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De discrimination en discrimination

Parcours d’un travailleur handicapé porteur du VIH

Quand on est porteur d’un handicap, trouver un emploi n’est pas une chose simple. Mais lorsque ce handicap est causé par une maladie invalidante évolutive telle que le VIH, cela devient d’autant plus complexe. Sylvie, aujourd’hui psychologue a dû se battre durant plus de vingt ans pour exercer une activité professionnelle. Elle témoigne des représentations négatives générées par sa maladie, du nombre impressionnant de portes qui se sont fermées devant elle, de sa ténacité malgré tout et de sa réussite.

De discrimination en discrimination

Handimarseille : Bonjour, voulez-vous vous présenter ?

Sylvie : Je m’appelle Sylvie, Je suis psychologue dans une maison de retraite, j’y travaille un jour par semaine depuis 2008.
Je suis porteuse du VIH depuis 25 ans. J’ai été reconnue adulte handicapé en 1993 à un moment où j’ai été très malade. J’avais développé une succession de maladies opportunistes assez lourdes qui ont nécessité trois années d’hospitalisation, j’ai passé de longs séjours en chambre stérile, de gros problèmes de santé avaient alors justifié ce statut de personne en situation de handicap.

H : Avez-vous appris votre séropositivité alors que vous étiez en activé professionnelle ?

S : Oui, je travaillais déjà, c’était en 1985. Quand j’ai fini la fac, je suis partie faire les saisons, en hiver en station de ski, et l’été je travaillais avec mon compagnon de l’époque, nous tenions son restaurant à Agde.

H : Est-ce que cela a eu un impact sur votre projet professionnel ? De quel ordre ?

S : Oui, quand j’ai appris la nouvelle et puis tout au long de ma vie professionnelle. Le premier impact a été effectivement à l’annonce, le médecin de l’époque a commencé par me dire que le travail à la montagne ne serait plus possible et que je devais me rapprocher de l’hôpital pour mon suivi médical et que de toutes les manières je n’aurai plus la force de faire ce travail-là.

Ensuite, j’ai tellement été abattue par la nouvelle, je ne savais pas du tout comment gérer ça, j’en ai parlé à tout le monde autour de moi, à des proches, mes amis. Ils ont très mal réagi et la nouvelle a vite fait le tour. Il faut dire qu’il y avait une vraie psychose autour du VIH à cette époque. Donc, je me suis retrouvée avec mon assiette et mes couverts en plastique pour les repas, mise à l’écart par l’équipe du restaurant.

Et mon compagnon avec qui je vivais et travaillais, n’a pas tardé à me dire que pour le restaurant, il serait préférable que je pense à faire autre chose.
C’est à cette époque que j’ai ressentie de la discrimination. Cette pression et le fait de la proximité nécessaire avec l’hôpital m’ont poussé à partir et à faire autre chose et je me suis orientée vers le métier d’infirmière, je voulais soigner les gens.

H : À quelles difficultés avez-vous été confrontée concernant votre projet professionnel ?

S : Dans cette optique, j’ai préparé le concours que j’ai réussi. Mais, pour entrer à l’école, il me fallait fournir mon carnet de vaccination à jour. Le souci c’est que je ne pouvais pas faire le BCG qui est un vaccin vivant. Il faut savoir que l’on ne fait pas de vaccin vivant à une personne qui est immuno-déficiente, elle contracterait aussitôt la maladie. J’étais ennuyée, l’école m’avait dit d’aller demander à mon médecin d’établir un certificat de contre-indication.
Mais, il a refusé, disant qu’il était obligé de mentionner la cause de la contre-indication. Maintenant, je sais que ce n’était pas vrai, aujourd’hui les médecins n’ont pas le droit de refuser de fournir un tel document.
À l’époque, ce médecin, avec ses préjugés, avait décidé pour moi de mon orientation professionnelle. Et puis, on ne savait pas ce que l’on sait aujourd’hui, l’espérance de vie était très réduite. Il avait même ajouté, qu’il n’imaginait pas une infirmière séropositive, qu’avec ma santé, j’en serais incapable. J’ai dû abandonner l’idée.

Mais, je ne me suis pas découragée. En 1992, je me suis dit, pourquoi ne pas faire un diplôme d’hôtesse de l’air et voyager ! Ça me paraissait une bonne idée. Donc, j’ai fait la formation. Un premier module théorique que j’ai obtenu, une deuxième formation pratique que j’ai réussie et après je devais passer une visite médicale afin de valider le diplôme.
Lors de la visite, j’ai informé le médecin de mon état de santé et à l’issue de cette visite, ça m’a été refusé. J’ai reçu un document disant « inapte » !
J’ai tout essayé pour faire appel à cette décision car, j’étais asymptomatique, je n’étais pas malade, j’allais très bien, la maladie n’était pas déclarée. J’ai tapé à toutes les portes, avocats etc. Mais, rien à faire j’ai dû laisser tomber ça aussi.

Ensuite, je me suis engagée vers un diplôme de visiteuse médicale et c’est là que j’ai décompensé, je suis tombée très malade de 1993 à 1996. Quand j’ai pu reprendre le dessus, malgré les traitements lourds, sous perfusion en permanence, je me suis remise à mes études jusqu’en 2000. Et là, j’ai eu mon enfant !
Il faut dire que dès l’apparition des nouveaux traitements, je n’ai plus été malade et je n’ai plus rien contracté. Mais, j’ai gardé des séquelles de ces traitements successifs, qui avouons-le, sont très agressifs et provoquent un vieillissement précoce et un tas de problèmes chroniques qui ne se voient pas, mais, qui me fatiguent au quotidien. Enfin en 2004, j’ai eu mon DESS pour exercer en psychologie.

H : Qu’avez-vous ressenti face à ces portes qui se fermaient ?

S : Un profond rejet ! Une grande injustice ! Clairement, de la discrimination. Je ne voyais pas d’issues, d’ouverture vers le monde du travail et je ne trouvais pas ma place en tant que personne en situation de handicap dans la société.

H : Est ce que vous avez analysé pourquoi ces portes se fermaient ?

S : C’était tout d’abord, la crainte de la contamination causée par la méconnaissance de la maladie et des causes de contamination.
Le handicap dérange, mais, le VIH est un handicap qui a une place très particulière, il fait très peur. On a beau connaître les modes de transmission, cette image dans la société reste indélébile. Il y a beaucoup trop de monde, et même dans le milieu médical, qui véhicule cette peur à cause de mauvaises représentations.
Et puis, il y a l’image négative de la personne, le discrédit jeté sur elle. Très souvent les gens se disent : « si elle a attrapé ça, c’est qu’elle a une vie dissolue, qu’elle a fait n’importe quoi, avec des prises de risque ou qu’elle a une vie sexuelle particulièrement débridée ». On sait bien que c’est faux, c’est une représentation erronée !

H : Vous êtes reconnue adulte handicapée mais, avez-vous fait valoir la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé ?

S : Oui, j’ai la RQTH depuis 2006, mais, je ne l’ai jamais fait valoir dans l’emploi et je n’en ai pas eu l’occasion. Avant de travailler en maison de retraite, j’ai eu un CDI au Conseil Général, je ne l’avais pas dit, personne ne l’a su.

Pour le poste que j’occupe actuellement, je ne fais que 7 h par semaine. C’est une petite structure, pour être dans la légalité du 6%, elle n’a besoin que d’un seul travailleur handicapé et la place est déjà prise. Là non plus, je ne la fais pas valoir, si je ne travaille qu’un jour par semaine, ce n’est pas dû à un aménagement de poste, c’est par contrainte budgétaire et organisation du travail.

Mais, ça ne me suffit pas, j’aimerais pouvoir faire plus d’heures. Cette année, j’ai par ailleurs fait une formation en oncologie et j’ai pris des contacts pour postuler dans d’autres structures. Je voudrais travailler davantage, j’ai envie d’exercer mon métier.

H : Est-ce que votre employeur connaît votre handicap ?

S : Oui, ma responsable sait de quoi il en retourne. J’ai préféré en parler. Je pense que dans l’emploi, il doit y avoir une relation de confiance. C’est un engagement moral, un échange honnête.

H : Quelle a été sa réaction ?

S : Ma directrice a bien précisé qu’il ne fallait pas que ça se sache dans l’établissement. Que je ne devais pas en parler au personnel, à personne et de surtout garder mes problèmes pour moi. Elle l’a clairement verbalisé. Elle craint d’une part, le bouche-à-oreille, le qu’en-dira-t-on, la pression des familles des résidents, tout ça pour préserver la réputation de l’établissement. Et d’autre part, elle a peur que je m’écoute trop, que j’en parle tout le temps ou que je me laisse aller à me plaindre auprès des collègues. Et il n’y a que trois personnes qui connaissent ma situation, le médecin, la directrice et la personne en situation de handicap.

H : Vous disiez faire des recherches d’emploi, mentionnez-vous que vous êtes travailleur handicapé ?

S : Oui, je l’ai ajouté à mon CV, je ne dis pas clairement que j’ai la RQTH, mais je mentionne que je suis bénéficiaire de minima sociaux, éligible aux emplois aidés. Mais, je vais le supprimer, ça ne m’aide pas.

H : Pourquoi ça ne vous aide pas ?

S : Il y a une étude très sérieuse parue le mois dernier dans le journal du Psychologue, qui a été faite pour cerner les représentations sur les personnes handicapées dans l’entreprise et le monde du travail. On interroge des gens en leur demandant d’associer dix mots pour parler des personnes handicapées. Le résultat est que sur ces dix mots, il y a surtout des représentations négatives : « ne peut pas si, ne peut pas cela », les seules qualités qui ressortent sont : « les personnes handicapées sont courageuses et sympathiques ». Voilà ! Donc, c’est assez stigmatisant !

H : Vous a-t-on questionné sur la nature de votre handicap lors d’un entretien d’embauche ?

S : Oui, c’est arrivé que l’on me demande ce que je pouvais bien avoir puisqu’il n’y a rien de visible chez moi qui pourrait laisser supposer que je suis handicapée. C’est la porte ouverte aux questionnements. Je n’ai jamais dit à l’occasion d’un entretien que j’étais séropositive.
Je comprends l’employeur qui a envie de savoir, il gère quand même une entreprise, il a besoin de connaître les contraintes liées au handicap, s’il peut compter sur la personne qu’il recrute, c’est normal qu’il s’inquiète sur les mesures et les aménagements qu’il devra mettre en place, d’accord ! Mais parler de cette pathologie, la nommer ouvertement avec toutes les représentations négatives qu’elle génère, le fait qu’elle soit évolutive en plus, c’est assez inconfortable et difficile en entretien d’embauche, on ne sait pas comment réagira la personne, elle peut prendre peur.

Quand ça m’est arrivé, je n’ai pas dit la vérité, j’ai contourné le problème, j’ai donné le nom d’une autre maladie, en ne disant que ce que la personne était capable d’entendre. Je lui ai dit que j’étais stabilisée, que j’allais bien mais, que j’avais besoin d’un suivi régulier et de quelques aménagements d’horaires, que ce serait le seul inconvénient. Parce qu’en fin de compte le recruteur a besoin d’être rassuré c’est tout.

H : Selon vous, quelles seraient les solutions pour changer cet état de fait ? Comment ?

S : Il faudrait faire tout un travail d’informations en amont auprès des entreprises grandes et petites, des salariés, de la médecine du travail, dans les collèges, les lycées, pour toucher le plus grand nombre et casser les peurs et ces représentations négatives qui persistent encore autour de la maladie.

Ça passe par une bonne information sur les risques de contaminations et les modes de transmission du virus. Enfin ! Ça ne s’attrape pas comme un rhume non plus et il y a encore beaucoup de peur à ce sujet !

Il faut combattre les idées reçues et les fantasmes sur la population concernée qui sont totalement erronés, montrer à tout le monde que ça peut arriver à chacun et que ça peut toucher toutes les couches de la société. Le cliché disant que la maladie va de pair avec la toxicomanie, une vie sexuelle libertine et dissolue n’est pas le reflet de la réalité.

Dire aussi que ce n’est pas parce que le handicap n’est pas visible qu’il n’est pas réel, l’épuisement et la douleur ne se montrent pas par pudeur mais, ce n’est pas pour autant qu’ils ne s’endurent pas.

Rassurer les employeurs, expliquer que c’est une maladie évolutive invalidante, qu’il est vrai que le handicap peut s’aggraver mais, qu’il n’y a pas de généralité, au même titre qu’un cancer. On ne peut pas savoir à quoi s’attendre dans cinq ou dix ans. Et les informer sur les besoins des travailleurs handicapés souffrant de cette pathologie qui ne sont pas du tout les mêmes que pour une personne souffrant d’un handicap moteur par exemple.

H : Idéalement, un employeur devrait apporter quelle adaptation de poste pour la compensation de votre handicap, comme l’entendrait la loi de 2005 ?

S : L’adaptation de poste est simple. Elle repose sur une bonne connaissance et une écoute des besoins de chacun. Elle s’entend surtout en terme d’horaires et aménagement du temps de travail. S’adapter au fait que le salarié est amené à s’absenter de façon régulière pour son suivi médical, que ça peut lui prendre du temps à l’hôpital, on sait bien qu’il y a beaucoup d’attente et que le système médical prend en compte le patient, mais, pas toujours la personne qui a une vie professionnelle. Lui permettre de pouvoir dire qu’il est fatigué et éventuellement le libérer pour qu’il aille se reposer.
Et surtout le croire quand il se dit fatigué, car c’est bien une réalité et pas simplement un moyen d’en faire moins. Oui ! Une écoute.
Je suis certaine que s’il y a cette compréhension, l’employeur pourra compter sur un collaborateur dévoué qui fera tout pour le satisfaire.

Propos recueillis par Géraldine Deshais.


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