Bouches-du-Rhône, "sous le soleil exactement"
Le tourisme adapté dans notre département
En première ligne dans la démarche d’accessibilité au tourisme adapté, Bouches-du-Rhône Tourisme c’est à la fois un travail de terrain pour la labellisation des sites et établissement touristiques ; c’est aussi, à travers le site visitprovence.com, un accent mis sur l’information et la promotion d’une offre touristique pour les personnes en situation de handicap. Isabelle Brémond, Directrice de Bouches-du-Rhône Tourisme nous reçoit pour cet entretien où elle nous présente son territoire, nous parle de son engagement et de la dynamique d’accessibilité dans laquelle s’est inscrit notre département.
H. - Bonjour, pouvez-vous présenter et nous présenter Bouches-du-Rhône Tourisme ?
I.B. - Je m’appelle Isabelle Brémond, je suis directrice de Bouches-du-Rhône Tourisme qui est un organisme financé par le Conseil Général et qui est une association loi 1901. Nous avons en charge la définition et la mise en oeuvre de la politique départementale du tourisme. Bouches-du-Rhône tourisme, qui a été créé en 1970, était à l’origine un organisme qui avait en charge la promotion du département et la communication, pour faire venir les touristes de l’extérieur. Aujourd’hui, on a des missions de développement, de travail sur le terrain auprès des professionnels, pour "qualifier l’offre", c’est-à -dire avoir une offre d’excellence dans ce département, ce qui fera notre différence et notre force par rapport aux départements et aux villes concurrentes.
H. - Quelles sont les principales missions de Bouches du Rhône Tourisme pour ce qui concerne l’accès au tourisme des personnes handicapées ?
I.B. - Le projet que l’on mène pour le département tourne autour du développement durable. C’est l’axe fort. On a un territoire particulier, avec presque deux millions d’habitants dans un département dont cinquante pour cent du territoire est en "espace naturel préservé". On a le parc de Camargue, parc des Calanques, parc des Alpilles, le site de la Sainte Victoire etc. Donc, à coté de ça, on a neuf millions des touristes accueillis chaque année, quarante quatre millions de nuitées c’est énorme ! Nous sommes le premier département en nombre de touristes accueillis dans la région PACA, première région touristique française. Avec de tels chiffres, l’enjeu n’est pas de développer la fréquentation, c’est de travailler à un équilibre de la fréquentation dans l’espace et dans le temps ; et de travailler aussi sur la qualité de vie de résidents parce que ce sont à la fois des ambassadeurs mais aussi des touristes potentiels pour le département. L’enjeu de la qualité de vie, de la maîtrise des flux, de l’harmonie, est essentiel. On a parfois le sentiment que nous sommes là pour développer les chiffres du tourisme, mais l’économie ça passe aussi par l’équilibre des flux. Quand on a cinq cent mille visiteurs le quinze aoà »t, par exemple, on n’a pas besoin d’en avoir plus. Dans ces notions de développement durable se trouve la notion d’accessibilité, accessibilité à l’offre, accessibilité pour les personnes qui sont en difficulté d’un point de vue social et d’un point de vue physique. Enfin, la notion d’accessibilité de l’offre est vraiment fondamentale dans le projet que l’on veut mener pour le département. Et c’est d’ailleurs pour cela que l’on a misé sur le label tourisme et handicap.
H. - En quoi consiste votre travail pour l’accessibilité au tourisme adapté ?
I.B. - Il y a le travail que l’on fait au quotidien avec Nathalie Espanet, qui travaille avec tous les partenaires pour essayer de faire du "push", de les inciter à aller vers l’accessibilité. Cela peut-être aussi des dispositifs financiers qui permettent aujourd’hui à quelqu’un qui veut acheter une boucle magnétique, de pouvoir être financé par le Conseil Général. On fait un accompagnement particulier avec les professionnels pour leur dire : on peut vous aider, on a des outils à disposition, on peut avoir des financements. On espère aussi pouvoir, avec le Comité d’architecture du département, travailler avec un architecte spécialisé sur ces notions-là . On tend aujourd’hui à élargir le cadre de notre dispositif de labellisation.
H. - Jusqu’en 2006, notre région et notre département étaient un peu à la traîne en termes d’accessibilité aux activités, équipements et sites touristiques pour les personnes handicapées. Pourquoi cette particularité ?
I.B. - Quand on compare notre situation avec certains pays Européens, on peut faire le constat qu’il y a un retard global en France sur ces sujets-là . Et puis, dans le sud, en matière de tourisme, on est un peu bénis des Dieux c’est-à -dire qu’on a un territoire qui est unique, où il n’y pas de problème de fréquentation. Je pense qu’il y a eu peut-être un certain laisser-aller par rapport à d’autres territoires qui, étant moins gâtés que nous, se sont mobilisés sur ces questions d’éthique, dans le but de générer une fréquentation touristique auprès de ce public-là .
Après, d’un point de vue aussi du patrimoine, je vois les difficultés que Nathalie rencontre quand elle va labelliser sur certains sites touristiques. Il y a dans notre région
un patrimoine qui est ancien, je pense à Arles par exemple, inscrite au patrimoine de l’UNESCO, ou je pense à des vieux hôtels particuliers. Les réaménager en profondeur, pour rendre accessible ces patrimoines anciens demande des moyens considérables. Il y a plein des raisons accumulées qui font qu’on a effectivement pris du retard.
H. - Depuis la situation a pas mal évolué. Où en est-on aujourd’hui ?
I.B. - Je pense que la loi de février 2005, qui est quand même très contraignante, au sens où c’est une obligation, a fait bouger les choses. Jusque-là , on pouvait être un peu à coté des clous, aujourd’hui ce n’est plus possible car il y en plus cette échéance de 2015. Donc, évidemment il y a le constat du travail fait par les collectivités, parce qu’on parle de Bouches-du-Rhône Tourisme, mais le CRT (Comité Régional de Tourisme) est aussi très impliqué, tout comme la région ou le Conseil Général. Vous savez, les associations représentant les personnes handicapées sont finalement pugnaces, je les vois en commission tourisme handicap ; ces associations sont très présentes, très impliquées et elles contribuent à cette évolution, à ce progrès. Donc, conjointement tout ce qui a été mis en place fait qu’il y a une prise de conscience autour de ces notions-là , et du coup il y a des investissements qui sont faits ; par les privés notamment.
H. - Pour ce qui concerne l’accessibilité "totale et universelle", on est à la traîne (le dernier barômètre d’accessibilité des communes de l’APF, Association des Paralysés de France, classe Marseille en dernière position) alors que pour l’accessibilité au tourisme adapté, on avance à grands pas. Avez-vous une explication à cela ?
I.B. - Je trouve qu’à Marseille les choses bougent difficilement, et il est vrai, en matière de transports notamment, que l’on a à faire à de gros enjeux. On a du retard sur tout ce qui touche à l’amélioration du cadre de vie des résidents ; et l’accessibilité en fait partie. On a du retard mais c’est structurel. N’oublions pas que Marseille est une ville assez pauvre ! Il y a des quartiers qui comptent 30% de chômeurs, on a des problèmes sociaux énormes à régler, quand on voit le nombre de personnes dans les dispositifs RSA c’est colossal. Nourrir les gens, cela reste prioritaire par rapport à l’accessibilité.
H. - Quelles sont les communes qui sont exemplaires dans notre département en termes d’accessibilité ?
I.B. - Il y a quelques communes qui ont misé sur l’accessibilité. Je pense à La Ciotat, à Aubagne, à Istres, à Martigues également. Souvent, quand l’office du tourisme est dans la démarche d’accessibilité, cela signifie que la ville est impliquée, qu’elle est derrière.
H. - Comment s’organise à notre échelle la labellisation "Tourisme et Handicap", comment cela se passe au quotidien ?
I.B. - Donc, au départ, au lancement du projet, il y a l’association "tourisme et handicap" qui pilote et qui octroie la labellisation. Après, sur le département, il y a Nathalie Espanet qui va sur le terrain, sur les sites qui font la demande de labellisation. Elle est toujours accompagnée d’une personne issue d’une association de personnes handicapées. Suite à quoi, les dossiers de labellisation sont montés et présentés lors de commissions départementales que l’on organise. Une fois que le dossier est validé au niveau départemental, c’est très technique mais très précis, il part au niveau national où la décision d’octroyer le label est prise, en fonction du dossier. Donc, à notre échelle, nous sommes évaluateurs, on pilote les commissions, et à charge de la région de s’occuper de la communication, de la promotion, de la formation.
H. - Cela prend-il beaucoup de temps, quelles sont les phases les plus longues ?
I.B. - Tout prend du temps en fait. On a au départ un porteur de projet qui tape à notre porte, qui a envie de rentrer dans la démarche mais son projet n’est pas abouti, il n’arrive jamais qu’il n’y ait rien à faire. Nous derrière, on porte le label et on a envie que les quatre handicaps (moteur, auditif, visuel, intellectuel) soient pris en compte, que ce soit vraiment l’offre la plus large possible. Donc, en général il y a beaucoup de travaux à faire et il faut compter dix-huit mois entre la demande de labellisation et l’attribution du label. C’est un frein pour le développement du label. Je trouve que c’est trop long et qu’on gagnerait du temps si on pouvait donner le label au niveau départemental. A notre niveau, les évaluateurs sont formés, il n’y a pas beaucoup de risque.
H. - Est-ce que la personne qui labellise remarque assez rapidement les avantages d’une labellisation, un progrès, une nouvelle clientèle ? Est-ce que vous avez des retours à ce niveau-là ?
I.B. - Oui, alors on a les retours, notamment lorsqu’on participe à des salons ; je pense à celui de Marseille, à Paris, à celui de Lyon, qui est très bien fait. Il y a de plus en plus de monde qui se rend sur ces salons et qui s’implique dans cette démarche, qu’il s’agisse du monde associatif ou des professionnels du tourisme.
Mais il faut qu’on ait une offre, une vraie offre organisée, et mise en réseau. Quand on aura encore plus d’offre, je pense qu’on pourra plus faire d’opérations d’information, de promotion et de commercialisation concrètes. Et là , on aura un retour plus massif.
H. - Il existe beaucoup de labels. Je pense à "Tourisme et Handicap" qui est le plus connu, mais aussi à "Handi-Vacances", "Handiplage", "Destination pour tous". Est-ce que cette multitude de labels ne risque pas de rendre l’information peu lisible pour le public ?
I.B. - D’un point de vue extérieur, je partage votre avis. Mais, j’ai le sentiment que dans le secteur du tourisme, le label "Tourisme et Handicap" est aujourd’hui reconnu et offre une bonne lisibilité.
H. - Alors qu’on parle d’un "marché", estimé à près de vingt-cinq millions de français ayant des déficiences (motrices, sensorielles ou intellectuelles), peu de personnes en situation de handicap partent en vacances. A votre avis pourquoi ?
I.B. - L’offre doit être encore mieux organisée et elle doit être plus lisible. Il faut aussi continuer de sensibiliser les professionnels du tourisme. À ce titre, nous organisons des réunions de sensibilisation autour du tourisme adapté. Et puis il y a quelque chose de culturel en France, qui tient à la difficulté de réaliser une pleine intégration des personnes handicapées dans la société. Donc, au delà de l’offre touristique, je pense que culturellement il y a aussi une éducation des enfants à faire sur ces questions-là . Il faut repenser l’intégration depuis le départ en fait. Donc, globalement, même si on a pris du retard, il y a aujourd’hui une dynamique, on progresse. Je pense notamment à notre site "visitprovence.com" qui consacre un espace au handicap et à l’offre touristique adaptée. C’est un travail de fond, ce n’est pas que de la "com", c’est du concret, du réel. Les associations et les personnes en situation de handicap ne veulent pas de "bla bla", elles réclament des actions pragmatiques et performantes.
H. - Justement, quelles relations entretenez-vous avec le monde associatif ?
I.B. - On travaille beaucoup avec le monde associatif, et on prend en compte tous les handicaps. On travaille en particulier avec des structures comme l’APF (Association des Paralysés de France), Mieux vivre son handicap au quotidien, Saphir 13, Rétina, l’association Valentin Haà¼y, les Cannes blanches, la Luciole, l’UDAPEI, Surdi 13, voilà . Ces structures sont partenaires du label, et chaque fois que l’on va sur le terrain, on demande à une des personnes de l’association de nous accompagner.
H. - Quels sont vos projets ou les projets de Bouches du Rhône Tourisme pour l’avenir ?
I.B. - Il y a tellement de projets... on travaille beaucoup autour de Marseille Provence 2013, que ce soit en termes de promotion, en partenariat avec les offices du tourisme, les associations etc ; pour essayer d’aller capter de nouveaux marchés pour l’année 2013. On travaille beaucoup sur la qualification et le développement d’une base de données pour informer le public. On travaille sur l’évolution de notre site internet, qui fait aujourd’hui partie des sujets prioritaires. Concernant notre site, visitprovence.com, on a eu l’année dernière le prix international aux "Webby Awards" récompensant le meilleur site internet sur la partie visuelle. Donc, pour le site, on est en train de relancer l’appel d’offres. Ça, c’est le cahier des charges.
On dispose d’un socle maintenant et la question qu’on se pose c’est : qu’est-ce qu’on fait sur les réseaux sociaux, autour de quels partenariats ? qu’est-ce qu’on fait sur YouTube ?, quelles nouvelles applications ? avec quel type d’opérateur ? etc. Voilà , comment parvenir à une diffusion plus forte, plus ciblée aussi ?
H. - On n’a peut-être pas eu la possibilité de tout aborder. Il y a t-il quelque chose qui vous tient à cœur que vous aimeriez développer ?
I.B. - J’aimerais redire deux mots sur le département puisque c’est un département particulier. Je vous le disais, avec près de deux millions d’habitants, c’est un département très urbain, mais très protégé aussi, avec de nombreux espaces naturels. On a trois territoires identitaires, ce qui est énorme ! On a la Provence qui est un territoire très ancré, il y a Marseille qui représente un tiers des nuitées, puis on a la Camargue qui est aussi un territoire spécifique. Donc, l’action que l’on mène sur ces trois territoires est assez diversifiée. On développe sur le département une vision et un projet de développement durable, et la démarche d’accessibilité, qui est aussi un gros enjeu, est en adéquation avec ce projet de développement durable.
H. - Merci.
Propos recueillis par Ugo Chavarro
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