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Sur le Fil, le festival A VOIR !

Sur le Fil, le festival A VOIR !

Handimarseille - Pouvez-vous vous présenter toutes les deux ?

Emilie Bruguière - Je suis Emilie Bruguière de l’association Arts-terres qui développe des projets culturels pour favoriser la rencontre entre les personnes sourdes, malentendantes et entendantes. Je suis chargée des relations publiques et de la programmation culturelle de l’association.

H. - Comment êtes-vous arrivée là ?

Emilie B. - Ma carrière artistique m’a amené à apprendre la langue des signes. J’ai voulu allier la partie culture avec le travail autour de la langue des signes, la population sourde, les artistes sourds. J’ai rencontré l’association Arts-terres il y a deux ans. Je travaille donc avec eux ce qui m’a permis de connaître les besoins et les attentes du public sourd, faire l’éventail de la création d’artistes sourds au niveau national, un peu aussi au niveau international.

H. - Et vous ?

Agnès Bertin - Je suis Agnès Bertin, directrice administrative du théâtre le Parvis des Arts depuis septembre 2008. C’est ma quatrième rentrée. Je suis venue à Marseille pour y travailler. Mon parcours est moins de l’ordre du spectacle vivant que du cinéma, de l’image.

H. - Quelles sont vos responsabilités au Parvis des Arts ?

Agnès B. - Je m’occupe de la gestion administrative et la gestion des partenariats, de l’accueil du public. Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir accueillir tous les publics, dans la rencontre de proximité, en essayant de transmettre et de faire partager ce qu’on aime... L’’idée, par rapport à ce lieu qui se situe dans le grand centre-ville de Marseille et en même temps de l’autre côté de la Belle de Mai, c’est de se faire reconnaître comme un lieu culturel de proximité à Marseille tout en étant impliqué dans le quartier.

H. - Le Parvis des Arts favorise l’accès au théâtre pour les publics sourds et malentendants. Depuis quand ? Et qu’est-ce qui vous a amené à ouvrir cet espace à ce public-là ?

Agnès B. - Le premier spectacle rendu accessible, c’était en juin 2009. Et c’est un désir qui a effectivement été encouragé et soutenu par le conseil d’administration, travailler pour le public sourd. Moi, j’ai été étonnée en arrivant dans une grande ville comme Marseille de voir qu’il y avait si peu de choses proposées pour une communauté qui reste minoritaire tout en étant importante. Il y a ensuite eu un faisceau de rencontres. On a travaillé en stage avec des personnes qui avaient plaisir à travailler avec le public sourd. Du coup, cette énergie commune est à l’origine de cette première étape. L’idée était également de développer des ateliers et de renforcer des partenariats. En sachant qu’il y avait Arts-terres qui était la seule association à proposer un spectacle accessible et une programmation culturelle intéressante. On s’est rencontré. On a proposé d’accueillir le festival, c’était en octobre 2009. On en était à sa deuxième édition.

H. - Pouvez-vous parler de ce qui a présidé à la naissance du festival ?

Agnès B. - On en est donc cette année à la quatrième édition. Sur l’origine et l’objectif du festival, c’était que ce soit un festival accessible à tous, sourds, malentendants et entendants, ceux qui pratiquent la langue des signes et ceux qui ne la pratiquent pas forcément ou qui avaient envie de la découvrir. C’est vrai que les premières éditions ont davantage attiré un public de personnes entendantes qui étaient intriguées ou qui éprouvaient l’envie de participer à un atelier d’initiation à la langue des signes. C’était effectivement curieux de découvrir un spectacle avec des artistes sourds. Résultat, on a eu de la peine à toucher le public sourd lors des premières éditions. C’est depuis la troisième édition qu’on a senti un essor parmi les personnes sourdes. Le réseau s’est impliqué dans le projet, il s’est accaparé la manifestation. Les artistes sont désormais au niveau des attentes du public. On sait qu’on est attendu sur cette nouvelle édition, que ce soit autant de la part des associations de sourds que du réseau sourd à Marseille et un peu au-delà , en région. On a commencé à recruter les bénévoles. On peut là aussi noter une participation en hausse du nombre de personnes sourdes parmi l’équipe de bénévoles. La progression est intéressante depuis quatre ans.

H. - Deux ou trois chiffres sur la participation.

Agnès B. - L’année dernière, il y avait plus de 600 personnes sur le week-end, sur deux jours et demi de programmation. On a affiché complet sur l’ensemble des spectacles et des ateliers. On ne pouvait pas prendre plus de monde que ce qu’on a reçu.

H. - Quel sera le fil directeur cette année du festival ?

Agnès B. - C’est de mélanger le spectacle vivant et l’art visuel, cinéma et photo. La soirée d’ouverture, on aura l’accueil d’une exposition de trois jeunes femmes sourdes qui sont allées au Brésil et en Argentine. Elles ont ramené des photos d’enfants et d’adultes sourds. L’ouverture du festival, c’est donc le vernissage de l’exposition en présence des artistes qui vont expliquer leur démarche. Quelle est la place des sourds, le rapport à la surdité sur le continent sud-américain ? On enchaîne ensuite avec un buffet offert suivi de spectacles, un spectacle visuel de danse hip-hop burlesque, un spectacle de théâtre et musique avec un comédien sourd, une comédienne entendante et un musicien. Ça s’appelle "bleu comme une orange". C’est la grosse soirée, celle de vendredi.

Samedi, toute la journée, se tiendront des ateliers : atelier en langue des signes, initiation, un atelier marionnettes, ce sont les mains qui se transforment en marionnettes. Il y a aussi un atelier photo qui portera sur le festival, le quartier... Enfin, un atelier de musique avec un des comédiens de "bleu comme une orange".
Il y aura aussi une balade commentée en langue des signes dans Marseille. Et à 17h30, on reprend la programmation avec "12 rue de la joie", un spectacle visuel avec une comédienne entendante et un comédien sourd. A 20h30, la projection d’un documentaire sur le quotidien d’un sourd, Clément, qui est comédien. On finit avec une scène ouverte, donc un appel aux participants, signants et non-signants, la scène leur sera ouverte pour un petit bœuf de fin de soirée.

Dimanche, de nouveau une balade en langues des signes l’après-midi, la présentation à 15 h 30 d’un théâtre amateur, avec un atelier mixte animé par l’association A.c.c.e.s. Le spectacle, "la femme dans tous ses états", c’est une pièce autour de la prévention des maladies sexuellement transmissibles, du sida.
Pour clore le festival, le long métrage à 17 h de Joël Chalude, un comédien, metteur en scène, réalisateur, qui présente son premier film, un peu burlesque et remake à sa façon, "Arsenic et vieilles dentelles" devenant "Arsenic et vieilles oreilles", il s’agit de la problématique des sourds, de l’appareillage...

H. - Quand le festival se tiendra-t-il ?

Agnès B. - Le 4, 5, 6 novembre, ici, au Parvis des Arts. Certaines choses se passeront à la salle du Cri du Port, qui nous est prêtée, et dans la Maison pour tous. Mais le lieu de ralliement, c’est le Parvis des Arts.

H. - D’où viennent les artistes ?

Agnès B. - La compagnie de danse hip-hop, Parallèles, elle vient du Var et de l’Ile-de-France. La compagnie Tybalt pour "bleu comme une orange", c’est du Mans qu’elle provient. La troupe Mango, du Languedoc-Roussillon, qui interprète "12 rue de la joie". Quant à Joël Chalude, il est maintenant à Paris.

H. - Pourquoi eux en particulier ?

Emilie B. - La programmation qui est choisie par Arts-terres et le Parvis des Arts, c’est des coups de coeur. On fonctionne comme ça, l’envie de révéler une oeuvre. Des choses qu’on n’a pas l’habitude de montrer en France. Le film de Joël Chalude par exemple qui n’est pas beaucoup diffusé.

H. - Quelle est la nature du partenariat rassemblant le Parvis des Arts et Arts-terres en dehors du festival "Sur le fil" ?

Emilie B. - Il y a eu, au départ, une collaboration sur l’adaptation d’un spectacle, d’une compagnie qui est résidente du Parvis des Arts, une compagnie de marionnettes.

H. - Quel était l’objectif de la collaboration ?

Emilie B. - C’était de mutualiser des moyens qu’il n’y avait pas forcément chez les uns ou chez les autres. Nous, en l’occurrence, on n’a pas de lieu de diffusion, d’accueil pour les publics. Ça nous a obligé à nous tourner vers différents lieux culturels. Pour le Parvis des Arts, la possibilité de s’ouvrir au public dit éloigné et de trouver une identité auprès du public sourd.

H. - Avez-vous une programmation annuelle en direction du public sourd ?

Emilie B. - On essaie d’avoir un spectacle au moins, voire deux quand c’est possible, en langue des signes ou en tout cas visuels, qui permettent effectivement une accessibilité.

H. - Qu’est-ce que ça demande comme aménagements spécifiques ?

Emilie B. - Ça n’en demande pas sauf si on veut adapter la boucle magnétique pour les malentendants, l’équipement est proposé par Arts-terres pendant le festival "Sur le fil". Pour l’instant, s’agissant des autres spectacles accessibles aux sourds, ils le sont parce qu’ils sont interprétés en langue des signes ou c’est du mime, c’est visuel en fait. Or, l’adaptation est requise s’il y a échange entre le comédien et le public, il nous faut un interprète qui a un coà »t important. C’est aussi une question d’accessibilité mais le coà »t n’est pas un coà »t d’investissement. Ce n’est pas la même chose lorsque on investit pour des personnes en fauteuil roulant. Alors que là , pour les sourds, on demande la présence d’interprète. C’est une des difficultés qu’on a à faire financer les coà »ts de l’interprétariat.

H. - Proposez-vous des ateliers de théâtre en dehors du festival ?

Agnès B. - Il y en a eu un l’année dernière dont on n’a pas obtenu pour l’instant le renouvellement du mécénat. On a ouvert le lieu cette année à un groupe, le jeudi soir, pour un atelier de théâtre amateur. Sinon, il y a les ateliers pendant le festival. Reste qu’il y a peu d’activités hebdomadaires liées aux pratiques artistiques, c’est lié au fait qu’il n’y a pas d’artistes ou d’intervenants professionnels sourds ni à Marseille ni dans la région.
Par exemple, pour l’atelier de théâtre qui avait lieu chaque semaine, on faisait appel à un comédien sourd venant de Limoges. Nous n’avons pas d’artiste sourd malgré que le public sourd soit en demande de ce type d’atelier. L’occasion de pouvoir s’éveiller, de découvrir des pratiques artistiques qui ne leur sont malheureusement pas proposées à Marseille.

H. - Qu’en est-il concernant d’autres types de handicap ?

Agnès B. - On accueille des gens à mobilité réduite, en fauteuil, le théâtre est au rez-de-chaussée. Il nous arrive régulièrement d’accueillir des personnes. On a aussi travaillé à un accueil plus singulier, associé à une association spécialisée dans l’audio-description sur certains spectacles, mais ça n’a pas été reconduit pour l’instant.

H. - Et vous ?

Emilie B. - Nous, à Arts-terres, on est recentré sur le public sourd, sachant que le handicap auditif regroupe plusieurs problématiques liées à l’accessibilité. On n’est pas sur les mêmes données en fonction du public sourd profond, du public appareillé et du public devenu sourd. C’est beaucoup de problématiques à gérer.

H. - Reste donc beaucoup de choses à faire ?

Agnès B. - En matière d’accessibilité à Marseille et surtout dans la perspective de 2013, Marseille capitale européenne de la culture, pas mal de choses restent effectivement à faire, en tout cas pour le public dont on parle, le public sourd.

H. - Dernière question. Vous avez été sollicitées par Emmanuelle Laborit d’Ivt, International Visual Théâtre, le premier théâtre à Paris dédié à la langue des signes et aux arts gestuels, l’institution est menacée de fermer ses portes. Qu’en pensez-vous ?

Emilie B. - On a reçu une pétition. On en est tous là malheureusement. Ce sont effectivement d’abord les minorités qu’on touche, les petites structures. Ivt n’est pas une petite structure, le fait est qu’on s’en prend aux minorités, on commence par ces endroits-là . C’est dans la continuité de la politique actuelle. C’est dommageable ! Il faut continuer à soutenir et à militer. Si les structures comme Ivt sont en péril, on peut se faire encore plus de soucis pour les petites structures.

Agnès B. - C’est dommageable sachant que c’est une structure unique en France. Le lieu associe la formation en langue des signes, la diffusion d’artistes sourds et la programmation de créations en langue des signes. Ce sont les seuls en France. Des projets similaires, il y en a peu, les associations qui oeuvrent sur la culture artistique sourde sont rares. Les festivals en langue des signes, on est quatre ! On peine malgré tout à obtenir les moyens nécessaires pour développer des projets dans leur ampleur. On sait qu’au niveau national, les projets liés au public sourd sont difficiles à défendre dans la mesure où les publics sont "discrets". Il est urgent qu’ils puissent se faire voir, se faire entendre si je peux me permettre le jeu de mots. A Marseille, qui plus est, la communauté est repliée sur elle-même. Les personnes entendantes auraient beaucoup à gagner à s’ouvrir à ces personnes-là , beaucoup à apprendre aussi de la culture sourde et toute la richesse liée à cette langue des signes qui est vivante, visuelle, ludique. On le voit notamment au cours des ateliers de langue des signes qu’on propose au festival, les entendants passent un bon moment à apprendre, à s’initier à cette langue. C’est une langue riche d’enseignement, de communication, de rencontre, d’échange.

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