Une clef, la confiance en soi
Le travail d’une psychomotricienne dans le traitement des dyspraxies
L. S.-J. exerce la psychomotricité depuis une bonne dizaine d’années. Elle traite essentiellement des dyspraxies et constate que le système scolaire détecte mieux les problèmes de motricité de l’enfant. Toutefois, elle regrette que certains parents découvrent tardivement la dyspraxie de leur enfant. Dans notre société où l’excellence scolaire et la productivité sont de mise, elle apprend aux enfants à vivre avec leur handicap et leurs redonne confiance en eux.
H. - Pouvez-vous commencer par vous présenter ?
L SJ. - Je m’appelle L. S.-J., je suis psychomotricienne depuis une bonne dizaine d’années. J’ai d’abord suivi une formation, surtout pour les personnes âgées. Ensuite, je me suis orientée vers les troubles de l’apprentissage des enfants, notamment les dyspraxies.
H. - Qu’est-ce qui vous a amenée à exercer cette profession ?
L SJ. - Je n’avais pas le niveau pour faire médecin, mais j’avais quand même envie de donner leur chance à ces enfants afin qu’ils soient insérés dans le système scolaire le plus classique possible.
H. - Vous avez suivi une formation ?
L SJ. - J’ai fait mes trois ans de psychomotricité à la Salpêtrière, à Paris.
H. - Vous travaillez en libéral ou au sein d’une structure ?
L SJ. - Je travaille une partie de la semaine en libéral, où je m’occupe uniquement des enfants, et je travaille une journée par semaine dans une clinique en tant que salariée, en unité de soins palliatifs.
H. - Lorsque nous vous avons contactée pour réaliser cette interview, vous nous avez dit que vous traitiez surtout des dyspraxies, pouvez-vous nous définir ce que c’est ?
L SJ. - De façon synthétique, les enfants atteints de dyspraxie ont des difficultés à manipuler certains objets et à réaliser certains gestes. Ils ne parviennent pas à gérer le temps, ni l’espace qui les entoure. Souvent, ce sont des enfants maladroits qui n’ont pas confiance en eux. J’aime bien traiter ce type de handicap.
H. - Dans les dyspraxies, existe-t-il des différences entre les patients ?
L SJ. - Même si les enfants dyspraxiques développent des traits en commun, d’autres sont toujours propres à chaque enfant.
H. - Ce sont des troubles qui peuvent paraître invisibles ?
L SJ. - Désormais, les maitresses détectent mieux les dyspraxies, et on fait les diagnostics sur des enfants relativement jeunes. Dans les activités de la vie quotidienne, ce sont des enfants maladroits, qui renversent le verre d’eau au repas, qui ont du mal à s’habiller. Par ailleurs, ils sont souvent très intelligents.
H. - À quels autres troubles peut-on associer la dyspraxie ?
L SJ. - On peut l’associer à tous les troubles qui ont des préfixes en dys : la dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie, entre autres. Généralement, la dyspraxie survient sur des enfants prématurés.
H. - Est-ce que l’hyperactivité est une des pathologies associées à la dyspraxie ?
L SJ. - Oui, parfois ils sont hyperactifs. Je pense que, comme ils sont souvent en situation d’échec scolaire, le mouvement et l’agitation les aident à surpasser cet état.
H. - Est-ce que vous travaillez avec d’autres spécialistes ?
L SJ. - Je travaille dans une équipe pluridisciplinaire qui comporte une neuropsychologue, une psychiatre, une psychologue, deux pédiatres, des orthophonistes et un ostéopathe.
H. - Qu’est-ce qu’apporte un psychomotricien par rapport à une orthophoniste ou... ?
L SJ. - Je débute ma séance par des exercices de motricité globale. Je leur apprends à s’orienter et à mieux connaître les mouvements de leur corps. Ils réalisent des jeux de construction, de ballon et de mimes que je conseille aux parents de reproduire à la maison. Je leur apprends également à se concentrer sur une activité afin qu’ils améliorent leurs résultats scolaires. La plupart du temps, je termine par des exercices de coordination face à face sur une table. C’est sur l’espace feuille que je leur apprends à gérer le temps et l’espace. Bien souvent, ces enfants ont des difficultés en géométrie et en mathématiques. En somme, je commence par un gros travail sur tout le corps et je termine par des activités plus fines, plus posées et plus réfléchies.
H. - Au moment où les parents découvrent le handicap de leur enfant, est-il toujours temps d’entreprendre un travail thérapeutique ?
L SJ. - Oui, en général, il est toujours temps d’effectuer un travail thérapeutique. Je recommande aux enseignants, par exemple, d’éviter les feuilles et les classeurs pour les enfants. Par ailleurs, lors des contrôles, je les incite à leur laisser plus de temps ou à ôter des exercices. Ces préconisations sont nécessaires pour que l’enfant s’adapte aux exigences scolaires.
H. - Au-delà de dix ans, est-ce rare ?
L SJ. - Je n’en n’ai pas eu, je ne peux pas me prononcer. J’ai beaucoup de trois à onze ans. Tout d’abord, j’apprends aux enfants à mettre en évidence leurs points forts et à gommer leurs troubles de dyspraxie. À dix ans révolus, je leur prodigue essentiellement des conseils pour la rentrée en 6ème. Les mamans ne reviennent me voir que si elles s’aperçoivent que certains points négatifs persistent.
H. - Quels conseils vous donneriez aux parents pour déceler le handicap de leur enfant ?
LSJ.- Je les incite à contacter un pédiatre, dès qu’ils s’aperçoivent que l’enfant est un peu maladroit, pataud et manque d’organisation. C’est ce dernier qui va ensuite les aiguiller vers une psychomotricienne. Mais l’idéal serait d’avoir dans les crèches et les maternelles des séances de psychomotricité comme éveil corporel, afin de stimuler les enfants et déceler d’éventuels problèmes de motricité.
H. - Quelquefois, ne confond-on pas les problèmes psychiatriques avec les troubles psychomoteurs ?
L SJ. - Je fais d’abord un entretien préalable avec les parents, en général c’est la maman. Ensuite, j’essaie de voir comment l’enfant se trouve dans sa tête. Cependant, je ne suis pas psychologue. Je livre seulement mes impressions sur l’enfant.
H. - Comment réagissent les parents, en général ?
L SJ. - Certains parents considèrent que tout dépend de nous et qu’ils n’ont plus rien à faire. D’autres parents, au contraire, s’investissent énormément, et ont envie de participer chez eux à l’amélioration du bien-être de leurs enfants.
H. - Existe-t-il une méthode qui vous paraît vraiment plus efficace que les autres ?
L SJ. - Je sais que certaines psychomotriciennes ne jurent que par certaines méthodes, et qu’elles ont des séances-types. Pour ma part, je ne pratique pas comme cela. Je considère que chaque enfant est unique, et j’essaie de m’adapter à lui.
H. - Comment définiriez-vous votre approche thérapeutique ? Comment amenez-vous votre patient à faire face à son handicap ?
L SJ. - Je travaille beaucoup sur sa confiance en lui, et après avec l’adulte qu’il a en face. La prise de confiance en soi est un point important. Ils doivent prendre conscience qu’ils réalisent certaines choses moins bien que d’autres, et se concentrer davantage sur ce qu’ils savent bien faire. Je veux des enfants heureux qui s’acceptent comme ils sont.
H. - Comment interpréteriez-vous votre relation avec le patient ?
L SJ. - Ah ! C’est dur de ne pas avoir une relation affective. Même s’il ne faut peut-être pas le dire, on fonctionne quand même "œà l’affectif" .
H. - Ces enfants ont-ils plus particulièrement besoin d’affection ?
L SJ. - Ce sont des enfants qui ont besoin d’une relation duelle, un peu privilégiée en général. Donc, c’est important de créer un lien de bien-être.
H. - Combien d’heures les enfants doivent-ils consacrer à leur traitement ?
L SJ. - C’est très variable. Par exemple, la première année, on effectue une séance par semaine. Par la suite, si cela s’avère nécessaire, on fait éventuellement des coupures. Enfin, si certains troubles persistent et restent toujours plus ou moins présents, on refait 5 à 10 séances.
H. - L’enfant vit-il parfois les séances comme une contrainte ?
L SJ. - Non, lorsque je constate que les enfants sont saturés, à ce moment-là , je fais une coupure. C’est important ! Comme ils vont également à l’école et sont suivis par un orthophoniste, voire un psychologue, parfois ils se lassent.
H. - Vous êtes confrontée davantage aux réticences de l’enfant ou des parents ?
L SJ. - Des parents, plutôt que de l’enfant.
H. - Des réticences de quelle nature ?
L SJ. - Certains parents ne croient pas à l’amélioration de l’état de leur enfant. Parfois, j’ai beaucoup de communication à faire.
H. - Et quand vous devez faire de la psychologie, comment se passe les choses ?
L SJ. - Je donne rendez-vous aux parents par téléphone. Ensuite, je leur donne les coordonnées d’un autre spécialiste ou d’une autre psychomotricienne. Je ne m’aventure pas à faire de la psychologie.
H. - Mises à part les dyspraxies, quels autres types de handicaps traitez-vous ?
L SJ. - Je traite des handicaps de l’apprentissage scolaire, notamment ceux de l’écriture. Je m’occupe également des troubles du schéma corporel et de l’organisation spatiale.
H. - Des troubles de l’écriture ?
L SJ. - On peut les lier à la dyspraxie. Souvent, ce sont des enfants qui ne voient pas les interlignes, qui écrivent lentement et un peu n’importe comment, avec des tailles d’écriture différentes.
H. - Est-ce déjà arrivé que des parents aient pensé que leur enfant ne faisait pas d’efforts à l’école ?
LSJ. - Oh oui ! La plupart du temps c’est cela. Les parents vous disent que leur enfant n’est pas volontaire et qu’il est fainéant. Une fois que les diagnostics sont posés par plusieurs professionnels, ils se rendent compte qu’il faut au contraire l’aider.
H. - Comment réagissent-ils quand ils découvrent qu’ils se sont trompés ?
L SJ. - Dans le bureau, certaines mamans pleurent de tristesse, alors que d’autres sont moins expressives. Comme je sais que ce n’est pas facile pour elles, j’essaie de les convaincre que ce n’est pas de leur faute, dans la mesure où elles ignoraient le handicap de leur enfant.
H. - Les séances que vous pratiquez sont-elles toujours remboursées par la Sécurité Sociale ?
L SJ. - Non.
H. - En libéral, les séances sont-elles remboursées ?
L SJ. - Non, ce n’est jamais remboursé. Dans les cas des familles très nécessiteuses, je pratique des prestations extra-légales. Pour simplifier, j’incite les parents à monter un dossier, composé de mon bilan, des ordonnances et des factures des différents spécialistes qu’ils consultent pour ce handicap. Par la suite, la famille envoie tout cela accompagné d’une lettre de motivation au médecin de leur Sécurité Sociale. La plupart du temps, cela marche, et les soins sont remboursés.
H. - En général, ce n’est pas remboursé, comment vous expliquez cela ?
L SJ. - Le gouvernement ne prend pas assez en considération le coà »t des dépenses de santé. La Sécurité Sociale est victime de grosses restrictions budgétaires.
H. - Les parents se plaignent-ils ?
L SJ. - Oui ! Les parents se plaignent que cela ne soit pas remboursé.
H. - Avez-vous rencontré des déceptions, avec un patient en particulier ?
L SJ. - Oui, j’ai eu une grosse déception avec une maladie génétique. C’était une petite fille qui avait le Syndrome de Rett. Je n’ai pas réussi à la faire évoluer sur les points sur lesquels j’avais de l’espoir.
H. - Pourriez-vous définir ce syndrome ?
L SJ. - Ce sont des enfants qui ont des mouvements incoordonnés, répétitifs et des stéréotypies. Ils présentent également des troubles de la communication et des difficultés à marcher dans la petite enfance.
H. - Quels sont vos thérapies les plus gratifiantes ?
L SJ. - En général, les thérapies les plus gratifiantes sont celles que j’effectue sur des enfants dyspraxiques. Par contre, je n’aime pas faire des séances de psychologie. Je m’intéresse davantage à la motricité du corps et à la neurologie.
H. - Quelle est votre plus belle réussite ?
L SJ. - Ma plus belle réussite ? C’était un petit garçon de onze ans, qui ne savait pas s’habiller, écrire, et lire l’heure. Au bout d’un an, il a fait d’énormes progrès et il a pu rester dans le système scolaire ordinaire.
H. - Les parents y croyaient-ils ?
L SJ. - Non, au départ la maman était très angoissée. Elle ne pensait pas que l’avenir de son fils était perdu, mais bien compromis.
H. - Avez-vous quelque-chose à ajouter ?
L SJ. - Dans le système scolaire, je pense que beaucoup de choses sont à revoir. Il faut prendre davantage soin de nos enfants et ne pas toujours leur demander l’excellence. En France, le système scolaire est trop exigeant. Il ne favorise pas assez l’épanouissement des enfants, qui peuvent avoir des talents dans des disciplines comme la peinture, le sport ou la musique. De plus, les parents les stressent parce que les études ont une place prépondérante dans la société, même quand ils sont atteints de handicap.
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