Et s’ils réussissaient mieux que les autres ?
Le parcours universitaire des étudiants handicapés et l’apport du BIESH.
À Aix, au sein de la faculté de lettres, Michèle Caverni et son équipe œuvrent pour permettre aux étudiants en situation de handicap de suivre les cours dans des conditions satisfaisantes. Leur insertion professionnelle future en dépend et passe par une bonne connaissance de leurs droits et des infrastructures mises à leur disposition. Si détermination et volonté restent le moteur principal de la réussite de leurs études, de nombreux aménagements peuvent leur faciliter la vie estudiantine et les aider à construire plus sereinement leur avenir professionnel.
HandiMarseille : Bonjour, est-ce que vous pouvez vous présenter à nos lecteurs ?
Michèle Caverni - Je suis Michèle Caverni, je suis responsable du BIESH. Le BIESH, c’est le Bureau de l’Insertion des Étudiants en Situation de Handicap de l’université de Provence. C’est un service qui est chargé d’accueillir les étudiants en situation de handicap, qui viennent se présenter à l’université ou qui y sont déjà inscrits, et de leur expliquer le dispositif d’aide et d’accompagnement pour les aider à s’intégrer plus facilement.
Il a été créé en 2007, pour la mise en place de la loi de 2005 et de la charte université handicap qui en a découlé. Mais cet accueil existait à l’université depuis 1993, il faisait partie du service d’information et d’orientation (SUIO), qui existe toujours. C’était moi d’ailleurs qui l’avais mis en place. À l’intérieur de ce service, il y avait une partie accueil des étudiants handicapés. Donc en fait, l’accueil à l’université date de 1993, mais sous des formes différentes et depuis 2007, c’est un service dédié pour répondre à la mise en place de la charte. Donc service dédié, personnel spécifique, budget spécifique et puis développement de ce qu’on avait déjà fait. Accueil, proposition d’aménagement. Voilà .
H. - Est-ce qu’il faut une formation spéciale pour s’occuper de cette thématique ?
M.C. - Non, on n’a pas fait de formation spéciale. C’est vrai que j’ai monté le service il y a longtemps, donc j’avais déjà l’habitude... Par contre on a un réseau national des services d’accueil, dans les universités, où on échange régulièrement, soit par mail, soit de visu. On a des journées nationales et régionales, et puis on a des contacts avec les associations compétentes, et on peut s’inscrire à des formations spécifiques. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas eu de recrutement spécifique handicap. Il faut connaître le handicap, mais l’objectif dans le service c’est l’insertion, donc c’est surtout de ne pas isoler les étudiants en situation de handicap : voilà ce qu’est vraiment notre objectif.
H. - Qu’est-ce qui vous a poussée à créer le bureau ?
M.C. - Quand je travaillais au SUIO en 1993, il y avait quelques étudiants aveugles qui étaient déjà inscrits à l’université et qui n’avaient pas d’aide, qui avaient fait la demande au vice-président des études de l’époque, qui avait été notre précédent directeur du service et qui s’était tourné vers moi pour me demander si on pouvait faire quelque chose. On a travaillé avec l’infirmière, l’assistante sociale, la conseillère d’orientation, et une association qui s’occupait des étudiants aveugles, qui nous avait mis en contact avec l’institut Arc-en-Ciel de Notre-Dame de la Garde. On avait travaillé avec l’association Intégration Aujourd’hui pour l’intégration scolaire, et c’est comme ça qu’on avait monté le projet qu’on avait présenté à l’université. Partant de là , il y a eu un embryon de services.
H. - Il y a beaucoup d’étudiants handicapés dans votre université ?
M.C. - L’année passée ils étaient 109. Mais ces 109, ce sont ceux qui se sont signalés, qui sont venus nous rencontrer, qui sont allés au service de médecine préventive pour obtenir un certificat, et qui sont passés en commission handicap pour entériner le plan d’aménagement des études, des examens. Il y a certainement des étudiants en situation de handicap qui ne souhaitent pas se signaler, bénéficier d’aménagements, surtout les étudiants dyslexiques.
H. - Quelle proportion cela représente ? 109, c’est infime...
M.C. - Oui, c’est infime, mais je pense qu’il y a des soucis par rapport aux étudiants, enfin aux lycéens qui ont un handicap moteur lourd, qui sont en fauteuil ou polyhandicapés ; des soucis d’accompagnement. Dans les textes maintenant, il y a une double responsabilité : un accompagnement partagé, aide à la vie quotidienne et aide aux études.
Aide aux études c’est nous, pour la prise de notes, le tutorat, le contact avec les enseignants ; tout ce qui est pédagogique, qui concerne l’université. L’accompagnement à la vie quotidienne n’est pas de notre ressort ; on n’a pas le personnel compétent, qui relève de la prestation de compensation, donc du dossier MDPH.
C’est difficile je pense, pour ces enfants qui au lycée avaient une AVS, de se retrouver à l’université avec un double accompagnement. Il faudrait réfléchir à une solution qui ferait que, même si on reste deux partenaires, deux responsabilités différentes, il y ait peut-être une même personne, de double compétence. La difficulté... pour la prise de notes il faut connaître la discipline (je pense au latin, aux sciences...). Mais en même temps, un étudiant n’a pas forcément la compétence pour accompagner un étudiant qui va avoir des difficultés pour manger... Il n’aura pas forcément le temps non plus, puisqu’il est lui-même étudiant. Il y a quelque chose à trouver là .
H. - Vous êtes en lien aussi avec le restaurant universitaire, la bibliothèque...?
M.C. - Alors, la bibliothèque est un service de l’université, donc effectivement c’est un service avec lequel on est en contact, comme les autres départements et services qui concernent les étudiants. Le restaurant universitaire, c’est le CROUS [1], s’il y a un souci on les contacte. On est en contact avec les assistantes sociales, qui sont spécialisées dans le handicap ; et les infirmières qui sont rattachées à l’université, qui sont sur les sites.
Là , c’est un travail de partenariat. Au-delà de ça, c’est difficile d’aller plus loin. On est un service relais, d’une certaine façon. Notre objectif n’est vraiment pas d’être les seuls à les aider, mais au contraire de créer le lien, faciliter leur insertion.
H. - Comment participent les professeurs ?
M.C. - Depuis 3 ans maintenant, là où il y a des étudiants en situation de handicap, on a des enseignants référents handicap. Un enseignant d’italien, d’espagnol ou de psychologie va faire le relais entre l’étudiant, nous et les autres enseignants de la discipline. Quand l’étudiant arrive et se présente, on remplit une fiche et après je le reçois avec le ou les enseignants, s’il y a plusieurs disciplines ; avec les enseignants référents, avec l’infirmière s’il y a besoin, avec la division logistique s’il y a des problèmes d’accessibilité... C’est ce qu’on appelle l’équipe plurielle.
H. - L’enseignant référent est un peu un tuteur ?
M C. - Non, ce n’est pas un tuteur. Les tuteurs, il en existe aussi dans le plan réussite en licence : ce sont des étudiants avancés, qui sont là pour aider les étudiants (surtout en première année). On a une filière où il y aura cette année trois emplois de tuteurs spécifiques pour les étudiants en situation de handicap, pour la lecture de documents, pour les conseils méthodologiques.
Donc en fait le tuteur fait la même chose que pour les autres, simplement c’est un renforcement du tutorat parce qu’il y a une forte demande dans cette section.
H. - Quelles mesures proposez-vous pour aider les étudiants en situation de handicap ?
M C. - Elles portent à la fois sur les études et sur les examens (et notre rôle de relais bien sà »r).
Sur les études, on voit l’étudiant avec l’équipe plurielle : le médecin, la médecine préventive aussi, qui établit le certificat d’aménagement des études et des examens. On voit s’il lui faut des prises de notes ou des photocopies, des transcriptions brailles, une interprète en LSF... On voit ça avec lui.
De la même façon pour les examens, on voit s’il a besoin de temps supplémentaire, d’un secrétaire, d’une salle à part, d’agrandissements... C’est ce qu’on appelle le plan d’aménagement des études et des examens. On va voir aussi s’il y a du télé-enseignement ; on aménage différemment les ressources pédagogiques.
On vérifie l’accessibilité.
Par exemple à Château-Gombert, on a fait réparer un ascenseur, ils ont mis tout un circuit en place pour qu’un de nos étudiants puisse y accéder, ils ont même déplacé un cours dans lequel l’étudiant ne pouvait pas se rendre... Ça fait partie des aménagements physiques.
H. - Quel retour avez-vous des étudiants ? Sont-ils généralement satisfaits de ces aménagements ?
M C. - Je pense qu’ils sont satisfaits. Dans l’ensemble ils réussissent pratiquement comme les autres. Il y en a une, par exemple, qui a réussi du premier coup le CAPES d’histoire, ce n’est quand même pas facile ! J’ai envie de dire qu’ils réussissent aussi bien que les autres, quelquefois même mieux, parce qu’ils sont peut-être plus motivés.
On n’a pas de chiffres. Cette année ou l’année prochaine, on va essayer de travailler un peu sur les statistiques de réussite. La difficulté, c’est qu’il n’y a pas de chiffre global d’insertion ni de réussite au niveau national et se heurte au problème de la discrimination : dans la base informatique, pour faire un traitement statistique, il faut certaines indications...
On va essayer de faire, en interne, une enquête de satisfaction. Juste pour nous, pour voir un peu où on en est.
H. - Y a-t-il des mesures que vous voudriez instaurer ou améliorer ?
M C. - Je vais beaucoup vers l’insertion, je pense que c’est l’objectif. Je crois que ce qu’il faut qu’on développe, c’est la communication.
Là , avec les enseignants référents, je pense que ça a bien pris. On a peut-être un travail à faire en direction des collègues administratives dans les bureaux, qui ont parfois un peu plus de craintes... Nous, les étudiants qui viennent ici savent qu’on est un service pour eux, donc la communication est facile, même pour parler de son handicap. Mais dans un service administratif, d’inscriptions ou pédagogique, ça peut être un peu plus délicat, surtout quand le handicap ne se voit pas.
L’année passée, on a fait quelque chose qu’on va essayer de renouveler : on a fait les journées "bien-être ensemble à l’université de Provence". C’était deux journées, avec étudiants et personnel, avec des manifestations ; on avait choisi santé, développement durable et handicap. Je ne voulais pas que le handicap soit identifié problème de santé, pour moi c’est autre chose.
Ça s’est passé à la fois sur Marseille Saint-Charles et ici, il y a eu des manifestations sur la santé, sur le SIDA... Et puis des manifestations sportives sur Saint-Charles, du tir à l’arc, un match de volley... On a eu des stands avec les différentes associations qui travaillaient avec nous pour expliquer le handicap.
Sur Aix on avait fait une table ronde, on a eu pas mal de monde, personnes en situation de handicap et étudiants. Cette année on va certainement garder la même formule, on va essayer de labelliser la manifestation. Peut-être qu’ici à Aix, on pourra faire une manifestation sportive.
Autrement, un souci aussi c’est l’insertion professionnelle : déjà pour les étudiants dits "œvalides" , l’insertion professionnelle c’est un peu loin pour eux, mais pour les étudiants en situation de handicap... c’est encore plus difficile. J’avais proposé une session mais on n’a eu aucune demande. C’est un peu dommage.
H. - Vous êtes en contact avec des associations. Êtes-vous en contact avec des professionnels aussi ?
M C. - Les professionnels sont plutôt dans les associations. On travaille surtout avec Arc-En-Ciel pour le handicap visuel ; on travaille avec l’URAPEDA, il y a forcément des professionnels. On a commencé à dialoguer avec Coridys [2]. Après, le souci c’est que les étudiants ne sont pas forcément en contact avec une association, donc on ne peut pas non plus leur imposer d’en choisir une...
H. - Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les étudiants qui viennent vous voir ?
M C. - Ça dépend du handicap, c’est sà »r. Pour le handicap moteur c’est certainement l’accessibilité. Il y a des choses toutes simples, pouvoir se garer... Nous, on a derrière l’entrée qui est là , un parking réservé. Bon, on a quand même beaucoup de travaux de rénovation à faire ici, pour quelqu’un qui est en fauteuil ça peut être difficile. Un amphi auquel on accède en fauteuil que par le haut... c’est évident que pour descendre voir l’enseignant qui est en bas... il faut que l’enseignant monte, ou il faut sortir. On n’y pense pas forcément.
Pour le handicap visuel, il y a des gens qui ont besoin d’un agrandissement, d’autres au contraire que ce soit écrit beaucoup plus petit, d’autres en caractères plus foncés... Chacun a son aménagement propre. Pour eux, la difficulté c’est de pouvoir lire au tableau, c’est évident. Là , il faut un équipement... Mais en université il y a tellement de salles !
Le problème de la dyslexie, c’est que si l’étudiant ne se signale pas, l’enseignant qui voit arriver sa copie avec beaucoup de fautes peut le pénaliser.
À chaque handicap ses difficultés, c’est la connaissance du handicap qu’il faut développer. D’où l’intérêt de ces journées !
H. - L’intégration se fait bien en général, avec les autres étudiants ?
M C. - Il me semble qu’ils sont bien intégrés. On a mis en place le bonus : c’est pour les étudiants "œvalides" qui font de la prise de notes pour leurs camarades, mais il faut que ce soit une prise de note ciblée, pas simplement des photocopies. Il y a un petit rapport à rendre à la fin du semestre, ça rapporte quelques points.
Moi, je pense que oui, l’intégration suit son chemin. Il n’y a pas de rejet on va dire, même s’il y a forcément des difficultés. Un étudiant qui est en fauteuil au moment où tout le monde sort de cours... Oui, ce n’est pas facile, c’est évident.
H. - Est-ce que vous en avez connus qui se sont laissés décourager ?
M.C. - Depuis trois ans que j’ai repris (j’y avais travaillé de 1993 à 2000, après je suis allée faire autre chose) j’ai un peu oublié... Mais découragés, je sais pas si on peut dire vraiment découragés... On en a eu quelques-uns qui ont changé d’orientation. Une enseignante de l’Arc-En-Ciel disait à la table ronde que, quels que soient les aménagements, il faut des prérequis, de la discipline. C’est sà »r que si on s’inscrit en lettres modernes et qu’on n’aime pas lire, s’il manque des bases de culture générale, on pourra mettre n’importe quels aménagements en place, ça ne changera rien.
Donc on en a eu, qui, j’ai envie de dire, n’étaient pas trop motivés, mais je pense que c’est le même problème qu’on aurait rencontré chez des étudiants "œvalides" .
Maintenant, je pense que pour tenir, même avec les aménagements qu’on propose, c’est sà »r que s’il n’y a pas la famille, etc... Ça joue. Un étudiant malvoyant qui doit lire un livre, il mettra 15 jours, là où un étudiant valide met 2 jours, parce que c’est beaucoup plus long. C’est normal, c’est plus fatiguant, ça prend beaucoup plus de temps, c’est sà »r. Mais je pense que globalement ils sont très motivés, les étudiants qui entament des études universitaires. Nous, on en a quand même pas mal qui réussissent.
H. - Que faisiez-vous avant 2007 ?
M.C. - Je suis rentrée à l’université dans les années 70. J’ai fait de la gestion de personnel, j’ai été responsable administrative au service de l’information et de l’orientation, là où j’ai créé l’accueil des étudiants handicapés, et après j’ai été responsable administrative d’une UFR. Et bientôt je vais partir à la retraite.
H. - Quels conseils vous donneriez aux étudiants handicapés qui font leur première rentrée ?
M.C. - D’abord, qu’ils nous rencontrent. Parce que ce matin, j’en ai encore vu une qui s’inscrivait en L2 et qui disait, comme tous les étudiants : "à l’université c’est difficile parce qu’on arrive, tout est nouveau, il n’y a pas d’emploi du temps" (en tout cas, en lettres ; en sciences, c’est différent, c’est plus cadré).
Je leur conseille, comme aux autres, de s’accrocher. Nous, on est là pour aider... Il ne faut pas se décourager au début sur tous ces problèmes d’organisation. Il faut un temps d’adaptation, la première année, surtout le premier semestre. Sachant que comme je dis, les étudiants handicapés sont d’abord des étudiants, et que tous les dispositifs d’aide qu’on a mis en place pour tous, plan réussite en licence, tutorat..., ils doivent en profiter aussi. Il ne faut pas qu’ils se disent "je suis étudiant handicapé, donc moi j’ai que le BIESH". Le BIESH est un plus.
Voilà , qu’ils n’hésitent pas à venir.
Notes
[1] Centre Régional des Å’uvres Universitaires et Scolaires. - http://www.crous-aix-marseille.fr/
[2] Voir notre interview de son président : http://www.handimarseille.fr/le-magazine/temoignages-156/article/on-n-est-pas-tous-pareil
Voir en ligne : BIESH - Informations et contacts
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