"Il faut accepter une aide extérieure quand cela devient trop dur"
Joseph Tartamella n’avait que 11 ans lorsqu’il comprit que sa sœur, Sonia, alors âgée de 4 ans, était différente des autres. Retour dans le passé pour comprendre cette fratrie pas comme les autres.
Handimarseille. - Bonjour, voulez-vous vous présenter ?
Joseph Tartamella - Je m’appelle Joseph Tartamella, j’ai 48 ans, Je suis aîné d’une famille de trois enfants, j’ai deux sœurs, Véronique 46 ans et Sonia a 44 ans qui souffre d’Autisme.
H. - Quand Sonia a t-elle été diagnostiquée ? Quel âge avait-elle ?
J.T. - Sonia allait très bien jusqu’à la Maternelle, vers ses 4 ans, à l’école ils se sont rendu compte qu’elle ne communiquait plus avec les autres enfants. Elle avait des problèmes d’intégration, elle était différente du reste du groupe, d’où l’alerte du professeur des écoles à ma mère. Depuis ce jour-là elle s’est murée dans son monde et elle n’en est plus jamais revenue. J’avais 11 ans et je n’ai que de vagues souvenirs de cette période.
H. - Que connaissez-vous de la pathologie de votre sœur ? D’après vous qu’elle en est l’origine ? Quels sont ses symptômes ?
J.T. - Oui je connais sa pathologie, mais je ne connais pas l’origine de son mal, je ne peux qu’émettre des suppositions. J’ai souvent entendu dire par ma mère que d’après les tests effectués, ce n’était pas d’origine physique mais plutôt d’origine psychique. On ne sait pas, c’est peut être dû à un choc émotionnel dans la petite enfance. Mais personne n’a pu déterminer l’événement en question.
H. - Avant le diagnostic, ressentiez-vous une différence au niveau du contact et de la communication avec elle ?
J.T. - Pas réellement. J’avais 11 ans, j’étais le grand frère, elle était toute petite, je n’ai pas ressenti ses difficultés, je la voyais comme ma petite sœur, le bébé de la famille. Je jouais avec elle, comme on joue avec sa petite sœur. Je n’ai ressenti aucune différence dans son comportement.
H. - Comment vos parents vous ont-ils expliqué cette pathologie ?
J.T. - Je n’ai pas spécialement eu d’explication de la part de mes parents. Simplement, ma mère m’avait dit que ma petite sœur était différente, que nous devions à l’avenir être patient avec elle, et qu’ils cherchaient à savoir pourquoi elle était ainsi. Qu’elle grandirait et serait différente. J’ai dû comprendre tout seul et assez tardivement ce qui arrivait réellement à Sonia. Ma mère pensait nous préserver mais je pense qu’elle aurait pu nous parler plus et plus tôt. Du pourquoi, de comment faire... ça a été trop tardif.
Je pense que ma mère ne savait pas comment s’y prendre avec nous. Elle était certainement dépassée par ce qui arrivait. Elle était dans l’urgence d’aider Sonia, comme on dit "la tête dans le guidon !" Elle était persuadée que ma petite sœur guérirait. Il n’y avait que ça qui comptait c’était notre priorité à tous !
H. - Comment avez-vous réagi à l’annonce du diagnostic ?
J.T. - J’ai peu de souvenirs, mais je me rappelle surtout de ma mère qui courait à droite à gauche vers les médecins pour comprendre ce qui arrivait à Sonia. Moi, j’espérais que ça s’arrange pour elle ! Nous pensions que ça n’était que passager.
H. - Votre sœur Sonia n’a pas été diagnostiquée comme enfant souffrant de symptômes autistiques ou de TED par les médecins à l’époque ?
J.T. - Non, non ! On disait seulement qu’elle avait des problèmes psychologiques.
H. - Malgré ses troubles du langage et de la communication, avez-vous pu établir une relation privilégiée avec votre sœur. Comment décririez vous cette relation pendant l’enfance ?
J.T. - D’après mes souvenirs d’enfant, oui. La relation était la même qu’avec mon autre sœur, simplement, elle était la petite dernière, il fallait s’en occuper un peu plus et être plus attentif mais c’est parce qu’elle était la plus petite ! Il fallait être plus patient, plus tolérant.
Nous avions bien une relation affective et des échanges de frère et sœur. Ça passait par des mots, des sourires, des câlins. Même, si parfois, elle était plus dans les émotions. Elle était très susceptible ! D’après ma mère, il fallait tolérer cette susceptibilité, tolérer son comportement et être patient. Si elle était contrariée ou si l’on ne comprenait pas ce qu’elle voulait, elle se mettait à crier, à se renfermer sur elle-même. Par exemple, je me souviens très bien qu’elle se balançait sur le fauteuil d’avant en arrière, sans arrêt et il n’y avait rien qui pouvait la calmer, à ne plus pouvoir entrer en communication avec elle. Nous les frère et sœur étions impuissant face à ce genre de crise. Moi, j’avais envie de l’aider, j’essayai, mais à un moment donné, je ne pouvais plus rien y faire, sans résultat. Et il n’y avait que ma maman qui pouvait un peu l’apaiser.
H. - Pouvez-vous me parler du quotidien de votre famille quand vous et votre sœur étiez enfants ? Diriez-vous que la vie à la maison était différente ou comme la plupart des familles ?
J.T. - J’ai très peu de souvenir du quotidien à cette époque. Mise à part au moment des crises de Sonia, notre quotidien était le même que celui de n’importe quelle famille. Sonia était scolarisée à la Maternelle, nous aussi nous allions à l’école. Ce n’est que plus tard quand elle a eu 7/8 ans qu’elle a été inscrite dans une École spécialisée. Tous les matins, un véhicule venait la chercher au pied de l’immeuble et la ramenait le soir.
H. - De quel type de prise en charge Sonia a t-elle bénéficié ?
J.T. - Ma sœur a eu la chance de bénéficier d’une bonne prise en charge à Marseille, et d’être dans une bonne structure lorsqu’elle était enfant. C’était une école spécialisée qui s’appelait l’IMPE de la Coustone. Elle a pu y trouver le type d’accompagnement qui lui convenait parmi d’autres enfants présentant les mêmes symptômes. Durant quelques années, elle a bien progressé dans ce groupe. Elle avait son rythme de vie, son quotidien....
Son parcours a été un peu chaotique. Elle avait des phases de progression et d’autres où elle stagnait. Elle pouvait même régresser. Son parcours ne s’est pas fait de façon linéaire, cela s’opérait surtout par palier.
Il y a même eu un moment où elle a perdu l’usage de la parole ! Je sais qu’elle a toujours été suivie par un Psychiatre. Mais elle n’a pas toujours été en Institution. À un moment donné, elle n’a plus eu sa place en IME, elle est restée vivre à la maison et ça a été catastrophique pour elle. On ne se l’explique pas mais elle a "chuté". Depuis 3 ou 4 ans, elle est dans une maison de vie pour adultes, dans un MAS en Belgique et elle va beaucoup mieux. Ma mère est partie 6 mois avec elle. Pour faire la transition en douceur et qu’elle s’habitue à sa nouvelle vie. En France, il n’y avait pas ce type de structure. Il a fallu l’éloigner et aller jusqu’en Belgique pour enfin trouver ce qui lui correspondait.
Sonia n’avait pas sa place en Hôpital. Elle se trouvait avec des cas de handicaps très lourds et ça n’était pas forcément bon pour elle, pour sa progression et son potentiel.
H. - Avez-vous eu des moments difficiles a surmonter ?
J.T. - Non pas du tout. Ma mère s’occupait de tout. Et c’est elle, seule qui s’occupait de ma sœur. Je n’ai jamais eu la responsabilité de sa charge en fait. Il m’arrivait peut être à table, au moment des repas, d’avoir à faire attention à elle mais pas davantage. Et donc, ça ne m’a pas pesé du tout ! Elle ne voulait pas nous mêler, nous les autres enfants, à cette responsabilité.
Mon papa s’est très peu investi. Je pense qu’il n’était pas capable de comprendre la pathologie de Sonia, ça devait le dépasser. Mon père partait travailler le matin pour ne rentrer que tard le soir au moment du coucher de ma petite sœur, il était absent la plus part du temps.
H. - Pensez vous avoir bénéficié d’une attention équitable et égale de la part de vos parents ?
J.T. - Avec le recul et un peu de maturité, je me rends compte que ma mère s’est davantage investie pour ma petite sœur Sonia, et peut être que je suis passé au second plan. Elle lui consacrait tellement de temps ! Je ne sais pas si j’ai manqué d’affection ou de tendresse. Pour l’instant, je ne ressens aucun manque affectif.
H. - Il est parfois difficile de supporter les regards des autres, du reste de la famille, des voisins, des copains d’école... comment l’avez vous vécu ?
J.T - J’ai grandi dans une Cité, et là-bas tous les voisins se connaissaient, ils étaient tous au courant de l’état de santé de ma sœur. Il y a toujours eu du respect de leur part ainsi qu’un regard bienveillant à l’égard de notre famille. La différence, je la ressentais surtout à l’extérieur, dans la rue, face à des étrangers dans les moments où Sonia pouvait être en crise, où elle pouvait avoir des comportements inhabituels.
Ça me gênait un peu, on sentait la fuite dans leur yeux. Mais chacun a une appréhension différente du handicap. Partager cette souffrance leur fait peur et ils s’en protègent ! Je pense qu’un autiste peut faire peur. Un comportement inhabituel et inquiétant et parfois de la violence, ça peut faire peur !
H. - Vous avez vu grandir votre sœur, passer de l’enfance à l’adolescence et à l’âge adulte, comment cela s’est-il passé ?
J.T. - Je ne l’ai pas vu devenir une femme. En fait, elle n’est jamais passé par ces cases-là. Elle a gardé son esprit d’enfant. Elle a aujourd’hui 44 ans, un corps de femme mais elle a gardé les mêmes centres d’intérêt que lorsqu’elle était enfant. Elle joue à la poupée, elle adore y jouer ! Elle aime beaucoup tout ce qui est petit et mignon, jouets et figurines pour petites filles, comme "Hello Kitty" par exemple. Ce qui m’a toujours étonné, c’est qu’elle reproduit l’attitude de ma mère avec elle sur ses poupées. Elle peut les gronder comme leur prodiguer de la tendresse, et souvent, j’ai entendu les mots de ma mère dans la bouche de Sonia, comme par mimétisme.
H. - Accepte-t-elle d’être traitée comme une enfant ?
J.T. - Il ne faut pas l’infantiliser, elle préfère être traitée comme une adulte. Mais à mes yeux, elle n’est pas adulte parce qu’elle est restée dans un monde de jeu pour les petits enfants, et son comportement de tous les jours y fait référence. Elle a certaines obsessions, elle est fanatique des chaussures, elle adore les chaussures !
H. - Quelle adulte est elle devenue et comment vivez vous aujourd’hui votre relation avec elle ?
J.T. - Nous échangeons tous les deux. Il lui arrive de me téléphoner depuis la Belgique. Bon ça ne dure jamais trop longtemps, mais elle a l’air contente de m’entendre. Nous avons une relation affective privilégiée, la complicité que nous avions enfant est restée. J’arrive à percevoir sa joie ou sa tristesse mais rien en ce qui concerne sa conscience.
On se fait des blagues. Il lui arrive de me dire que j’ai des cheveux gris, ou si j’ai pris du poids, elle me dit "tu as du ventre !" Elle se rend bien compte que je vieillis, mais je ne crois pas qu’elle se voit vieillir par contre.
H. - Avez vous l’impression qu’elle vit sa vie ?
J.T. - Je souhaite qu’elle progresse encore dans son autonomie, elle y a été préparée. Mais je reste persuadé qu’elle sera toujours dépendante d’une personne ou d’une structure pour son quotidien. Depuis qu’elle est dans ce foyer de vie en Belgique, oui, elle a sa vie a elle. Elle vit avec d’autres adultes qui souffrent des mêmes troubles. Elle s’est très bien intégrée à ce groupe. Elle a trouvé sa place, elle a ses colocataires avec qui ça ne se passe trop mal. On le voit à son comportement, elle est heureuse et souriante.
Elle a fini par trouver un équilibre. Je ne sais pas si elle a une vie affective. Elle n’est pas insensible au charme masculin, il lui arrive de dire qu’elle trouve beau un garçon mais pas plus. Elle a des élans amoureux mais c’est du domaine de la vie privée et je le respecte.
H. - Avez-vous envie de prendre le relais de vos parents pour les décisions et la prise en charge concernant votre sœur ?
J.T. - Tant que mes parents sont valides et présents, c’est à eux d’assumer ce pouvoir de décision. Mais, mon autre sœur et moi nous nous préparons à un éventuel départ de ma mère et à ce moment là, nous serons là pour elle. Nous en avons déjà parlé ensemble et nous nous sommes entendus, cette responsabilité se transmettra logiquement.
Nous ne la laisserons pas tomber, c’est sûr ! Car même si elle vit loin de nous, elle demeure dépendante affectivement de nous. Elle a besoin, de nous entendre, de nous voir de temps à autre et d’avoir de nos nouvelles. Nous savons qu’une coupure brutale, trop longue ou définitive pourrait vraiment la déstabiliser et remettre en question son bien être.
Elle reste ma sœur à jamais.
H. - Et est-ce que vous vous interrogez sur l’avenir de votre sœur ?
J.T. - Ce qui m’inquiète un peu, c’est si un jour, on ne sait jamais, pour X ou Y raison, elle n’avait plus sa place dans cette structure. Normalement, elle devrait pouvoir y rester sans aucun délai, mais s’il fallait se plonger dans toutes ces démarches de recherche pour une autre maison de vie, là oui, ça serait compliqué pour nous. On ne sait jamais ! Quand on voit le souci que ça a causé à notre mère... En espérant qu’un jour en France on puisse trouver un équivalent à ces structures. Il faut que cela évolue.
H. - L’origine de certaines formes d’autisme est génétique et le risque qu’il y ait d’autres enfants autistes dans la même famille est 45 fois plus élevé, cela vous a-t-il influencé sur le choix d’avoir des enfants ?
J.T. - Les tests génétiques n’ont rien montré chez Sonia, donc pour nous c’était réglé, ça ne nous a même pas effleuré l’esprit. Ma sœur Véronique a eu deux beaux garçons. Il n’y a pas eu de problème de cet ordre.
Et ça n’est pas quelque chose qui m’empêchera d’avoir des enfants un jour.
H. - Quel conseil donneriez-vous à un enfant qui a un frère ou une sœur souffrant d’autisme ?
J.T. - Lui apporter beaucoup d’amour et du temps, et être patient.
H. - Quel conseil sur la fratrie donneriez-vous à des parents qui ont un enfant autiste ?
J.T. - Je conseillerai aux parents d’accepter le plus rapidement possible la pathologie de leur enfant. Malgré tous leurs efforts, ils n’y pourront pas grand chose. Ce qui compte c’est de l’intégrer et d’expliquer au reste de la famille, de bien choisir les mots qu’ils utiliseront avec leurs autres enfants pour expliquer ce handicap. Avoir beaucoup de dialogue avec tous et surtout ne rien cacher. Ne pas faire de différences marquantes entre leurs enfants, et c’est difficile car un enfant différent demande plus d’attention.
Et je dirais aux parents que trop d’amour, pour celui qui est en situation de handicap, peut l’empêcher d’évoluer et peut l’étouffer. Les parents peuvent manquer d’objectivité, ils doivent se résoudre à accepter une aide extérieure lorsque ça devient trop dur. Il faut que les parents se rapprochent de structures et autres associations de soutien. Ma mère a tout supporté toute seule ! Et ce n’est pas très bon.
Propos recueillis par Géraldine Deshais
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