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Entretien avec Catherine Marand-Fouquet, présidente de l'Alma 13 - Le magazine - Témoignages - handimarseille.fr, le portail du handicap à Marseille
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Entretien avec Catherine Marand-Fouquet, présidente de l’Alma 13

En 2009, L’ALMA-13 a ouvert 230 nouveaux dossiers, dont 30 concernaient des adultes vulnérables de moins de 60 ans. Mme Marand-Fouquet, présidente de la branche "13" d’Allô Maltraitance, nous détaille ici les implications de ce phénomène malheureusement trop fréquent, ses conséquences, ses signes et ce qui peut être mis en œuvre afin d’éviter à des personnes vulnérables de devenir victimes, et à des proches ou des personnels traitants de devenir eux-mêmes maltraitants.

HandiMarseille - Présentez-vous à nous... Quel est votre rôle au sein de l’Alma ?
Catherine MARAND-FOUQUET. - Je m’appelle Catherine Marand-Fouquet, je suis présidente de l’Alma 13. Le président d’Alma France est le professeur Robert MOULIAS, qui a succédé voici deux ans au professeur Robert HUGONOT. Ils étaient tous les deux gériatres et ont fondé, en s’appuyant sur le comité d’éthique de la société française de gérontologie, le mouvement Alma : Alma signifiant Allô maltraitance.
D’emblée, ils ont choisi un mot qui suggère la douceur et le calme. Nous ne sommes ni des Zorro, ni des Tarzan, nous n’agissons pas dans l’urgence. Nous sommes là pour écouter, analyser et essayer de proposer des solutions en raccordant les gens qui nous appellent à tout le réseau de professionnels compétents. Pour la plupart, nous sommes des retraités dans l’association, donc des bénévoles. Et nous ne voulons pas nous substituer aux professionnels en activité, mais on a accumulé une riche expérience.
Donc, le mouvement Alma se propose d’écouter des appels signalant des maltraitances. Jusqu’en 2003, c’était "œAllô maltraitance personnes âgées" , depuis il est devenu "œAllô maltraitance des adultes vulnérables, âgés ou handicapés" . En effet, la qualité d’adulte ne se perd pas jusqu’à la mort.

H - Comment Monsieur Hugonot en est-il arrivé à créer l’Alma ?
C. M-F. - Robert Hugonot était, au départ, médecin militaire. Il a fait une grande partie de sa carrière au Maroc et puis en 1957, il est revenu en France. En 1987, il était connu comme gériatre ayant le "œsouci du social" parce qu’il y a beaucoup de médecins qui sont étroitement dans leur spécialité et ils ne voient pas à quel point l’environnement social du malade peut importer. La même année, il participait à un colloque sur "œles violences en famille" , il devait animer la partie "œviolence envers les personnes âgées" . Là , il a découvert que si bien sà »r tout le monde savait que les violences envers les personnes âgées ont toujours existé, il y en avait partout, il y avait en revanche certains pays, en particulier anglo-saxons ou scandinaves, où on avait commencé à analyser les choses... Faire de l’épidémiologie, analyser les types de maltraitance, essayer de les compter, de les prévenir. Et il s’est dit : pourquoi pas en France ? Donc en rentrant, il a d’abord fait une communication à l’Académie de Médecine, ce qui a attiré vers lui des gens qui s’intéressaient à ça aussi. Il a publié en 1990 un livre qui s’appelait "œViolence envers les vieux" . Il a tenté de lancer une ligne d’écoute en 1992. Et là , il s’est rendu compte que l’écoute à elle seule, ça soulage la personne sur le moment mais ça ne résout pas le problème. Donc, il a réfléchi avec d’autres et il a imaginé ce système ALMA avec les trois étages de la fusée : écoutant, conseiller, comité de pilotage. Puis il a lancé les premières antennes en 1995. Il a présidé le mouvement qu’il a fondé jusqu’à il y a deux ans, où il s’est retiré et a laissé le témoin à Monsieur Mouyas. Il est décédé le 8 janvier, à l’âge de presque 88 ans. Il continuait à écrire, il avait deux livres en chantier... Comme quoi, vieillir c’est vivre jusqu’au bout...

H. - Comment, de votre côté, en êtes-vous arrivée à fonder l’Alma 13 ?
C. M-F. - Comme je vous le disais, en 1995 cinq centres d’écoute et de traitement ont été créés sur le territoire français. De mon côté, j’ai fondé en 1997, avec d’autres, l’association qui s’est d’abord appelée Alma Provence. Elle s’occupait, uniquement de personnes âgées. En 2001, elle est devenue Alma 13 parce qu’au départ on était tous seuls sur la Région et il n’y avait pas de raisons d’accaparer ce "œmouvement de Provence" , donc on est devenus Alma 13. En 2004, la Région PACA était entièrement couverte d’antennes Alma et aujourd’hui, il existe 61 centres départementaux France et Outre Mer qui couvrent 80% du territoire. Nous, nous avons été la neuvième antenne du mouvement, cela va faire 13 ans que je suis dans l’Alma jusqu’au cou !

H - Qu’est-ce qui vous y a poussée ?
C. M-F. - Tout simplement parce que j’ai constaté que des personnes dont je m’occupais étaient maltraitées par la personne qui théoriquement était chargée de les protéger : elle ne tenait aucun compte de ce qu’elles voulaient et elle faisait tout de travers.

H - Quel était votre métier auparavant ?
C. M-F. - J’étais professeur d’histoire. Je suis en fait historienne spécialisée dans l’histoire des femmes, mais ça m’a préparée quand même à l’étude des violences contre les femmes et à fréquenter ce mouvement social. En 1993, alors que je me préparais à un colloque international sur "œLes femmes et la vie, un enjeu pour l’Europe" , je suis tombée sur le livre du Professeur Hugonot publié en 1990. Là , j’ai mis des mots sur des choses que je voyais. C’est une des raisons qui font que j’ai réagi si vivement quand j’ai vu qu’en fait, des personnes chargées de protection, abusaient de leurs pouvoirs et agissaient à l’encontre des personnes protégées. Donc ça, ça m’a rendue enragée.

H - Quel genre de conseils donne l’Alma ?
C. M-F. - Je ne peux pas vous répondre, parce que chaque cas est individuel. Et surtout les conseils, nous ne les donnons jamais en direct. C’est-à -dire que les personnes qui nous appellent sont d’abord écoutées par des "œécoutants" qui ne font que ça : d’abord, ils les écoutent de la façon la plus neutre possible et ensuite, si les personnes souhaitent, justement, être conseillées, on leur explique que pour bien les conseiller, il faut qu’on prenne une mesure de la situation qui comporte d’autres témoignages que le leur.
On ne peut bien conseiller quelqu’un que si on a une vue plus précise de la situation. Donc si les personnes sont d’accord, pour qu’on mène une sorte d’enquête auprès des gens qui les accompagnent, que ce soit médecin, infirmières, membres de la famille, un voisin, un ami, on note soigneusement toutes ces références, on remplit un dossier concernant la personne, et une fois par semaine un conseil pluridisciplinaire se réunit. Il est composé d’un médecin, d’une infirmière, d’une assistante sociale, d’une ancienne directrice de maison de retraite, de plusieurs conseillers juridiques, de moi-même, etc.
Les conseillers étudient donc le cas et se répartissent éventuellement un travail de retour vers l’appelant. Ils interrogent également des gens qui sont d’accord pour cela, et voient ensuite ce qui est le mieux :envoyer une assistante sociale sur place ou faire intervenir un spécialiste.
En fonction de ça, on essaie de faire avancer les choses : on revient vers la personne en lui expliquant comment on va fonctionner. On lui demande si elle est d’accord pour recevoir la visite d’untel ou d’untel et si c’est le cas, alors on fait intervenir la personne appropriée qui ira sur le terrain et qui essaiera de trouver la moins mauvaise solution. Nous, bénévoles, nous n’allons pas sur le terrain. Sauf cas tout à fait exceptionnel.

H - Quand il y a enquête, qui se charge de celle-ci, par exemple ? Vous disiez que vous n’interveniez pas...
C. M-F. - Au téléphone... On interroge ; bon, maintenant on commence à être connus, on a un médecin à la retraite qui travaille avec nous. Donc s’il faut contacter un médecin, c’est lui en général qui s’en charge, si c’est un problème qui concerne plus le milieu "œassistante sociale" , c’est l’assistante sociale ; s’il faut appeler un directeur de maison de retraite, c’est l’ancienne directrice de la maison de retraite qui le fait... On essaie donc d’approcher les gens pour avoir une vue plus précise de la situation parce que c’est à partir de là qu’on pourra dire, soit il n’y a rien d’autre à faire que de faire un signalement aux autorités, soit peut-être qu’on peut rétablir les choses sans envoyer l’infanterie en campagne.

H - Ce doit être très délicat, toutes les familles n’apprécient sà »rement pas qu’on s’en mêle...
C. M-F. - Bien évidemment, il faut se garder d’être intrusif. C’est pour ça que notre éthique nous interdit, sauf danger apparent immédiat, d’aller au-delà de ce que les personnes qui appellent nous demandent. Mais quelques fois, dans 8% des appels, des dossiers ouverts, ce sont des maltraitances imaginaires... Des personnes qui veulent faire parler de soi...

H - À partir de quand de simples oublis peuvent-ils être qualifiés de "œnégligence" ?
C. M-F. - Tout de suite. Si vous travaillez en maison de retraite et que vous avez en charge d’apporter les plateaux-repas aux personnes alitées, si vous mettez le plateau en dehors de la portée de la personne à qui vous l’avez apporté et que vous repassez en disant : « Alors Mémé, on n’a pas faim aujourd’hui ? », vous êtes maltraitante. Ce n’est qu’une fois... On pense que la maltraitance, c’est par répétition mais ça peut être une fois ! L’oubli, une fois, peut être soit volontaire, soit involontaire. Dans le cas d’un oubli volontaire, c’est beaucoup plus grave. Dans le cas d’involontaire, c’est grave aussi, il faut étudier les raisons pour lesquelles ça s’est passé et blâmer la personne qui l’a fait.

H - Mais est-ce que vous qualifierez de maltraitante une personne qui, s’occupant d’une personne âgée ou handicapée à domicile, oublierait de lui donner un cachet une fois par exemple, parce qu’elle était pressée ou fatiguée...?
C. M-F. - Elle ne sera pas vraiment maltraitante mais elle sera sur le bord de la maltraitance, quand même. La maltraitance peut être un acte isolé, non répété. Mais c’est différent des violences de rue : la maltraitance est un acte qui s’accomplit dans une relation de confiance. Et vous dites vous-même : « La personne qui doit donner le médicament a oublié... ». Il faut qu’elle prenne conscience, qu’elle s’en excuse, qu’elle fasse un truc pour ne plus oublier !
Si elle a oublié parce qu’elle était trop bousculée, il faut qu’elle le fasse remonter à son responsable, lui dire ce qu’il s’est passé dans la journée et que c’est ça qui explique la chose. Il ne faut pas mettre sous le tapis, c’est très important : il faut dédramatiser mais ne pas cacher.
Le professeur Hugonot disait : « La maltraitance, c’est l’épuisement de la tolérance, la plupart du temps ». C’est vrai aussi bien pour les personnes vivant en institution, que pour les personnes vivant chez elles... Vivre avec une personne lourdement handicapée, ou même légèrement handicapée, si on n’est pas aidé par ailleurs, si on n’a pas du temps pour souffler, etc. cela peut conduire à des actes violents ou à des négligences, sans mauvaises intentions du tout, au départ. C’est pour ça qu’il y a, par exemple, une société d’assurances qui organise une rencontre pour les "œaidants" , pour dire, "œAidant, jusqu’où ?" ... À partir de quel moment, une famille, la plus aimante qu’elle soit, a vraiment besoin d’un soutien ou d’un accompagnement pour prévenir les négligences et les maltraitances.

H - Est-ce qu’il y a un profil de la personne à risque ?
C. M-F. - Pour les personnes âgées, à un moment donné, on avait dressé un portrait robot... La personne à risque serait une femme, âgée de plus de 85 ans, isolée, et plus aisée que son entourage. Les maltraitances financières sont innombrables... Il y a même des gens qui passent leur vie à "œescroquer le vieux" ! C’est vraiment quelque chose de très répandu. C’est du vol et de l’escroquerie quand il s’agit de personnes qui ne se connaissent pas... Mais c’est en plus de la maltraitance quand il s’agit de personnes qui se connaissent, car la relation de confiance est atteinte. C’est encore plus grave !
Plus aisée que son entourage, ça peut se trouver dans tous les milieux de la société. La fille de Madame Bettencourt qui veut placer sa mère de 88 ans sous tutelle parce qu’elle juge qu’elle a été trop généreuse avec un Monsieur : on a là un cas d’extrême richesse, mais cela peut être aussi une personne qui a une pension de 700 euros par mois et qui vit dans un milieu où les personnes autour d’elle n’ont que le RMI ou sont sans ressource. Là , se créent des tensions car ces personnes ont l’impression que les personnes âgées n’ont plus besoin de rien.
On a donc le cas de personnes qui seraient mieux en institution, parce que chez elles, elles sont bousculées. Elles souhaiteraient y aller, mais la famille fait barrage car la retraite de la personne est très utile pour compléter les ressources de la famille.
À l’inverse, on a des personnes âgées qui refusent d’aller en institution car ils ne veulent pas que cela coà »te cher à la famille, et veulent continuer à pouvoir l’aider... Comme je vous disais tout à l’heure, chaque cas est particulier. On ne peut pas appliquer de recette. Ça, c’est donc un profil à risque.

H - Donc ça reste tout de même assez délicat de gérer le budget d’une personne âgée, qui ne se souvient pas forcément de ses dépenses, sans tomber dans ce que l’on appelle de la maltraitance...
C. M-F. - C’est à risque, même des gens qui ont été très honnêtes, sont parfois tentés par le fait que la personne ne sait plus trop ce qu’elle fait. Et c’est là que petit à petit, des petites indélicatesses finissent parfois en grosses escroqueries.
L’indélicatesse quotidienne, c’est aussi une maltraitance... Donc il faut aussi être prudent quand on s’occupe d’une personne âgée. Il vaut mieux tenir un livre de compte quotidien pour éviter, soit de succomber à la tentation, soit d’être mis en accusation par des gens qui ne se sont pas du tout occupés de la personne en question mais qui, une fois l’heure venue de l’héritage, arrivent avec des dents qui rayent le parquet et accusent ceux qui ont aidé d’avoir pioché dans la caisse. Ça, on l’a aussi très souvent.

le fondateur de l´ALMA, mr. Hugonot, et mme. Marand-Fouquet

H - Est-ce qu’il est possible de prévenir la maltraitance ?
C. M-F. - Bien sà »r... Ne pas se laisser isoler d’abord, ça c’est une bonne prévention. Rester le plus alerte possible dans son esprit et tenir les contacts avec son entourage de façon très régulière : c’est une très bonne prévention de la part des personnes en danger elles-mêmes.
Ne pas se laisser enfermer dans une relation de codépendance avec une seule personne ! Malheureusement, c’est quelque chose qui arrive souvent : la personne qui s’occupe quotidiennement de la personne handicapée ou âgée finit par prendre sur elle une emprise, et lui faire faire ce qu’elle veut. Multiplier les contacts... Ne pas rester isolé, c’est une excellente prévention...

H - Quels sont les signes qui peuvent permettre de repérer une maltraitance ?
C. M-F. - Quelqu’un qui perd l’appétit, qui maigrit brutalement, qui ne s’intéresse plus à rien, qui ne veut plus sortir ou qui est victime de malnutrition... C’est quelques fois un signe qu’il y a une maltraitance quelque part, une maltraitance parfois invisible : par exemple, des enfants ou des neveux qui viennent rendre visite à la personne et qui disent « Donne-nous ceci, fais-nous un prêt... », et si la personne ne veut pas : « Et bien on ne viendra plus te voir, tu ne verras plus les petits-enfants ! »... Ça c’est une maltraitance psychologique qui vient souvent à l’appui d’une maltraitance financière, et qui peut plonger des personnes dans le marasme. Des maltraitances psychologiques, d’ordre affectif, un délaissement affectif, peuvent tout à fait entraîner ce que l’on appelle un "œsyndrome de glissement" où la personne n’a plus de goà »t à vivre, se laisse aller et se laisse mourir.

H - Ce sont un peu les signes de la dépression...
C. M-F. - Quelques fois derrière une dépression, il y a une situation de maltraitance. Évidemment, il y a la maltraitance physique qui laisse des traces mais là il faut être aussi très prudent car il peut y avoir des signalements indus : la peau de la personne âgée marque très facilement, quand elle prend certains médicaments et parfois, le simple fait de la soulever, de la prendre, de la tourner, peut laisser des marques... Il y a quelques fois des gens qui s’imaginent qu’il y a une maltraitance, alors qu’en fait, il n’y en a pas. Prévention de la maltraitance aussi, c’est accepter l’institution quand l’entourage est devenu trop fatigué pour prendre en charge, mais c’est dur... C’est très dur.

H - Est-ce que les personnes dont vous parlez ont peur des représailles, que ce soit la personne qui est maltraitée elle-même, ou quelqu’un qui en est témoin ?
C. M-F. - Absolument. Pas dans tous les cas, mais c’est certainement un des freins à la révélation de la maltraitance. Quelques fois, ces craintes sont chimériques ; par exemple, dans les histoires de voisinage, des gens qui se disent persécutés, que leur voisin est armé, quelques fois c’est vrai mais parfois c’est totalement imaginaire, et le début d’une démence.

H - Est-ce que quelque chose est fait pour protéger les personnes des représailles ?
C. M-F. - C’est difficile à dire, parce que dans l’intimité on ne peut pas intervenir. Sauf que, lorsque les tourmenteurs savent qu’il y a à l’extérieur des gens qui sont au courant, qui peuvent intervenir ou réintervenir, la plupart du temps ils se calment, mais ce n’est pas toujours le cas. Dans tout ce qui se passe dans l’intimité, et pour lequel la personne adulte ne porte pas plainte, on est impuissants. Comme dans les histoires de secte...
Il faut être ferme pour arriver à faire cesser la maltraitance et éventuellement séparer le maltraité du maltraitant. Mais quand il y a une relation affective, intense entre les deux, il faut aussi faire attention de ne pas faire comme L’ours et l’amateur des jardins [1].
Donc c’est difficile, et là c’est le rôle des autorités sociales et médicales de prendre le problème en charge et de voir comment le gérer. Souvent cela se fait avec des réunions de plusieurs spécialistes : s’il y a des violences physiques constatées évidentes, évidemment la personne sera traduite devant les tribunaux.

H - Est ce que l’on peut se remettre de la maltraitance, et comment ?
C. M-F. - Oui, bien sà »r ; cela dépend des maltraitances et cela dépend des gens...

H - On dit souvent que la victime se sent coupable... Comment peut-elle se débarrasser de ce sentiment ?
C. M-F. - Oui, mais injustement. Comment ? Avec des interventions de psychologues, comme ceux qui travaillent avec l’aide aux victimes. Avec quelques fois aussi un changement de lieu, un changement de relations, le sentiment justement d’avoir été aidé et d’avoir pu mobiliser autour de soi des personnes qui n’ont pas laissé faire. Cela peut au contraire relancer une vie plus épanouie, plus satisfaisante, il ne faut pas être pessimiste ! Pas exagérément...
Sur les suites au long cours, nous ne sommes pas trop au courant, car lorsque le problème est réglé, si cela se fait, ce n’est pas souvent que l’on nous appelle. Cela nous arrive, de temps en temps, qu’on nous appelle pour dire « Merci, vous m’avez donné confiance en moi, j’ai réussi à me défaire de cette situation ». On a rassuré une personne sur le fait que se séparer de son conjoint pendant 15 jours, au moment des vacances, en le mettant en placement temporaire, pour pouvoir elle-même souffler : ça n’avait rien de crapuleux, au contraire ! C’était ce qu’il fallait faire, c’était une attitude préventive, à expliquer évidemment au partenaire.
Pour tenir un accompagnement au long cours, qui peut durer 20 ans ou 30 ans, c’est nécessaire de prendre des respirations. Alors il y a des groupes d’ados aidants aussi avec les réseaux de santé qui se sont développés qui, dans des cas difficiles, font une évaluation sur place, conseillent, restent en rapport avec le médecin. Ça, ce sont des professionnels de terrain, c’est eux que l’on alerte lorsque les personnes sont d’accord.

H - D’une façon générale, une personne maltraitée, d’après ce que vous voyez, restera-t-elle vulnérable à une hypothétique future maltraitance, ou est-ce qu’au contraire elle arrivera à en sortir plus forte... ?
C. M-F. - Il n’y a pas de règle générale, c’est la fameuse affaire de la résilience. Devant un même choc, une même épreuve, les individus réagissent plus ou moins positivement en fonction essentiellement de leur passé, de leur histoire.
Donc il y a des gens pour qui l’appel à Alma, la résolution d’un problème, fera qu’ils auront tendance à revenir vers nous, quelques années après, si la situation se dégrade à nouveau. Et maintenant que l’on a derrière nous onze années d’activité pleine, on a effectivement des personnes que l’on a eu il y a huit ans et qui reviennent trois ans après leur situation a évolué. Ils se trouvent devant un problème nouveau et ils veulent nos conseils pour savoir comment le résoudre. Et puis d’autres, au contraire, qui auront estimé que ce qu’on leur aura dit ne valait rien, qui sont complètement découragés et qui auront recours à d’autres personnes. On ne peut pas savoir...

H - Est-ce qu’il y a une liste des établissements où il y a eu des comportements maltraitants, des établissement "œpas fiables" , on va dire ?
C. M-F. - Nous n’avons absolument pas l’autorisation de donner ce genre de renseignements. Les événements indésirables peuvent arriver absolument partout. Même dans les endroits les mieux organisés, où les gens sont formés, il peut toujours arriver quelque chose. Cela dit, il y a certains endroits qui ont été fermés, après étude par les Inspecteurs du Conseil Général et de la DDASS. Mais la liste des établissements fermés dans les Bouches-Du-Rhône depuis 15 ans ne contient pas seulement des établissements où se seraient passées des maltraitances : elle contient surtout des établissements qui parfois étaient, au contraire, très bientraitants mais où les normes architecturales ne permettaient pas d’appliquer les nouveaux règlements de sécurité.

H - Dans les actes, on parle à un moment donné du silence des personnels d’encadrement qui est parfois du à une perte des repères entre ce qui est "œnormal" ou pas. Qu’est ce qui peut provoquer cette perte de repères ?
C. M-F. - La routine. C’est pour cela que très souvent lorsque quelque chose est anormal dans une institution, ce ne sont pas ceux qui y travaillent depuis longtemps qui s’en aperçoivent, mais un stagiaire ou un nouvel arrivant qui dit « Quoi ? mais qu’est-ce que c’est ? » Alors que ceux qui sont dedans, ont vu ça depuis toujours ou cela se fait, c’est l’habitude et donc ils n’y font plus attention.
Cela devrait évoluer aussi avec l’attention mise à la formation continue des personnels qui, souvent, ne sont pas conscients de la maltraitance qu’ils exercent depuis très longtemps, parce que cela s’est toujours fait comme cela.
Par exemple, la dépersonnalisation des gens : vous avez deux infirmières qui rentrent dans une chambre pour faire un soin, cela peut être à l’hôpital aussi bien. Au lieu de dire « Bonjour Madame, Monsieur, voilà nous allons faire cette chose » et puis de s’occuper de la personne tout en faisant le soin. Elles entrent comme ça en disant : « C’est l’heure du soin, veuillez sortir ». Sans dire bonjour à la personne, elles font le soin tout en continuant une conversation au dessus de la personne. Voilà , ça c’est une attitude de routine qui existe dans beaucoup de services et, qui a pour effet de dépersonnaliser l’individu et de le mettre mal à l’aise psychologiquement, d’être traité comme un soliveau. Alors cela peut être le cas pour une personne handicapée dans un foyer où on vient le retourner, lui faire sa toilette, à deux parce qu’il est lourd pour le soulever, au lieu de s’occuper de lui ou d’elle, de le regarder quand on le soigne, c’est à dire d’avoir à faire à une personne, on prend un bras, une jambe, un pied et hop on se dit « Alors, il était beau ton week-end ? »

H - Quelles sont les sanctions prises à l’encontre du personnel maltraitant ? Est-ce qu’il est licencié ?
C. M-F. - Oui, bien sà »r. Le personnel maltraitant peut l’être de différentes façons : si c’est une maltraitance incidente, qui vient de ce que la personne qui d’habitude, est un bon professionnel, mais a perdu pied pour une raison ou pour une autre, il peut très bien y avoir une mise à pied de quelques semaines. Éventuellement un renvoi en formation, une demande de changer d’établissement, mais on le garde dans le métier parce que l’on sait que c’est quelqu’un de bien qui a dérapé, une fois que c’est étudié comme cela.
En revanche, il y a des cas beaucoup plus graves où, non seulement le personnel est mis à pied, mais l’établissement porte plainte contre lui, et à ce moment-là c’est la justice qui étudiera les choses et prononcera les peines qui s’imposent : peines de prison, amendes, interdictions d’exercer auprès des personnes fragiles... Il y a toute un gamme qui existe car encore une fois, aucune situation n’est semblable.

H - Pour les proches maltraitants, y a-t-il des peines ?
C. M-F. - Pour les proches maltraitants, cela dépend du degré de maltraitance : il n’y a pas de peine prévue pour les personnes qui ont été maltraitantes financièrement dans leur famille, qui ont négligé leurs parents, qui ne sont pas allées les voir, etc. Par contre, des peines sont prévues pour ce qu’on appelle "œle délaissement" , c’est-à -dire quand on laisse la personne sans avoir à manger, sans aller la voir, qu’elle ne puisse plus faire ses courses et que son frigidaire soit vide : à ce moment-là , il peut y avoir une plainte sur le délaissement. Mais sur les maltraitances psychologiques, tout ça, là rien du tout ! C’est-à -dire que vous pouvez très bien avoir négligé vos parents pendant des années, leur avoir extorqué des sommes d’argent, les avoir torturé par téléphone psychologiquement pendant des heures, et puis vous retrouvez tranquillement à l’héritage et en plus en disant « Ah ben eux, se sont occupés des parents ! »... Ça, ça arrive tous les jours.

H - Certains sévices qui sont décrits dans les actes sont particulièrement choquants. Comment les écoutants tiennent-ils le choc ? Est-ce qu’il y a un suivi psychologique ?
C. M-F. - Chez nous on écoute à deux, les écoutants ne sont pas tout seuls devant le témoignage : un écoute, l’autre prend note. Ils parlent entre eux tout de suite. Ils ont reçu une formation solide, c’est en général des gens d’expérience ; et en plus on travaille en équipe, c’est-à -dire qu’une fois par semaine, on peut trouver l’ensemble de l’équipe, y compris les gens capables d’aider psychologiquement. Cela dit, tout le monde n’est pas capable d’entendre ça. Quand on prend des bénévoles, on leur fait observer une période d’essai. Mais tous ceux qui sont dans le mouvement ont déjà une belle expérience, ils ont le "œcuir solide" .
Pendant un temps, on avait des séances avec une psychologue, mais finalement je dirais qu’en équipe, on a tellement de spécialistes aptes, que l’on n’a pas besoin de cela. Ce qui nous est aussi très utile, ce sont les rencontres que l’on fait régulièrement avec les autres antennes ALMA, où l’on peut échanger des impressions, échanger des expériences et ça c’est très utile. Et puis il y a une formation initiale et une formation continue. Lors de la formation, on se rend compte si Untel ou Untel ne peut tenir pas le choc. Vraiment, on ne prend pas tout le monde.

H - Qu’est-ce qui permet de tenir le choc, justement ?
C. M-F. - Un certain état d’esprit, qui est celui des soignants. Vous avez par exemple en ce moment des gens en Haà¯ti qui sont très courageux... Il y a des gens qui ne peuvent pas, il y a une certaine fragilité psychologique qui fait que si on entend des choses affreuses, on va tout de suite s’assimiler à ça et le ressasser, revenir dessus... Mais aucun de nous n’est à l’abri non plus d’une baisse de forme, qui fait que telle chose ou telle chose va particulièrement choquer.
Moi cet été, j’ai été particulièrement choquée par l’histoire d’un Monsieur pour lequel on n’a pas pu faire grand chose, j’étais tellement choquée que j’en faisais des cauchemars. J’ai mis des mois avant de l’assimiler ; maintenant, il va falloir que j’écrive cette histoire pour finir de m’en débarrasser.
Chacun d’entre nous est plus ou moins sensible à tel ou tel type de situation. En fait, cela a réactivé la situation traumatique que j’avais vécue et qui m’a conduite à fonder l’Alma. Une fois que j’ai analysé ça... J’ai réagi au premier traumatisme en fondant Alma, maintenant je vais réagir à celui-là en essayant de poursuivre l’affaire et de voir comment on peut faire pour arrêter ce type d’agissements de manière plus radicale.

H - André Laurain dit dans les actes : « Il est très important de placer l’appelant au cœur de sa démarche et de l’aider à formuler les moyens qu’il compte utiliser pour résoudre son problème ». Déjà , cela suppose que la victime a les ressources en elle-même pour se sortir de là  ; cela laisse également entendre que l’Alma encourage et appuie les victimes, plus qu’elle n’intervient... Vous devez pourtant vous interposer, non ?
C. M-F. - Ce n’est pas nous-même qui nous interposons, c’est le service social, policier ou juridique compétent pour ce lieu. Chaque fois, quand on essaie d’écouter la personne au maximum, c’est qu’on essaie de lui faire analyser par elle-même les tenants et aboutissants de sa situation. Mais cela se résoudra rarement au premier appel, c’est surtout après l’enquête faite que l’on revient vers lui ou vers elle, et qu’on lui donne les conseils d’aller vers tel ou tel service pour justement prendre en charge lui-même son problème.
On essaie de ne pas "œfaire à la place de" , mais d’apprendre une procédure qui fait que, si la situation se représente, la personne saura quoi faire tout de suite. Et cela lui aura peut être donné l’occasion de nouer des relations en tête-à -tête avec une assistante sociale, un psychologue, etc... qui sera un recours en direct ensuite. Mais nous, nous n’avons pas le droit de prendre la place des services compétents et professionnels, ça c’est une règle absolue chez nous.

H - Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
C. M-F. - Je souhaite trouver des bénévoles qui ont envie de travailler avec nous, qui nous apportent leur force et leur jeunesse, parce qu’il faut qu’une équipe se renouvelle aussi. Et je souhaite aussi trouver de nouveaux locaux où on pourrait justement avoir des bénévoles en fauteuil, parce que là où on est, ce n’est pas possible.

Propos recueillis par L.L.

Post-scriptum

- Permanences Alma 13 : 04 91 08 50 94
(Lundi : de 14h à16h30 - Mardi et
vendredi : de 9h30 à12h

- Centre d’écoute Alma : 39 77 (Coà»t d’un appel local)
(Du Lundi au Vendredi de 9h à19h)

Notes

[1Conte de La Fontaine

Voir en ligne : Alma 13


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