Regard, sentiment, sexualité : handicapés s"™abstenir ?
La rencontre du troisième type en explications
Atteint d"™une ostéogenèse, Charly poursuit son témoignage sur le regard stigmatisant de la société des valides. Expliquant quels combats la personne handicapée doit mener pour faire surface, devenir un type de modèle acceptable et ne pas être réduite à son unique enveloppe. Ne plus subir la rencontre, séduire avec sa différence, se faire aimer et toucher comme les autres... tel est son programme.
Première étape : se rendre visible
Encore faut-il pouvoir sortir de chez soi, c"™est-à -dire que les infrastructures culturelles, ludiques ou commerciales soient accessibles. Comme Charly l"™explique : "œLes gens prennent l"™habitude de nous voir et, petit à petit, leur manière de nous regarder change. Ils ne s"™attardent plus à nous dévisager." Cependant, s"™inscrire dans le paysage ne veut pas dire s"™y fondre : "œIl faut être réaliste, le handicap attire le regard, comme toutes les différences physiques." Il faudrait encore faire évoluer ce que Charly nomme poétiquement "œl"™intention du regard" . C"™est la deuxième étape !
Travailler l"™image
De prime abord, le regard peut être biaisé par la compassion, la pitié ou même l"™inquiétude, jusqu"™à la peur. Reste donc un travail à accomplir. Mais Charly insiste : "œCelui-ci n"™incombe pas qu"™aux valides." Les mentalités, les attitudes devraient être remaniées des deux côtés. Exemple : "œLe regard devient positif quand je suis ouvert. Quand je vais vers les gens, sans agressivité, ils viennent alors vers moi, automatiquement." Charly retient tout de même que, particularité oblige, les personnes handicapées sont toujours observées et d"™ajouter aussitôt : "œC"™est un faux problème, on peut vivre avec les singularités de chacun."
Garder le meilleur
Il demeure difficile d"™endiguer toute "œparanoà¯a", et, malgré une appréhension radicalement optimiste, Charly ne peut empêcher certains comportements négatifs. Ces cas... Charly leur tourne le dos. Troisième étape, tout simplement : "œCe n"™est pas un souci, je passe à autre chose. Je me préoccupe essentiellement des gens avec qui j"™ai un bon "feeling". Cependant, pour ceux qui ont des problèmes de communication, qui ne peuvent pas s"™exprimer comme je le fais, c"™est plus difficile. Plus le handicap est lourd, plus le physique est atteint de difformités, moins le regard est évident."
Se faire désirer
Par-delà le souci "œurbain" de communication se pose celui, autrement essentiel, de la sexualité. Etape primaire qui nécessite des négociations d"™un tout autre ordre, quand on doit faire avec un physique différent. Suffit d"™écouter Charly : "œSi le problème affectif est général, pour une personne handicapée, il est multiplié par deux, trois, voire dix. Le coup de foudre ne survenant pas automatiquement, il faut être patient, communiquer. Moi, j"™ai eu la chance de rencontrer des femmes qui ont bien voulu avoir une liaison avec moi, mais ça n"™a jamais duré. A cause du handicap, bien sà »r, même si elles disent le contraire pour ne pas me faire de peine." Nouvelle étape : lutter contre une image qui assimile le handicapé, selon Charly, à une personne avec peu de ressources, isolée, un peu aigrie et pas assez attractive pour avoir une vie affective.
Combattre les clichés
Des échanges d"™autant plus difficiles à approfondir que le handicap est souvent assimilé à l"™asexualité : "œIl semble tellement inconcevable que nous puissions avoir des relations sexuelles. On veut bien nous aimer platoniquement, mais physiquement c"™est une autre histoire. C"™est une réelle frustration. Les gens rétorquent : « Oui, mais Charly, ce genre de situation arrive aussi aux valides. » Je ne dis pas le contraire, seulement, eux, ils ont fait ce choix. Autrement, ils peuvent pallier ce manque de façon solitaire, mécanique ou en allant voir des prostituées, lesquelles, d"™ailleurs, ne nous acceptent pas toujours."
Attaquer les tabous
"œEn France, depuis ces histoires d"™inceste, de pédophilie, nous vivons dans une espèce de parano. Comme s"™il y avait une soupape, une chape de plomb qui bloquait. À l"™heure actuelle, à part le système D et la confiance, je ne vois pas comment une personne handicapée "en manque" peut résoudre son problème. Même les psychologues ou les psychiatres, qui se veulent rassurants, sont désarmés : ils peuvent bien nous expliquer qu"™il faut trouver une compensation, une occupation. Mais la souffrance est toujours là et personne ne s"™en soucie."
Féminiser la lutte
Pour les femmes, il semblerait que ce soit encore plus compliqué : "œElles souffrent davantage. Il y a un tabou énorme. On préfère les laisser isolées dans leur souffrance, sans moyen, en considérant que ce n"™est pas une priorité. On peut vivre sans sexualité mais on ne se rend pas compte de ce que cela implique." Par ailleurs, des distinctions s"™opèrent entre les personnes handicapées elles-mêmes : "œSi la personne est née avec une déficience, elle a d"™entrée de jeu une histoire, un parcours particuliers. Elle peut avoir vécu dans une institution et ne pas être habituée aux relations avec les valides. En revanche, celle handicapée à la suite d"™un accident ou d"™une maladie aura déjà eu l"™expérience de la sexualité et ne sera pas forcément perçue de la même manière. C"™est surtout un problème d"™échange."
Sexualiser ses désirs
Charly refuse d"™être contraint à abandonner son plaisir : "œJe n"™ai pas encore eu à faire appel à des prostituées pour m"™aider, mais je n"™exclus rien. Je ne sais pas comment les choses évolueront. J"™ai quarante-deux ans et, comme je dis : je suis handicapé de tout, sauf de ma sexualité. Donc, j"™interdirai à qui que ce soit de m"™interdire de me faire du bien quand j"™en ai besoin, quitte à passer par des voies qui ne sont pas socialement correctes. J"™utilise tous les moyens à ma disposition. Je conseille à toutes les personnes handicapées de faire pareil. Ça demande du courage, de la volonté et de ne pas se faire de films. Il ne faut pas tout mélanger. Une histoire d"™amour peut être liée à la sexualité, mais la sexualité existe aussi sans histoire d"™amour."
Payer pour toucher
Pour accéder et subvenir à ses besoins, la personne handicapée doit être entourée d"™une ou plusieurs personnes de confiance, qui acceptent de faire la démarche auprès des prostitués des deux sexes, prêts à offrir leurs services tant aux femmes qu"™aux hommes : "œOn se retrouve alors dans des situations étranges, avec des mecs, par exemple, qui acceptent de nous aider, mais à condition de payer plus cher. Car un handicap, c"™est une option ! Sachant que beaucoup d"™entre nous ont déjà un pouvoir d"™achat restreint... Et puis, de plus en plus, en France, la prostitution est sévèrement punie. C"™est très compliqué de demander ce genre de prestations. Les personnes valides, aussi, ont peur de rendre ce service, parce qu"™elles craignent qu"™on les juge ; ou pire, si ça se passe mal, que la personne handicapée se retourne contre elle juridiquement. Pour abus de confiance, par exemple."
Faire du bruit
Des associations se réveillent : elles proposent des services d"™aide à domicile, des auxiliaires de vie qui répondent aux demandes : Peux-tu m"™aider ? Peut-on faire quelque chose pour moi ? Charly ne sait pas pourquoi : "œAlors qu"™on a, là , le moyen de faire du bien, on s"™en prive à cause d"™une espèce de culture judéo-chrétienne omniprésente. C"™est pire pour les populations musulmanes et juives. On est tellement conditionné par une culture, à la fois laà¯que et très religieuse que la sexualité est un tabou, de toutes façons !"
Conclure en prince
Pour illustrer l"™avenir, Charly se réfère à l"™histoire du petit prince : "œIl faut s"™apprivoiser. Quand nous arrivons à nous accepter les uns les autres, les barrières tombent. Je pense que les générations futures porteront un regard différent sur les personnes handicapées, mais il faut du temps. Ça passe par une meilleure intégration des enfants dans les écoles. Le regard évoluera si les gens sont éduqués très tôt, très jeunes. Il n"™est pas possible de demander, du jour au lendemain, à une personne de cinquante ans d"™avoir un regard positif sur le handicap. L"™évolution passera par l"™enfance. Là aussi, il y a de gros freins : à l"™école, l"™insertion, l"™intégration des personnes handicapées sont très en retard. Je trouve ça inquiétant..."
Propos recueillis par Salima Tallas, mars 2005 ; Rédaction : Salima Tallas ; Rewriting : Patricia Rouillard
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