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Trajet singulier

Entretien avec Rémi Beauverger, étudiant en psycho.

Rémi Beauverger, 28 ans, est infirme moteur cérébral (IMC), atteint de problèmes moteurs et cognitifs. Son parcours scolaire est très atypique : parti de la mixité, il a connu la scolarisation à domicile par correspondance, puis le milieu spécialisé.
Quand il obtient enfin son baccalauréat - avec mention - il a alors suffisamment de confiance en lui pour entamer un cursus universitaire, avec les autres, au même rythme que les autres.

Trajet singulier

HandiMarseille - Êtes-vous handicapé de naissance ?
Rémi Beauverger - Oui, je suis IMC, infirme moteur cérébral. En me voyant, on pourrait penser que je suis paraplégique, sauf que je ne suis pas touché à la moelle épinière. En fait, j’ai eu une insuffisance respiratoire qui a entraîné des problèmes moteurs et des problèmes d’ordre cognitif, dans le traitement de l’information cérébrale. Cela implique plus de temps pour relire les cours et bien les comprendre. J’ai un problème de vitesse de lecture qui nécessite un aménagement particulier : en gros caractères ou l’assistance d’une secrétaire.

H - Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire ?
R.B. - De manière générale, il n’est ni typique ni atypique, j’emploierai plutôt le terme de "trajet singulier". Quand on est une personne handicapée, on est cloisonné sans doute par les besoins de repérage ou les diagnostiques médicaux. C’est pour ça qu’en tant qu’individu et personne handicapée, je préfère parler d’un "trajet singulier".

H - Dans quel milieu avez-vous commencé votre scolarité ?
R.B. - J’ai effectué la maternelle et les classes du primaire en milieu ordinaire au Rove. Les débuts ont été difficiles car mon handicap demandait un aménagement particulier.

H - Avez-vous dà » faire face à certaines résistances ?
R.B. - Oui, de la part des instituteurs. Ils avaient par exemple la possibilité de faire classe au rez-de-chaussée plutôt qu’à l’étage mais ils ont refusé de s’adapter, "œil ne fallait pas changer, c’était comme ça" ! Quand j’ai intégré le primaire au Rove, là non plus ils n’étaient pas habitués à recevoir une personne handicapée.

H - Quels ont été vos rapports avec les instituteurs ?
R.B. - Au primaire, cela s’est tout de même bien passé. Ils étaient de bonne volonté. Que l’on soit prof à l’université, au primaire ou à la maternelle, c’est avant tout une affaire de bonne volonté.

H - Cette « bonne volonté » ne peut-elle avoir des effets négatifs, en voulant trop choyer voire favoriser l’élève en situation de handicap ?
R.B. - Non, il s’agit moins de conséquences "œnégatives" ou "œpositives" que d’agir en fonction de ce que l’enseignant semble être juste. Dans mon cas, cela s’est bien passé et j’ai été réprimandé quand il le fallait !

H - Avec les autres élèves, comment cela se passait-il ?
R.B. - Très bien, j’avais de bons rapports avec mes camarades, j’en ai gardé des amis sà »rs.

H - Pourquoi vos parents ont-ils décidé de vous intégrer en école "œnormale" ? Était-ce afin que vous puissiez avoir une vie plus autonome ?
R.B. - Absolument, par la "œdébrouille" ! Mes parents m’ont perçu comme une personne, handicapée moteur certes, mais avant tout comme un individu ayant des droits dont celui d’aller à l’école avec les autres.

H - Vous êtes-vous senti intégré ?
R.B. - L’intégration pour moi, ça ne rime pas à grand chose, ça ne fait pas écho. C’est vague et une fois de plus classificatoire ! Je suis une personne qui a une particularité : je suis handicapé moteur. Mais je veux avant tout essayer de mener ma vie.

H - Au collège, on doit changer de salle à chaque cours, comment cela s’est-il passé pour vous ?
R.B. - J’ai fait une partie du collège à la maison par correspondance, avec le CNED. J’avais beaucoup d’heures de kiné, de piscine, d’ergothérapie, d’orthophonie, etc. Je n’étais pas aussi bien physiquement qu’aujourd’hui, j’avais beaucoup plus de difficultés pour parler et m’exprimer. À cause de la rééducation, les cours à la maison s’imposaient. En 1996 et 1997, j’ai eu des complications de santé : une luxation de la hanche. C’est en allant à l’hôpital et en suivant les cours sur place, qu’une prof m’a parlé de l’Annexe Menpenti du Lycée Thiers, j’ai donc intégré cette structure en 3ème. Elle n’était pas connue, disons que l’information ne nous était pas parvenue.

H - Travailler seul, par correspondance, demande beaucoup d’autodiscipline. Comment avez-vous fait ?
R.B. - Ça n’a pas été évident, c’est vrai, mais c’était la seule possibilité. D’emblée, mes parents ont compris qu’écrire serait très compliqué pour moi, il était évident que j’aurai toujours des problèmes de lenteur et des difficultés dues à la taille des caractères de police. Ils m’ont expliqué que le travail fait sur le plan respiratoire me permettrait à terme de tout miser sur l’oral. Ils m’ont aidé, et de mon côté, il m’a fallu être très rigoureux. De plus, quand on a un problème comme le mien, on a nécessairement besoin de quelqu’un pour vous aider à rédiger, je suis trop lent à l’écriture et à l’époque il n’y avait pas de reconnaissance vocale. Je disposais donc d’une personne pour écrire sous ma dictée, qui m’accompagnait lors des examens. Elle était là pour le bac et pour les partiels à la fac.

H - Avez-vous pu bénéficier d’un enseignement à domicile ?
R.B. - Dès le CM1, parce que la loi l’autorisait et parce que j’étais à la maison. Au collège et au lycée, le CNED fonctionnait "œpar série" c’est-à -dire que s’il n’y avait pas dans la classe un autre élève en situation de handicap et du même niveau que le vôtre, on était placé en cours particulier.

H - Avec ce type d’enseignement obtient-on de meilleurs résultats ? Étiez-vous bon élève ?
R.B. - J’étais bon élève mais il y avait des règles à respecter. Par exemple, je n’avais pas droit aux documents pendant les examens.

H - Les camarades d’école ne vous ont-ils pas manqués ? Étiez-vous heureux ?
R.B. - Enfant, je le vivais assez bien, même si j’étais plutôt en décalage à cause de la vie que j’avais. Quand les autres avaient la possibilité de passer 8 heures en cours pour apprendre à lire, à écrire ou à compter, moi j’allais à l’hôpital, je revenais, je faisais la rééducation, etc. Le rythme était donc plus lent d’un point de vue scolaire mais pas d’un point de vue périphérique, il fallait jongler !

H - Avez-vous redoublé ?
R.B. - Non. Comme j’étais inscrit au CNED pour "œraisons de santé" , j’avais la possibilité d’étaler mes années sur deux ans. C’est ce que j’ai fait à partir de la 3ème. Quand on est handicapé, la logique du temps n’est pas la même. Ce n’est pas atypique par exemple de voir une jeune personne handicapée passer le bac à plus de 20 ans. Il y avait un impératif, mais c’est moi qui me le suis fixé. Il nous faut plus de temps que les autres pour faire certaines choses, mais on les fait !

H - Comment se sont déroulées vos années de lycée à l’Annexe Menpenti ?
R.B. - Le transport était assuré par le Conseil Général et le planning du lycée était organisé en demi-journée. Je faisais les aller-retours entre le lycée et la maison en fonction des horaires de cours - sans y être toute la journée - et les rendez-vous chez les médecins pour les soins.

H - Les personnes avec vous avaient-elles des handicaps différents du vôtre ?
R.B - Oui, c’était varié. Il y avait au moins une dizaine de personnes de niveaux différents.

H - A-t-il été facile d’intégrer cette structure ? Y avait-il un niveau requis ?
R.B. - J’ai fait les démarches nécessaires et j’y suis entré assez rapidement. Il fallait surtout avoir envie de travailler et bien souvent les professeurs demandaient au CNED une évaluation et éventuellement une remise à niveau pour certains élèves.

H - Vous avez été inscrit à l’annexe Menpenti du Lycée Thiers de la 3ème à la terminale, combien d’années vous a-t-il fallu pour terminer le lycée ?
R.B. - À chaque fois, ça s’est fait sur deux ans sauf pour la classe de 3ème que j’avais déjà commencé et l’année de terminale qu’il m’a fallu passer en un an. Donc, six ans en tout.

H - Au sein de cette structure, était-ce un secrétaire ou un auxiliaire de vie qui vous accompagnait ?
R.B. - Quand j’ai intégré la 3ème, nous avions des auxiliaires qui écrivaient pour nous. Certains élèves utilisaient un ordinateur, c’était plus facile pour eux que de tenir un crayon. Sinon, le plus souvent et dans le cadre des cours particuliers, les profs écrivaient sous ma dictée.

H - Quand avez-vous passé le Bac ? Dans quelles conditions ?
R.B. - En 2003, un Bac STT, Sciences Technologie et Tertiaire. Quand je l’ai passé, c’était dans une salle à part, avec 1/3 temps en plus et un secrétaire que je ne connaissais pas, attribué par l’Éducation Nationale. Évidemment, ce n’était pas la personne qui nous aidait aux devoirs pendant l’année. Un autre me surveillait. Sinon, quand vous recevez la feuille d’examen, c’est comme pour tout le monde : c’est tel jour, telle heure, telle salle avec Madame Untel ou Monsieur Untel, quelqu’un que l’on n’a jamais vu. Après, il faut s’adapter... Pour l’anecdote, j’ai eu mon Bac avec mention !

H - Bravo ! Peut-on savoir quelle mention ?
R.B. - « Assez Bien ». Je ne m’y attendais pas du tout ! La directrice de l’établissement a dit a mes parents : « il y a un peu plus de temps de délibération car on est en train de regarder s’il a la mention ou pas ». Pour mes parents et pour moi-même, ça a été la consécration suite à beaucoup de sacrifices et d’efforts. Ensuite, je suis rentré à la fac.

H - Cette mention vous a-t-elle fait revoir vos prétentions à la hausse ? Vous voilà en "œPsycho" !
R.B. - Non, dès le début, mention ou pas, j’avais prévu d’aller à la fac.

H - Oui, mais en "œPsycho" ?
R.B. - En « psycho », ça c’est autre chose.

H - Votre situation a-t-elle déterminée le choix quant à la filière ?
R.B. - Oui, c’est un principe de réalité, on sait que l’on ne peut pas devenir maçon ou plombier.

H - Êtes-vous resté dans la mixité à la fac ?
R.B - Oui, mais il a fallu que je me réadapte après 10 ans de parcours atypique. Les TD, les cours en amphi... C’était très difficile, éprouvant, mais pas impossible. Mon parcours est extraordinaire, qui plus est, je suis issu d’une classe moyenne, donc ça a été très compliqué et ça l’est toujours ! Même si les profs me connaissent, moi et mon handicap, il n’y a pas de "œdiscrimination positive" et c’est mieux comme ça !

H - La faculté d’Aix-en-Provence est-elle équipée ?
R.B. - Elle l’est, mais les pentes sont très difficiles d’accès. On ne peut les monter qu’avec un fauteuil électrique, moi j’ai un fauteuil manuel et à la fac je ne me déplace qu’en fauteuil !

H - Comment cela s’est-il passé avec les autres étudiants, vous êtes-vous fait des amis ?
R.B. - À un moment donné, on est obligé de rentrer en relation avec les autres et j’en avais envie. Le milieu étudiant est un milieu auquel je voulais accéder, à Aix comme à St Charles - je suis sur ces 2 sites.

H - Quelle est l’accessibilité à la faculté Saint-Charles ?
R.B. - À Saint-Charles, le restaurant U n’est pas accessible mais il y a tout de même un département pour les personnes handicapées, prévu sur les deux sites. Les premières années, certains étudiants venaient en cours avec nous et prenaient les notes. Pour la biologie par exemple, c’était des d’étudiants ayant suivi des cours de biologie.

H - Il y a des cours de biologie dans votre cursus ?
R.B. - Oui, jusqu’en licence c’est très général. On a des cours de biologie, de statistiques, etc. À partir du Master, on se spécialise. Moi, j’ai choisi "œpsychologie clinique" , orientation "œpsychanalyse" .

H - Le rythme est-il "œnormal" , le même que celui des autres étudiants ?
R.B. - Vous êtes obligé.

H - Parce que le lycée a été long, souhaitez-vous terminer vos études rapidement ?
R.B. - Le secondaire a été long mais la fac, c’est différent. J’y suis très à l’aise. Ça me plaît et dès le début, je n’ai pas eu le choix : soit j’échouais et je m’inscrivais à des cours par correspondance, ce que je ne souhaitais pas, soit je m’accrochais... Le fait d’avoir redoublé ma première année m’a aidé, j’ai compris que c’était psycho que je voulais faire.

H - Comment vous êtes-vous organisé ? De quelles aides avez-vous bénéficié ?
R.B. - J’arrivais à la fac avec une méthode de travail rigoureuse, acquise grâce aux cours par correspondance. De plus, lorsque vous êtes handicapé, que vous avez des problèmes de lecture ou d’écriture, la cellule "œHandicap" vous fournit une auxiliaire, et à partir de l’année de Licence et grâce aux équivalences, je n’ai pas eu à passer toutes les matières. C’était comme un "œcrédit" , on nous comptait la matière avec une note sur 10 qui ne jouait pas sur la moyenne.

Pouvez-vous nous parler du travail effectué avec l’auxiliaire ?
R.B. - La première année, mon auxiliaire avait fait des études de biologie et savait comment faire les schémas. En statistiques, c’était pareil. Par contre, le jour de l’examen, ils m’ont mis quelqu’un qui avait fait des études de chant lyrique... Évidemment, elle n’a pas su dessiner la cellule quand je le lui ai demandé ! Je suis allé voir le prof et il m’a répondu : « On aurait dà » vous mettre plus de questions et pas de schémas à faire » ! Les années suivantes, on a fait photocopier les cours, je demandais les notes de plusieurs élèves pour les comparer, le problème, c’est qu’on les récupérait 1 ou 2 semaines plus tard.

H - Vous ne disposiez plus de secrétaire ?
R.B. - La fac n’avait plus les moyens de m’allouer quelqu’un, j’ai donc pris une personne que je connaissais qui travaillait à l’APF et rémunérée par l’association.

H - Vous n’aviez donc plus d’aides ?
R.B. - On a repris cette personne en Contrat d’Avenir. Elle m’aidait à revoir mes cours, compte tenu de mes problèmes de mémorisation. Cette personne allait être diplômée en psycho aussi. Aux examens, c’était bien sà »r une autre personne. La fac étaient habituée à s’occuper des malvoyants et des non-voyants mais les personnes en fauteuil avec "œproblèmes associés" , ils ne savaient pas les gérer.

H - Les personnes en fauteuil atteignent-elles facilement le niveau de la fac ?
R.B. - C’est plus facile pour les personnes qui ne sont atteintes qu’à la moelle épinière, sans complication neurologique : elles peuvent prendre des notes rapidement, elles n’ont pas de problème de vue... Pour les examens, les handicapés ont droit à un tiers-temps en plus, et ceci est valable pour toutes les personnes en situation de handicap, évidemment, à moins vous avez de "œproblèmes associés" à plus c’est facile !

H - Dans le cadre de la fac, il y a le "œfameux" stage. Comment cela s’est-il passé pour vous ?
R.B. : En 1ère et 2ème année, vous n’avez pas de stage à effectuer ou alors ce sont des stages "œlibres" , pendant l’été. En Licence, c’est obligatoire. Ça a été très compliqué à trouver. Un prof m’avait conseillé de parler de mon handicap au dernier moment parce que ça ne s’entendait plus, je n’avais plus de problèmes d’élocution.

H - Le milieu médical, dans lequel vous cherchiez un stage, est-il plus ouvert à l’emploi des personnes en situation de handicap ?
R.B. - L’accessibilité a été le problème principal, il y a eu quelques réticences aussi.

H - Au bout de combien d’essais infructueux avez-vous trouvé ce stage ?
R.B. - J’ai envoyé à peu près 150 lettres de motivation et passé autant de coups de téléphone, sachant que les autres étudiants en étaient au même nombre d’essais. Nous, on en envoie 50 en plus, comme ça, on amenuise la différence, mais quand c’est vous qui faites les démarches, la différence, on la voit !

H - Finalement, avez-vous trouvé une entreprise où l’effectuer ?
R.B. - En Licence, ce n’était pas le domaine que j’aurais souhaité. J’ai fait mon stage auprès d’enfants autistes. J’avais créé un atelier imaginatif, monté des petites scènes en essayant de montrer aux autistes comment on peut entrer en relation avec le monde extérieur. C’est resté dans un cadre théorique. C’était compliqué de le mettre en pratique car eux souffraient vraiment du regard des autres, d’autant plus qu’il s’agissait d’une tranche particulière, des ados et des préadolescents. C’était pas évident pour eux, surtout à cet âge, avec une problématique d’adolescents. On dit qu’ils appartiennent « à un autre monde ». C’est vrai et ce n’est pas vrai. Moi, je dis qu’ils sont « dans un autre registre ». Il y a aussi les changements biologiques dont il faut tenir compte. Comme tout un chacun, ils se posent des questions : qu’est-ce-qu’une femme ? Qu’est-ce-qu’un homme ? Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Pourquoi, comment ? On passait au registre de la sexualité... Ils sentaient que les autres les regardaient de façon étrange, d’où la difficulté de mettre en pratique cet atelier à l’extérieur.

H - Était-ce enrichissant ?
R.B. - Ça l’était, et là , on comprend l’importance d’un suivi thérapeutique. Quand vous recevez un patient, il y a toujours une partie de votre passé personnel qui vient s’y frotter.

H - C’est l’empathie ?
R.B. - Il faut savoir ce que cela va réveiller chez vous. On peut se poser la question : Est-ce-que je n’aurais pas besoin d’un travail particulier, personnel, parce que j’ai été en fauteuil et que ma vie a été compliquée ? En fait, on s’aperçoit que c’est valable pour chacun de nous. Par exemple, quand j’étais en séminaire où l’on parlait de nos expériences de stage, j’avais des copains en Licence et en Master qui n’avaient pas été confronté au milieu médical. Ils étaient un peu perdus. Ils disaient « le médecin ne connaît pas la personne », « tel patient a telle pathologie, il ne prend pas en compte la singularité de chacun », moi j’y avais été confronté et eux avaient besoin d’en parler.

H - Quel comportement pensez-vous avoir en tant que futur praticien ?
R.B. - Même si je connais le handicap d’un point de vue objectif, par exemple les séances de kiné, la durée, où l’on doit aller, si je reçois quelqu’un qui a la même pathologie que moi, je ne sais pas ce qu’il va me dire. Même s’il me dit « Vous n’y connaissez rien », je lui répondrai « Oui, je n’y connais rien mais je veux bien écouter ce que vous avez à me dire ». Même si d’un point de vue nosographique, il s’agit de la même maladie. La façon dont il l’a vécu, je ne la connais pas.

H - Votre second stage a-t-il été aussi dur à trouver que le précédent ?
R.B. - Je l’ai trouvé plus facilement. Je connaissais quelqu’un qui avait fait son stage à cet endroit et il a parlé de moi. J’ai pu appeler de sa part.

H - La suite logique de la scolarité est l’intégration dans le milieu professionnel : Pensez-vous intégrer une structure ou monter un cabinet ?
R.B. - J’imagine que se sera plus facile pour moi de travailler en structure et s’il y a des entraves, il ne faut pas le nier, c’est à nous de nous faire valoir. J’ai une amie handicapée qui est psychologue, elle n’a pas trouvé de travail et a dà » créé sa propre structure. En tant que psy, on a des quart-temps de formation, réservés à des conférences ou des colloques. C’est tout de même plus facile à gérer en institution qu’en cabinet. Si vous êtes dans une institution, vous pouvez faire dire à la secrétaire « je ne suis pas là tel jour ». En libéral, c’est autre chose. Le but est que se soit ouvert à un maximum de personnes, que se soit apprécié, au sens de "œlaisser venir les choses" , comment va-t-on accueillir l’autre ? Et lui, comment va t-il nous accueillir ?

H - Combien d’années d’études vous reste-t-il ?
R.B. - Il me reste une année car je n’ai pas été pris l’an dernier en 4ème année. J’ai passé mes examens, je les ai eu mais je n’ai pas été retenu à l’oral. À partir de la 3ème année ça change, il y a une sélection faite entre ces deux années, ça fait partie de la réforme.

H - Qu’avez-vous fait pendant cette année-là  ?
R.B. - J’ai eu la possibilité de refaire un stage pour améliorer ma candidature, avec des ados. C’était un désir profond de travailler avec cette tranche d’âge, ce qui m’a permis de recandidater à Saint-Charles. Je dois recevoir la réponse ce mois-ci. J’ai dà » rendre un rapport de stage, et là , j’ai embauché une personne pour m’aider à la rédaction, rémunérée avec des tickets emploi-service.

H - Comment s’est passée cette collaboration ?
R.B. - Bien sà »r, il écrivait plus vite que moi mais quand on arrive "œen clinique" , c’est un cheminement et un questionnement perpétuels. Bien souvent, il écrivait mais c’était son point de vue par rapport à ce que je lui disais. On communiquait par mail pour changer tel ou tel verbe. Vous savez, la psychanalyse, c’est beaucoup de jeux de mots.

H - Avez-vous un matériel informatique spécifique ?
R.B. - Oui, mais pour moi, taper à l’ordinateur est très fatigant. J’ai donc un logiciel à reconnaissance vocale. Quand vous avez un mémoire à taper qui fait une centaine de pages, c’est bien pratique !

H - Quel constat par rapport aux aides que vous avez reçues, en terme d’efficacité, de progression ?
R.B. - J’ai aujourd’hui acquis une plus grande autonomie. Je n’ai plus que des problèmes liés à l’’écriture. Cela se situe au niveau du partage de l’expérience, les personnes qui m’aident sont diplômées. À la fac, on a des supervisions de stage. J’ai plein de copains qui ont arrêté en cours d’année. Il y a beaucoup de personnes qui décrochent parce qu’avoir un suivi personnel, c’est pas évident.

H - Êtes-vous fier de votre parcours ? Feriez-vous autrement d’autres choix ?
R.B. - Faire des choses autrement ? Oui, comme tout un chacun, par rapport aux choix qui se posent : aller dans cette direction ou pas. En terme de rencontres avec les professionnels et avec le milieu dans lequel vous êtes. Si ma mère ou mon père avait été psy, j’aurais eu quelques rudiments. Si je n’avais pas été handicapé, ça aurait été plus facile, je n’aurais pas eu de problèmes de transport par exemple. En tant que valide, le contexte familial aurait peut-être été moins favorable, mes parents auraient pu divorcés, etc. Le parcours est vraiment singulier et pluriel, par rapport aux gens qui nous ont aidés, par rapport aux gens de mon village, qui ne connaissaient pas l’état de handicap et qui ont bien voulu le connaître. C’est une conjonction de facteurs humains qui fait qu’aujourd’hui, j’en suis là . Je ne suis pas le mieux placé pour dire si je suis fier de moi. Oui, je le suis mais il faut rester humble. Je pense que les personnes qui peuvent voir le trajet que j’ai fait, ce sont des personnes extérieures qui m’ont suivi, avec qui j’ai gardé le contact, qui savent ce que je suis devenu. C’est beaucoup plus important pour moi que de savoir si j’ai réussi. Des personnes qui ont eu de meilleures résultats que moi. Ça dépend du trajet de vie : il y a des gens qui reprennent leurs études à 40 à 50 ans et qui se disent : « il a une meilleure note que moi et pourtant il a 20 ans ». On ne peut pas dire que l’un est meilleur que l’autre, ça dépend de la singularité. Si vous vous intéressez aux statistiques, on peut dire « lui, il a mieux réussi », mais même dans les statistiques, ils tiennent compte de la singularité.

H - Qu’auriez-vous à ajouter pour conclure ?
R.B. - La rentrée scolaire c’est difficile et tout le monde est concerné parce que c’est obligatoire. Le problème du handicap lié à la rentrée scolaire ne se résume pas au seul problème de l’accessibilité, même si c’est un problème majeur. Pour une personne handicapée ayant des problèmes de mobilité physique, c’est un parcours de longue haleine qui se déclenche de la naissance jusqu’à la fin de vie, il n’y a jamais un moment de répit ! Aménager les anciens bâtiments, c’est possible, mais ce n’est pas suffisamment ancré dans notre culture. Il y a bien d’autres difficultés à prendre en considération, les transports par exemple. Le Conseil Général met les moyens en œuvre et à la disposition du public mais lorsque vous êtes à l’Université, vous n’avez qu’un aller-retour alloué. Bien souvent dans le cadre universitaire, vous êtes amené à faire des stages et se sont les transports universitaires qui sont habilités à vous mener en stage. Si le matin je suis en cours à l’Université, l’après-midi je ne peux pas aller en stage ou en cours sur un autre site ! Il faut donc s’organiser avec d’autres personnes. Malgré les efforts que font l’école et l’université par rapport aux personnes handicapées, l’adaptation manque de singularité. On reste dans une logique globale. C’est bien, mais ça ne convient pas à tout le monde.
En ce qui concerne la mixité, c’est difficile mais très enrichissant en termes de rencontres. Il faut continuer à travailler dans la singularité et dans l’interdisciplinarité : faire en sorte que les personnes handicapées soient scolarisées, qu’elles puissent apprendre à compter, lire, que ces personnes soient amenées vers l’extérieur. Au départ, que l’on soit professionnel ou parent, on a une représentation du handicap alors que la première personne concernée, c’est la personne handicapée avec un handicap particulier. C’est grâce à un maillage de plusieurs professionnels, de plusieurs institutions qu’on arrivera à quelque chose, c’est ce qui fera la différence entre hier, aujourd’hui et demain. C’est en train de se faire, progressivement : beaucoup plus de professionnels se battent contre cette logique d’objectivité qui fait dire « Parce qu’on est comme ça, on ne peut pas accéder à telle ou telle fonction ». C’est vrai que c’est compliqué et que ça demande un certain investissement, mais nous aussi on peut apporter notre contribution à la société et si on arrive à travailler, on paiera nos impôts ! C’est également valable pour les personnes en situation de handicap psychique, qui ne sont plus ce qu’elles ont été, qui doivent se réadapter. On doit les réhabiliter pour qu’elles puissent sortir - sous contrôle - bien évidemment. Il faut maintenir un lien avec l’extérieur, avec les familles. Il est aussi impératif que les professionnels écoutent les familles. On dit que les parents sont ou ont été contre les professionnels parce qu’on leur a dit que les professionnels « savaient » et qu’eux « ne savaient pas ». C’est encore vrai aujourd’hui, mais c’est en train de changer. Les professionnels se rendent compte que certains ont fait des erreurs et que c’est la singularité de chacun qui prévaut. Aujourd’hui, on arrive enfin à créer ou recréer de la subjectivité avec chaque personne et c’est ce changement de discours qui fera que les autres s’habitueront à côtoyer des personnes en situation de handicap.

Propos recueillis par Karine Miceli et Emmanuel Ducassou.


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