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Borges, le lecteur aveugle

Jose Luis Borges est l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle. Un écrivain qui est devenu progressivement aveugle et qui a continué à écrire pour raconter d’étonnantes histoires où la fiction s’imbrique dans la réalité, où il devient impossible de séparer l’une de l’autre.

Jose Luis BorgesJose Luis Borges est né le 24 aoà »t 1899. Il est le fils de Jorge Guillermo Borges, avocat et professeur de psychologie féru de littérature, et de Leonor Acevedo Suarez, anglophone et traductrice. Il étudie en Suisse et en Espagne où il devient membre du mouvement ultraà¯ste, équivalent des futuristes et dadaà¯stes italiens, français et allemands. De retour à Buenos Aires en 1921, il s’engage dans de multiples activités culturelles : publication de revues, de poèmes, d’essais, traduction de Kafka et Faulkner. C’est à la fin des années 30 qu’il publie "L’Histoire universelle de l’infamie" qui le fait connaître. Il écrit aussi des romans policiers parodiques signés Bustos Domecq avec son ami Adolfo Bioy Casares et même des chansons sur des musiques d’Astor Piazzolla.

En 1938, il obtient un emploi dans une bibliothèque de Buenos Aires. C’est à cette même époque qu’il écrit Pierre Ménard, auteur du Quijote, son premier conte fantastique où il postule que c’est le mystérieux Pierre Ménard qui aurait écrit le Don Quichotte de Cervantes. C’est aussi à cette même époque, comme son père, qu’il commence à ressentir les atteintes d’une grave maladie qui entraîne une cécité progressive.

En 1946, il perd cet emploi du fait de son opposition au régime de Juan Peron. En 1955, des militaires "révolutionnaires" chassent Peron du pouvoir. Borges devient directeur de la Bibliothèque nationale et professeur à la Faculté de lettres de Buenos Aires.

S’il est un écrivain reconnu en Argentine, ce n’est que dans les années 60 que Borges accède à une reconnaissance internationale. En France, c’est l’écrivain Roger Caillois et la revue Planète qui le font connaître du grand public. En 1975, après la mort de sa mère, il se met à voyager à travers le monde. Il meurt en 1986 à Genève, la ville où il avait fait ses études.

Jose Luis BorgesBorges est devenu aveugle assez jeune mais de façon progressive, ce qui eut une forte influence sur ses écrits. Dans l’une de ses nouvelles, "L’Autre", il se rencontre lui-même plus jeune, sur un banc, et prédit son futur : "Tu deviendras aveugle. Mais ne crains rien, c’est comme la longue fin d’un très beau soir d’été". Citons aussi cet extrait d’une interview de Borges (Monde Diplomatique, juin 2001 entretien avec Ramon Chao) : "depuis 1955, ma cécité m"™empêche de lire. Cette année-là se sont produites deux choses capitales dans ma vie : on m"™a nommé directeur de la Bibliothèque nationale de Buenos Aires, et, presque simultanément, je suis devenu aveugle. Deux cent mille volumes à portée de ma main... sans que je puisse les lire."
Borges, à 78 ans, donne une conférence où il s’avère que s’il ne voit plus du tout d’un œil et très peu de l’autre, il peut encore déchiffrer le vert et le bleu. Si le rouge et le noir ont disparu, il lui reste aussi le jaune, une couleur essentielle pour lui : "une couleur qui ne m’a jamais été infidèle, qui m’a toujours accompagné", le jaune, couleur des tigres.

La cécité l’oblige à compter sur sa mère pour l’aider, il n’a jamais appris le braille. Ensuite ce fut son assistante, Maria Kodoma, qui lui lisait journaux et livres et prenait en note ses textes. Ce qui est remarquable, c’est que la cécité n’a jamais empêché Borges d’écrire. Son œuvre est abondante, protéiforme : il a écrit sur Les Milles et une nuits, sur la Divine Comédie de Dante, sur le bouddhisme, des contes, des nouvelles, des poèmes.

Une des figures centrales de l’œuvre de Borges est le labyrinthe, une figure à l’œuvre dans sa nouvelle "L’immortel". Dans cette dernière, l’écrivain met en scène un tribun de la légion romaine à la recherche du fleuve de l’immortalité. A la limite de ses forces, Marcus Flaminius Rufus s’écroule et, mort de soif, boit une eau infecte... Qui n’est autre que celle du fleuve tant recherché. Lorsqu’il s’éveille, il s’aperçoit qu’il est observé par des épaves à peine humaines qui rôdent à la lisière d’une énorme et luxuriante cité, la cité des immortels. Une seule entrée possible à cette cité : un puits qui est le début d’un labyrinthe qui renvoie celui qui l’arpente à la même chambre. Lorsqu’il parvient à sortir de ce labyrinthe, c’est pour se retrouver dans un autre labyrinthe d’une complexité encore plus effrayante que le premier. Les immortels vont se révéler être les formes humaines aperçues plus tôt, des hommes devenus fous d’ennui car dans l’immortalité tout se répète. Quoiqu’ils fassent, les immortels sont confrontés à "l’éternel retour". Pour Borges "être immortel est insignifiant".

MC Escher - Relativité

Poursuivons cette évocation de Borges avec la "Bibliothèque de Babel" qui est l’une des nouvelles qui constituent le recueil "Fictions". Dans cette nouvelle, Borges imagine une bibliothèque gigantesque qui contient tous les livres de 410 pages possibles, dont toutes les salles hexagonales sont disposées de la même manière. Ces livres sont placés sur des étagères comportant toutes le même nombre d’étages. Chaque livre a le même nombre de pages et de signes écrits au hasard. L’alphabet utilisé comporte toujours 25 caractères. Cette bibliothèque contient tous les livres écrits parmi un nombre immense de livres sans aucun contenu lisible (chaque livre peut n’être constitué que d’une succession de lettres ne signifiant rien de précis dans aucune langue), c’est-à -dire tout ce qu’il est possible d’exprimer, dans toute les langues. La bibliothèque est habitée d’une race d’hommes qui ne connaît que cet univers et qui recherche le livre ultime, la révélation, la vérité. On retrouve les thèmes favoris de Borges, le labyrinthe mais aussi la répétition, le miroir. On peut aussi lire ce conte "comme une variation sur le thème des Vanités : le vertige suscité par l’accumulation d’ouvrages hétérogènes et souvent absurdes, accumulation portée ici à sa plus haute intensité, n’est peut-être qu’une façon de conduire écrivains et critiques à accepter les limites de toute création (...). Ne sommes- nous pas invités à contempler la "petitesse du livre dans l’univers" ? "("Bibliothèques de Babel" : ordre ou chaos ? Sylvie Parizet, www.vox-poetica.org)

MC Escher

Une des obsessions de Borges est le Don Quichotte de Cervantes. Dans une de ses nouvelles "Pierre Ménard, auteur du Don Quichotte", il affirme que le véritable auteur du célèbre livre n’est pas Cervantes mais bien Pierre Ménard. Par là , il interroge la figure de l’auteur et de l’écrivain. Pour Borges, il n’existe pas de création ex-nihilo, toute œuvre est référencée à d’autres œuvres et constitue un labyrinthe de références croisées. En cela, on pourrait affirmer que Borges a eu l’intuition de l’hyper-texte et du langage HTLM (hyper text marking langage) qui permet d’afficher les pages web sur un navigateur. Chaque page internet est reliée à d’autres pages qui elles-mêmes sont.... Par ailleurs, on trouve dans cette nouvelle comme dans "L’immortel" une référence à l’éternel retour nietzschéen.
Borges dans ses entretiens avec George Charbonnier présente ainsi Pierre Ménard : "« Pierre Ménard est un peu sceptique, un homme d"™une grande modestie et d"™une grande ambition à la fois ["¦]. Il y a chez lui un excès d"™intelligence, un sens de l"™inutilité de la littérature ; l"™idée qu"™il y a déjà trop de livres, que c"™est un manque de politesse ou de culture que d"™encombrer les bibliothèques avec des livres nouveaux ["¦]. Il y a aussi un peu d"™humour dans le cas de cet homme évidemment intelligent, qui pratique une besogne aussi vaine et aussi consciemment vaine ["¦] Il ne copie pas exactement [un chapitre]. Il l"™oublie puis il le retrouve en lui-même. Il y aurait là l"™idée qu"™on n"™invente rien, qu"™on travaille avec la mémoire ou, pour parler d"™une façon plus précise, qu"™on travaille dans l"™oubli »
Selon Esther Riva ("Le sujet poétique dans la galerie des glaces", Université Paris VIII) on retrouve "dans cette idée de quelqu’un qui oublie ce qu’il a lu et qui retrouve en lui-même exactement ce qu’il a lu (...) un postulat chez Borges qui se trouve à la base de nombre de ses fictions, celui de l’éternel retour." On y trouve aussi la réflexion qu’il mène sur la condition de l’auteur par rapport à la frontière, selon lui, incertaine, entre originalité littéraire et plagiat.

Répétition, labyrinthe, miroir, double, fiction, plagiat, création, réseau, l’œuvre de Borges est une de celles qu’il faut absolument avoir lues car l’écrivain, bien qu’aveugle, voyait loin, très loin : sans aller jusqu’à prétendre qu’il avait prévu l’actuelle vogue du "story telling" qui amène les gourous du marketing à raconter des histoires pour souder les équipes de cadres, vendre des marchandises, des hommes politiques, il n’en était pas si loin avec ses nouvelles qui mêlent si habilement fausses et vraies références.

 

Jacques Becker


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