"Je ne vais pas laisser ma dyslexie me déranger !"
Marylou, dix-sept ans, dyslexique, nous raconte son cheminement scolaire en France et en Belgique, et nous dit avec passion comment elle a dépassé, avec l’aide de sa famille, de ses thérapeutes et de l’école Freinet, le trouble dont elle est atteinte.
HandiMarseille. - Est-ce que tu peux te présenter, nous dire d’où tu viens, qui es-tu et quel âge as-tu ?
MM. - Je m’appelle Marylou M., j’ai dix-sept ans, j’habite en Belgique à Bruges chez ma mère, mes parents sont séparés depuis que je suis toute petite et voilà , j’ai une forme de dyslexie.
H. - Comment avez-vous découvert avec tes parents que tu avais des troubles de dyslexie ?
MM. - Quand j’étais petite au CP, j’ai fait ma troisième maternelle, je l’ai faite en France chez mon père à Marseille, mais la troisième maternelle c’est quand même une période où ils apprennent beaucoup de choses. Tu apprends à écrire quelque chose, tu reconnais des mots, des trucs comme ça. Le langage aussi s’améliore. Et après, on a décidé que j’allais faire une scolarité normale en Belgique chez ma mère, j’ai toujours été bien mais le changement à été quand même dur, et j’ai toujours eu un peu de mal à lire et écrire. Mais quand j’étais petite je détestais lire, j’aimais pas du tout lire. Ecrire ça allait encore, mais c’était surtout lire, j’aimais pas du tout, pas du tout. Et à l’école, j’étais dans une école normale, ça me plaisait pas. Après je suis allée dans une école Freinet [1], et là -bas ils travaillent surtout avec les niveaux des enfants. Il y en a qui travaillent super vite, eh bien quand ils ont fini, ils peuvent faire autre chose. Ici aussi, si tu as envie de faire les maths et bien tu fais les maths, ils te donnent un programme que tu vas faire. Là -bas c’était un programme par semaine et la prof te disais tu vas faire ça, page ça à ça pour le néerlandais, page ça à ça pour les maths et l’après-midi, c’était les projets qu’on faisait ensemble. Chez nous, ça s’appelait les moments de travail et c’était à chaque fois deux heures et on avait, je crois, quatre heures par jour de travail. Mais c’est surtout toi, et si tu avais des questions tu avais la prof, mais c’était toi qui apprenais tout seul, vraiment, et après bien sà »r on avait les trucs normaux qu’on apprenait ensemble et voilà .
H. - Mais comment tu t’es rendue compte, ici en France, que tu avais des difficultés ?
MM. - J’ai fait ma maternelle en France, j’avais six ans, là je me suis pas rendue compte. Mais c’est dans l’école Freinet, où on avait des lectures, il y avait des mamans qui venaient, elles lisaient par niveau, il y avait le niveau un
jusqu’au niveau treize, le niveau treize c’est que tu sais lire sans problème, comme quand tu parles et le niveau un, c’est que tu apprends. Je crois que quand j’ai commencé j’avais neuf ans, je devais avoir je crois, le niveau quatre, c’était faible et peu à peu j’ai réussi à être au niveau treize. Mais là , j’ai eu du mal, et après je suis allée chez une orthophoniste, d’abord j’ai fait deux ans chez une orthophoniste privée où j’allais deux ou trois fois par semaine, une demi-heure, trois quart d’heure, et là surtout j’apprenais à lire, je faisais aussi des jeux, des trucs comme ça, mais surtout lire et écrire. Et en Belgique, il y a un jeu "Pim Pam Pet", c’est toujours des jeux avec des mots, moi je trouvais ça super amusant. On faisait aussi de la natation, c’était pas un truc que j’aimais pas, mais quand même j’ai fait des progrès, et c’est surtout elle qui m’a beaucoup aidée. Et après, je suis encore allée deux ans dans un autre centre qui était en dehors de l’école, et là -bas j’allais chez mon orthophoniste pour mon néerlandais, pour mes maths et aussi chez une femme où on faisait la thérapie, plutôt du corps avec des ballons, des trucs comme ça. C’était pas vraiment mon truc non plus, ça aussi j’ai fait deux ans et après j’ai arrêté et une fois que j’étais au collège, ça commençait à aller mieux. J’ai jamais été vraiment la reine pour apprendre, si je vois quelque chose qui m’intéresse je le retiens, mais j’ai quand même toujours des difficultés à apprendre.
H. - Et comment tu définis la dyslexie, qu’est-ce que c’est comme trouble ?
MM. - Je pense que les gens qui ont la dyslexie, c’est pour beaucoup de gens différent. C’est une forme, un truc qui t’empêche à être parfait en quelque chose, t’as plus de difficultés qu’entre parenthèses "les gens normaux", t’as plus de difficultés pour certaines choses. Il y a des gens qui ont des difficultés pour les maths, pour les chiffres, pour lire et pour apprendre et qui n’ont pas une logique normale.
H. - Tu m’as dis que tes parents et toi, vous avez remarqué au bout d’un moment que tu avais quelques difficultés à l’école. Mais est-ce que tu as passé des tests pour savoir vraiment si tu souffres d’un trouble de la dyslexie ?
MM. - Maman, elle n’a jamais voulu faire vraiment des gros gros tests, mais
on a fait des tests bien sà »r et ils m’ont dit que j’avais une sorte de dyslexie. Je sais plus le nom, et ils m’ont expliqué comme ça que tu as le cerveau, que tu as la moitié gauche, la moitié droite et une moitié c’est plutôt la création et l’autre moitié c’est plutôt analytique et que les gens normaux, ils arrivent à faire égalité et que moi ma moitié analytique (c’est la moitié droite je crois, je ne sais pas), qu’elle ne marchait pas toujours en même temps que la moitié artistique. Et comme ça ils m’ont expliqué que je n’avais pas une dyslexie super forte, mais quand même on a fait des tests et j’avais une sorte de petite dyslexie disons.
H. - Tu as dis, tout à l’heure, que tu avais des difficultés par rapport aux gens normaux, qu’est-ce ça veut dire pour toi "les gens normaux" ?
MM. - Si, maintenant je me considère comme quelqu’un de normal, mais avant j’avais un truc. Beaucoup de gens de ma classe arrivent à lire très vite, très bien et moi non. Alors moi, je me disais bon, moi je suis bilingue et ils ne sont pas du tout bilingues, il y a des défauts mais il y a aussi des trucs super biens.
H. - Est-ce que ces difficultés t’ont causé des problèmes à l’école avec tes camarades ?
MM. - Pas vraiment, pas vraiment. Pas du tout, parce que dans l’école Freinet, j’avais un garçon très dyslexique dans ma classe, et il était très normal. Mais aussi on avait une fille handicapée, elle avait un an de plus que nous et même avec une handicapée on s’entendait très, très bien, ça n’a jamais posé de problèmes.
H. - Tu m’as dit que tu avais travaillé avec un orthophoniste. Est-ce que tu peux me décrire quels étaient les exercices ? Qu’est-ce que vous avez fait ensemble ?
MM. - Alors, surtout on lisait, les deux premières années quand je faisais juste deux heures chez une femme, ça c’était génial parce que c’était comme un hobby, c’était comme si j’allais à la natation. J’adorais aller là -bas, on faisait des jeux liés à la lecture, des jeux liés à la rapidité. J’ai même encore des carnets, on faisait toujours des carnets, et avec des mots elle faisait des dessins. C’était super bien. J’apprenais, mais en même temps, pour moi c’était jouer et apprendre en même temps, c’était super bien.
H. - Et c’était à chaque fois un entretien en aparté, tu étais toute seule avec cette dame ou il y avait aussi des ateliers collectifs, tu travaillais avec d’autres ?
MM. - Ah non ! J’étais tout le temps toute seule avec la dame, mais ça durait pas très longtemps, c’était une demi-heure, trois quart d’heure. Et aussi ce qui était bien, ce n’était pas que moi qui lisait un livre où une histoire, on lisait chacune une phrase. Ce n’était pas que moi qui devait faire l’effort, elle aussi, alors c’est ça qui me motivait aussi.
H. - Est-ce que tes enseignants savent que tu es dyslexique ? Comment se comportent-ils ?
MM. - Cette année ils ne savaient pas, mais certaines profs le savaient
avant, en Belgique on a des examens chaque année et il y a aussi une classe spéciale dyslexique, où il y a plus de temps pour les examens, il y a une plus longue pause. Et à un moment donné cette année, je voulais être dans cette classe, mais pour être dans cette classe, il fallait vraiment faire des tests, encore des tests et j’avais pas trop envie. Ils te mettent en fait un tampon, et hop tu as le droit d’aller dans cette classe. S’ils me demandaient si j’avais des problèmes, je leur dirais.
H. - Et par rapport à tes camarades, maintenant que tu es dans l’éducation ordinaire, classique, est-ce que certains te font des remarques parce que tu ne réagis pas comme eux ? Est-ce que ça te pose un problème, comment tu vis ces difficultés ?
MM. - Non, pas du tout. Maintenant tous les jeunes se font des remarques et si on me fait des remarques, moi aussi je fais des remarques aux autres. On me dit que j’ai mal prononcé des mots, souvent je prononce mal les mots, je crois voir quelque chose mais ce n’est pas ça, mais je n’ai pas vraiment de problèmes.
H. - Cela se passe bien avec tes camarades. Comment toi, tu vis ces troubles, si tu vois aujourd’hui ta vie, ton passé, est-ce que tu trouves que c’est un handicap ?
MM. - Non, pas du tout, c’est comme quelqu’un qui est surdoué, c’est pas un handicap non plus, mais être surdoué c’est pas toujours très bien non plus alors moi je me sens très bien comme ça.
H. - Et comment tu envisages ton avenir, est-ce que tu prends en considération que tu as ces troubles ?
MM. - Non, j’ai envie de faire ce que je veux et je vais pas laisser ça me déranger et penser : "Non je suis dyslexique je peux pas faire ça". Si vraiment je veux faire un truc, je le ferai.
H. - Tu as dit tout à l’heure que tu avais dans l’école Freinet, des camarades qui souffraient de troubles différents. Est-ce que tu gardes le contact avec eux, comment vivent-ils leurs difficultés ?
MM. - Le garçon qui était dyslexique, je le vois pas souvent, des fois en passant, je crois qu’il vit normalement, très très bien. La fille handicapée c’est aussi très bien parce qu’elle est dans une école normale, mes parents connaissent ses parents, je la vois pas souvent, mais ils se comportent très très bien je trouve, pour ce qu’ils ont.
H. - D’après toi est-ce que tes parents, tes enseignants, ont bien choisi la façon de te "soigner" de ces troubles, de ces difficultés ?
MM. - Oui. Maintenant je vois beaucoup moins comme avant. Avant je détestais lire, maintenant ça m’intéresse, j’adore lire, mais il faut que ça m’intéresse. Et ce qui est bien aussi, je suis maintenant dans une école d’art, mes parents m’ont laissé faire un choix que j’aime bien faire parce que si je suis pas motivée pour quelque chose ça marche pas. J’ai fait mon choix et ça va.
H. - Le fait que tu dises : "J’aime faire ce qui m’intéresse", est-ce que tu penses que ça peut être lié à tes difficultés, à la dyslexie ?
MM. - Oui, je crois que tout le monde aime faire ce qu’il veut, mais je crois que oui parce que on a fait des petits tests il y a pas longtemps, on a un peu cherché les trucs, et il y a un nouveau syndrome, ou un trouble, cela ne fait pas longtemps qu’ils l’ont découvert. Pour moi c’est ADD [2], pas ADHD, en fait ADHD c’est quand tu as des problèmes de concentration mais que tu es hyper énervée, active, et ADD c’est la même mais c’est sans être active. Les gens comme ça, ont des trucs qui sont super bien, ils peuvent vraiment se concentrer pour une chose, mais il faut que ça les intéresse vraiment et pour d’autres choses, pas du tout.
H. - Est-ce que tu es confiante par rapport à ton avenir ?
MM. - Oui.
H. - Je te remercie. Je te souhaite bon courage et bonne chance dans ta vie.
MM. - Merci, au revoir.
Notes
[1] La pédagogie Freinet est une pédagogie originale, mise au point par Célestin Freinet, fondée sur l’expression libre des enfants.
[2] Le TDA/H ou Trouble Déficit de l’Attention/Hyperactivité (en anglais Attention-Deficit Hyperactivity Disorder, ADHD ou Attention-Deficit Disorder, ADD) est un trouble neurologique caractérisé par des problèmes de concentration (TDA) avec ou sans hyperactivité/impulsivité.
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