Foncer, vivre et découvrir le monde par soi-même !
Pour Damien, avoir eu son accident avant l’âge adulte est une "chance", parce qu’à 14 ans, "on prend les choses comme ça vient". Pourtant à cette époque, mettre des mots sur ce qui lui arrivait était impossible. Il s’est construit en partie en réaction aux autres, à l’autorité, avec l’envie de tout envoyer bouler, d’enchaîner les conneries, de dépasser les limites, un mal pour un bien...Son autre chance, ses potes de quartiers qui "s’en foutaient du fauteuil", qui n’ont pas changé de comportement après l’accident, et qui l’ont pris tel qu’il était, sans pincettes et sans apitoiement.
Handimarseille. - Est-ce que vous pouvez présenter ?
Damien. - Je m’appelle Damien, j’ai 30 ans et je suis paraplégique depuis l’âge de 14 ans, suite à un accident.
H. - L’adolescence, est un moment de transformation, de passage entre l’enfance et l’âge adulte, vous avez eu un accident à 14 ans, est-ce un moment où il est plus difficile d’affronter un tel événement ?
D. - Plus difficile, je ne crois pas. C’est plus difficile pour quelqu’un qui est père de famille, qui a un métier parce que toute sa vie sera remise en cause. Un enfant, un adolescent, quand il lui arrive quelque chose de dur comme ça, je pense qu’il le prend comme ça vient. Il ne voit pas forcément tous les mauvais côtés, toutes les contraintes que ça va engager alors que quand tu es père de famille, tu penses de suite à qui va nourrir la famille. Sincèrement je pense que c’est une chance de l’avoir eu aussi tôt.
H. - C’est le moment où l’on va vers l’autonomie et vous perdez une partie de la votre à ce moment-là ?
D. - En fait, normalement à 14 ans, c’est le début de la première autonomie, c’est l’âge où tu as le droit d’avoir ta première mobylette et de commencer à te barrer seul de chez toi, et moi, c’est à cette âge-là que j’ai eu mon accident donc ça a été le contraire.
H. - Comment l’avez vous vécu ?
D. - Mal. Mais je ne pouvais pas mettre des mots dessus parce que j’étais trop jeune, donc je ne faisais que des conneries. J’en ai fait pas mal... Du jour au lendemain, tout qui change, tu envoies bouler tout le monde, les profs, tout ce qui représente l’autorité ; parce que dans ta tête, ils ne peuvent pas comprendre ce que toi tu vis.
H. - Le fait d’être dépendant de votre famille à ce moment-là , comment vous l’avez supporté ?
D. - Mal, surtout que j’avais une maman infirmière donc c’était assez dur parce qu’elle connaissait déjà tout ça et la frontière est floue entre la maman et l’aide soignante. Mais l’avantage que j’ai eu, c’est d’avoir des copains d’un milieu populaire qui s’en foutaient de mon fauteuil, qui m’avaient connu avant. La première fois, quand ils m’ont vu revenir en fauteuil, ils m’ont demandé de poser mes fesses sur un banc pour qu’il puisse essayer le fauteuil. Le fait qu’ils n’aient pas changé de comportements avec moi, ça a été très mal vu par des gens à l’extérieur mais pour moi c’était ce qui pouvait m’arriver de mieux, parce qu’ils me prenaient tel que j’étais, ils n’en avaient rien à faire du fauteuil et ça, ça m’a beaucoup aidé.
H. - Ça a été important pour vous dans votre développement ?
D. - Vous savez, les mecs des quartiers populaires, ils te prennent comme tu es et ça fait du bien, ça a été la meilleure des thérapies.
Par exemple, quand on avait 15 ans, on allait dans les bals de village et jamais ils n’y sont allés sans moi alors qu’on y allait en mobylette. On faisait 15 kilomètres. Je montais à l’arrière d’un scooter, il y en a un qui prenait le cadre du fauteuil, un autre qui prenait les roues. Jamais ils ne m’ont laissé... Forcément, ça ne s’oublie pas et ça fait du bien. Les mecs des quartiers qui sont plutôt de cultures nord-africaines, ont un rapport au handicap assez sain je trouve.
H. - Concernant votre scolarité, les rapports à vos professeurs, à vos camarades ont-ils été modifiés à cette époque ?
D. - Oui complètement. J’étais en 3e quand j’ai eu mon accident et donc quand j’ai repris ma scolarité après la rééducation, je suis rentré directement en Seconde. J’étais en fauteuil, dans un nouveau lycée, les gens ne m’avaient pas connu debout avant... Je me rappelle au début de l’année, je faisais le con en cours, j’attendais de me faire virer, je balançais des bouts de papier sur un mec et le prof lui a dit de sortir. A la fin du cours, le prof est venu me voir en me disant "tu arrêtes de profiter de ta situation, la prochaine fois c’est toi que je vire". Ça fait mal parce que je ne profitais absolument pas, je ne voulais qu’une chose, c’était me faire virer du cours. Si moi, je n’avais pas changé depuis mon accident, le regard des gens sur moi avait changé et ça a été dur.
H. - Justement comment vous avez perçu les regards des autres sur vous ? Et le regard que vous avez sur vous ?
D. - Malheureusement, c’est un regard souvent empreint de pitié. Après le regard que j’ai sur moi est classique. Moi, je ne le vois pas le fauteuil. Après, il y a le rapport au corps qui est important, le corps qui change...Voir son corps changer quand tu es ado, c’est important et ça aussi, ça a été un peu dur ; de voir tes jambes maigrir, voir tout ça. Ça c’est dur de le vivre à l’adolescence mais je crois que c’est comme tout le reste, tu n’as pas le choix et tu fais avec et puis tu avances.
H. - L’adolescence est le moment où chacun a besoin de se forger sa propre identité et de s’interroger sur l’image que l’on a de soi, qu’est-ce qui a contribué à forger l’image que vous avez de vous aujourd’hui ?
D. - Ce qui a été dur pour moi, c’est le rapport avec les filles, la sexualité... À 14 ans, tu découvres la sexualité, les flirts, les filles et le fait d’être en fauteuil, ça a un peu faussé la donne. Ça, ça a été dur. J’avais besoin d’enchaîner les filles pour me prouver que j’étais comme tout le monde. Ce n’est pas le fauteuil qui dérangeait les filles, c’est moi qui croyait que ça les gênaient.
H. - Le fait d’enchaîner toutes ces filles, ça vous permettait d’avoir plus facilement confiance en vous ?
D. - C’est ce que je pensais peut-être. En tout cas, c’est ce que j’avais besoin de faire pour exorciser tout ce que je vivais, mais au final, ça ne m’a pas beaucoup aidé non plus. Ce n’était pas un juste équilibre, ce n’était pas ce qu’il fallait faire mais bon, ça a duré une période et aujourd’hui, j’ai un rapport tout à fait classique avec ces demoiselles.
H. - Parlez nous de l’évolution de votre regard sur vous-même et sur votre handicap jusqu’à l’âge adulte ? Y-a-t’il eu des changements ?
D. - Déjà le fait d’avoir eu l’accident aussi tôt, j’ai très vite rejeté l’aide des autres et le côté dépendant. Je voulais très vite être indépendant et autonome à tout pris. J’ai acquis cette autonomie assez vite je crois, et aujourd’hui, je suis adulte, j’ai besoin de peu d’aide.
H. - Vous êtes écrivain parolier, l’écriture a-t-elle joué un rôle important à cette époque ?
D. - Oui c’est sà »r. L’écriture, c’est une thérapie. Quiconque prend un stylo un jour dans sa vie, va forcément cracher une partie de ses blessures sur le papier et donc ça fait du bien. Ça remplace bien des séances de psy, l’écriture.
H. - Comment décririez-vous le jeune adulte que vous êtes devenu ? Quel regard avez-vous aujourd’hui sur la période de votre adolescence ?
D. - Je ne suis pas sà »r d’être le mieux placé pour parler de moi. Je suis heureux, il me semble que c’est un des buts dans la vie et je l’ai. Le bilan n’est pas si négatif que ça. Concernant mon adolescence, je dirais que j’étais un "branleur", un "jeune con", tout ce que l’on veut...
H. - Justement le fait d’être "rebelle", est-ce que ça vous a permis de surmonter tout ça ?
D. - Oui peut être. C’est un ensemble, c’est une suite logique. Il fallait que je prenne possession de mon identité, de la nouvelle personne que j’étais devenu aux yeux des gens.
H. - Quel message aimeriez-vous faire passer aux adolescents et aux parents qui vont lire votre témoignage sur Handimarseille ?
D. - Aux adolescents en situation de handicap, si j’ai un seul message à leur faire passer, je citerais un ami à moi qui s’appelle Guézo qui dit tout le temps "de toute façon, tu n’as rien à perdre, fonce, il ne peut rien t’arriver de pire, donc vis ta vie à 200%, fais tout ce que tu aurais fait si tu n’avais pas été en fauteuil parce que de toute façon, il ne peut rien t’arriver de pire". Si j’ai un message à faire passer, c’est "n’écoute pas les médecins qui te disent de rester chez toi bien au chaud. Fonce et vis, fais tes propres bêtises et découvre le monde par toi-même. N’écoute pas le discours médical propre de la bonne conscience qui dit de rester chez soi, de vivre dans un cocon".
H. - Je vous remercie.
D. - Mais il n’y a pas de souci.
Propos recueillis par Yoann Mattei
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