’a dit tout à l’heure, répondre aujourd’hui à la modification de bâtiments et des places publiques, ça coà »te beaucoup d’argent. Je pense qu’il y a des préoccupations malheureusement plus générales, plus généralistes en tous les cas, que de régler des problèmes de cheminement. Ça viendra certainement, et je pense qu’ils ont répondu à cela avec le tramway, par exemple. Donc, en matière de transport en commun, ils ont commencé à se pencher sur ce problème, heureusement. De toute manière, je pense qu’aujourd’hui tout le monde est sensibilisé sur ce problème.
Je vais vous dire quelque chose. Entre les années quatre-vingt-dix et quatre-vingt-quinze, c’était la maison individuelle qui était le vrai problème. On ne s’est pas posé la question de l’handicapé alors. Tout le monde a fait ces baraques individuelles. Est-ce que vous pensez que toutes les maisons individuelles ont été conçues et pensées avec des normes d’accessibilité ? Non, pas du tout. L’handicapé, s’il n’est pas pris en charge par le public, quelque part les gens n’y accordent pas beaucoup d’importance. Un des gros problèmes de l’époque, c’était qu’il fallait loger le plus de personnes. Mais on ne pouvait pas les loger au centre-ville. Donc, on les a mis en périphérie. On a développé des équipements tels que les autoroutes et d’autres choses, qui ont permis à une nouvelle population d’aller vivre dans leurs petites maisons individuelles. Donc la ville, petit à petit, s’est retrouvée un peu isolée. Puis à un moment donné, on s’est posé la question de savoir qu’est-ce que devenaient les centres-ville ? Marseille, il y a vingt-cinq, trente ans, c’était une calamité. Et c’était le lot de la plupart des centres-ville français.
Ces questions d’urbanisme et parmi elles ces questions d’handicapés, notamment, sont reposées sans arrêt et de plus en plus, avec une force évidente, par les professionnels, par les politiques, parce qu’on est en train de reconquérir les centres-ville.
Q - Quel est votre conclusion en matière d’accessibilité des handicapés dans la ville de Marseille ?
R - La conclusion, c’est de retrouver cette continuité, cette fluidité. Dans toutes les matières, actuellement, on est sur la recherche de fluidité. On s’aperçoit qu’il faut que les choses soient fluides. Céline disait que l’homme était lourd, très très lourd, et que sa lourdeur l’empêchait d’évoluer. Il faut qu’on devienne léger, fluide, passer partout, redonner l’importance à l’individu. Il faut que la fragilité de l’homme au milieu de la ville soit comprise, soit acceptée, soit prioritaire. C’est la fragilité qui doit l’emporter. On est loin du compte. Les choses sont fragiles et on ne veut pas le croire. D’où l’importance des transports en commun, en imaginant des transports qui fonctionnent bien et qui soient aussi continus. On retombe sur l’objectif politique. Tout ça, c’est de la politique"¦ L’handicap, l’humain est au cœur de la politique. Voilà , il faut y arriver.
Propos recueillis par Mohammed Mahdjoub, le 10 septembre 2008.
(1) Banlieues 89 : mission menée par les architectes Roland Castro et Michel Cantal-Dupart de 1983 à 1988, avec pour objectif de réhabiliter la banlieue en tant que cadre de vie et d’y introduire notamment l’idée que l’esthétique ne doit pas être absente des cités populaires. Les conclusions de cette mission ont abouti à la signature de contrats entre l’État et des communes, portant sur le désenclavement des banlieues et l’aménagement d’espaces publics.
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