"Je reviens de loin"
Comment vit-on la perte soudaine d’une partie de ses habiletés ? Quels changements opèrent en nous lorsqu’on se réveille un matin dans un corps qui a changé brutalement ? Nous avons demandé à Christophe, dont le parcours a été bouleversé par un accident de moto, de nous conter son histoire.
HandiMarseille. - Je vais vous demander de vous présenter un petit peu...
Christophe Cotrel. - D’accord, alors je suis Christophe Cotrel, je vais avoir 35 ans. Je travaille dans un poste de télésurveillance sur Eguilles, c’est-à -dire que je gère les alarmes des clients, des particuliers ou des entreprises. Je suis handicapé. J’ai eu un accident en 2003 : j’ai perdu l’usage de mon bras gauche. Il est paralysé. Et puis là je retravaille depuis... ça va faire un an dans un mois.
H. - Est-ce que vous pouvez me parler un peu de votre accident ? Comment c’est arrivé ?
C. C. - Oui, y a pas de souci... J’ai eu un accident de moto. C’est à peu près la seule séquelle permanente que j’aie. J’ai eu aussi une double fracture tibia-péroné, fracture ouverte ; double fracture de la mâchoire, pneumothorax, des côtes, clavicule... Je reviens de loin. J’ai fait dix jours de coma... C’est arrivé en mai ; en juillet je suis allé en centre de rééducation à Hyères pendant un an. Puis après, je suis rentré chez ma mère.
Avec les ressources que j’avais, j’ai pu me prendre un appart. La CAF et la Sécu s’étaient plantées en ma faveur... Le problème, c’est que j’étais sous morphine parce que j’avais de grosses douleurs dans mon bras. Je suis allé habiter à la Roque d’Anthéron. Je me suis isolé. J’avais plus de vie sociale... Et voilà . J’ai passé deux ans là -bas. J’ai trouvé un médecin sur Paris pour m’opérer, pour la douleur. J’ai fait ça en février 2006 ; ça a été radical. Puis après sevrage, pendant six mois... Ensuite j’ai rencontré quelqu’un... Puis on s’est séparés ; j’ai cherché du boulot parce que j’en étais capable, j’en ai trouvé, et puis... Voilà , quoi.
H. - Qu’est-ce qui a provoqué l’accident ? Vous étiez seul ou c’était une collision ?
C. C. - J’étais seul. Problème technique... Sur la route, j’ai pris un trou, la béquille est sortie, j’ai pas pu prendre le virage. Je partais, j’avais même pas fait cinq cent mètres...
H. - Donc vous n’alliez pas non plus très vite.
C. C. - Non. Le moteur était froid...
H. - Comment vous décririez l’avant et l’après-accident ? A quel point ça a changé votre vie, ou votre perception des choses ?
C. C. - Alors... ça a changé ma vie, dans le fait que je ne peux plus pratiquer ma passion : la moto. Je ne peux plus faire mon boulot : mécano moto... Déjà , ça, c’était... Je vivais pour ça en fait. Ça a été très très dur au début. Rien que le fait de... J’avais jamais eu de voiture, avant. C’est la première voiture que j’ai eue après. Et le fait de me retrouver dans les bouchons, au début, ça a été très très dur...! (rires) Pour descendre à Marseille - j’habitais à Venelles - je mettais vingt à trente minutes, quoi. Là , c’est au moins trois quart d’heure... C’est plus pareil. Au début, il a fallu s’adapter. Une moto qui me doublait : fallait que je la suive ! Bon, c’est débile... J’ai compris que ça servait à rien. Et puis je me suis mis sur le toit aussi, ça m’a calmé. J’ai glissé, contre la rambarde, qui m’a tout gentiment mis sur le toit. Bon c’était gentil... Après ça je me suis dit "j’ai tout mon temps, je suis pas pressé".
H. - Vous êtes diplômé en mécanique ?
C. C. - Non, même pas. J’y étais allé au culot, et puis il y en a un qui m’a pris, et j’ai fait mes armes.
H. - Vous travailliez où ?
C. C. - J’ai bossé aux Milles, et puis après j’ai bossé à Suzuki ACM.
H. - Donc ce sont plutôt les choses du quotidien qui ont changé suite à cet accident ? Votre vision des choses, elle, n’a pas changé ?
C. C. - Ma perception des choses... Non, je ne pense pas que j’ai trop changé...
Si, j’ai peut-être changé de vision par rapport aux relations avec les femmes. Parce qu’avant l’accident, moi je faisais la fête... Ça venait, ça venait, et puis voilà . C’était vraiment sans aucun intérêt. Je m’y intéressais pas trop, sans plus, quoi. Des histoires d’un soir. Et puis après, je me suis rendu compte que je ne vivais vraiment, avant, que pour la moto, que ça monopolisait vraiment le reste. Et donc j’ai évolué sur ça... Maintenant j’ai envie d’avoir une relation sérieuse, normale et puis... vivre !
H. - Être célibataire, ça ne complique pas le vécu du handicap, la convalescence après l’accident ?
C. C. - Ben je me suis adapté, en fait. C’est là que je me suis aperçu que le corps s’adapte vraiment. Quand on n’a pas le choix en fait... J’ai fait des trucs qui paraissent invraisemblables pour les autres. Il y a des trucs que je ne peux pas faire, forcément... Couper ma viande, faire mes lacets, des petits trucs comme ça, tout bêtes, mais au final ça gêne pas trop. On s’y fait ! Bien obligé ! Bon, je dis pas que ça pas été dur au début... Mais j’ai jamais ressenti le besoin de... d’avoir de l’aide. J’ai jamais vu de psy. Et apparemment, je ne m’en suis pas trop mal sorti !
H. Est-ce que votre entourage : vos proches, vos amis... ont changé d’attitude ? Est-ce que ça a changé vos rapports ?
C. C. - J’ai vu les vrais amis ! Les autres, j’ai plus eu de nouvelle. Ça a fait le tri ! Radical. J’sais pas, ça faisait peur... ou c’était pas de vrais amis.
H. Vous pensez que votre handicap peut gêner les femmes que vous rencontrez ? Est-ce que ça peut modifier vos rapports homme/femme ?
C. C. - Certainement. Mais elles ne le disent pas ! On le sent, quand une femme est... J’ai connu des femmes, ça allait très bien, on s’est vus et puis après... Comment dire ? Elles n’osent pas te dire ce qu’elles ont vraiment sur le cœur, elles te le disent en ne disant plus rien.
H. D’après vous, ça modifie beaucoup les rapports au sein d’un couple déjà formé ?
C. C. - Heu... Si pour un couple déjà formé, il y a l’accident et l’après-accident ? Tout dépend, je pense, des séquelles. Il y a des situations qui ne doivent pas être évidentes. Après ça dépend aussi de la volonté du conjoint, je pense.
Par exemple, moi j’aurais eu quelqu’un avant, si elle m’avait quitté, je me serais dit que c’était une personne matérialiste.
H. Est-ce que vous pensez que les femmes ont un vécu différent du handicap ?
C. C. - Je pense que... c’est pas une question de genre. Je pense pas, parce qu’en étant considéré comme travailleur handicapé, le statut homme/femme, je pense plus qu’il y soit. Mais le mot "œhandicapé" regroupe beaucoup de choses, aussi. Des toilettes pour handicapés : ils voient aux extrêmes, donc fauteuil roulant... Faut que ce soit grand, aménagé... C’est assez large. Moi je sais que j’ai ma carte d’invalidité, mais je ne m’en sers jamais. Je pourrais faire une demande pour les parkings "places handicapés", je le fais pas. Pour moi ça sert à rien. Je n’en ai pas l’intérêt.
H. - Du point de vue de la virilité, est-ce que vous pensez que les hommes handicapés sont perçus différemment des hommes valides ?
C. C. - Tout dépend du handicap, je pense. Et viril... Si un homme veut être viril, il l’est, de toute façon.
H. - Justement, c’est quoi pour vous, "être viril" ?
C. C. - Chacun a sa définition de la virilité, je pense... Ce que c’est pour moi... Je n’y ai jamais trop réfléchi.
H. - L’image de l’homme viril, puissant, super protecteur avec sa copine par exemple, c’est un cliché ou vous pensez qu’il y a du vrai ?
C. C. - Ça doit l’être quand même un peu ! C’est sà »r, les extrêmes sont toujours... Mais... Si ! Un homme, ça doit quand même être un minimum protecteur.
H. - Dans le monde de la moto, il y a ce cliché du... "œBlouson Noir" . On dit souvent que c’est un monde super macho...
C. C. - Ouais. Mais est-ce que c’est pas une apparence aussi que donnent les motards ?... Mais oui, chaque monde a son cliché de la virilité... Après, ce que c’est la virilité pour chacun, je n’y ai jamais pensé...
Mais un mec qui fait du ménage ou un truc dans ce genre-là , c’est pas ça qui va lui enlever la virilité !
H. Est-ce que vous pensez que le handicap qui intervient dans la vie d’une personne peut porter atteinte à cette vision que l’homme a de lui-même, dans sa virilité justement ?
C. C. - Je pense pas. Enfin, je parle pour moi ! Mais personnellement, si on me propose de faire un truc à ma place, je dis non, d’abord. Je vais essayer. En général j’y arrive ! C’est vraiment quand je peux pas que je m’énerve, ou que je demande, mais sinon.... Je ne demande jamais quelque chose à quelqu’un. Quand c’est primordial, quand je suis avec quelqu’un, il le sait et il le fait de lui-même, de toute façon. En général, j’ai pas le temps de demander. Oui, à force, j’ai des collègues qui ne me demandent plus.
...Non, personnellement, ça n’a rien changé.
H. Est-ce que vous avez des façons à vous de compenser justement ce que vous ne pouvez pas faire ? Des astuces, des trucs pour vous faciliter la vie ?
C. C. - Je fais beaucoup de trucs avec mes pieds ! (rires) Sinon... Pour couper les ongles de cette main, je mets le coupe-ongles comme ça, entre mes genoux... Par contre, je ne peux pas me couper ceux de l’autre bras, bizarrement. Il faut qu’on me les coupe.
H. Vous y avez encore des sensations ?
C. C. - Non, plus du tout. C’est à cause de ça : j’attrape la peau. Et comme les doigts sont un peu raides, je ne peux pas les mettre comme je veux, je ne peux pas les tenir. Je suis également insensible au chaud/froid.
Sinon... J’ai des brosses avec des ventouses, pour me nettoyer les mains. Des petits trucs comme ça. Mais je n’ai pas adapté trop de choses, parce que j’arrive à bien m’en sortir.
H. Apparemment ! Et vous avez une voiture automatique, c’est ça ?
C. C. - Oui. Automatique, avec la boule au volant. Normalement je devrais avoir toutes les commandes des comodos au volant aussi, mais je les ai pas encore installées.
H. Ça semble assez positif comme bilan.
C. C. - Je pense être bien dans ma tête, c’est sà »r !
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