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Une vie de couple bouleversée par un accident

"Il s’est mis dans la peau de la victime et ça a été très dur à gérer. Il s’est senti un peu mis à l’écart d’une vie sociale et professionnelle. Et ça a été difficile pour nous parce qu’il passait par des moments d’abattement, de révolte qui retombaient sur nous, des moments d’autorité très importante..." Marie-Christine, femme aimante et courageuse, raconte "la descente aux enfers de son mari" et comment ensemble ils ont pu remonter la pente...

Une vie de couple bouleversée par un accident

Handimarseille - Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Marie-Christine Oliver - Je m’appelle Oliver Marie-Christine et actuellement, depuis 6 mois je suis à la retraite. Avant j’étais responsable d’un bureau municipal de proximité situé à Saint-Pierre. Et je suis l’épouse de Jacques Oliver qui a subi un grave accident du travail il y a 15 ans.

H. - Il a eu quoi comme accident de travail ?

M-C.O. - Il a eu une double fracture ouverte du péroné et de la malléole. L’os est sorti et le pied était derrière la jambe. Il y a eu des complications et finalement ça a abouti à une arthrodèse [1], c’est-à -dire qu’il n’a plus le pied mobile comme vous et moi.

H. - Depuis combien de temps étiez-vous ensemble avant qu’il ait cet accident ?

M-C.O. - On s’est connu en 1968. On s’est mariés en 1971 et il a eu l’accident en 1997. Donc on n’était pas un jeune couple.

H. - Et comment votre mari a vécu cet accident justement ?

M-C.O. - Il l’a bien vécu au début. Au début il savait que c’était grave et qu’il en avait pour 6 mois voire un an. Les 6 premiers mois se sont relativement bien passés. Par contre après la fracture, il y a eu récidive de fracture et le matériel a cassé, et le chirurgien de l’hôpital qui s’était occupé de lui ne l’a pas vu. Ce qui fait qu’il a continué à marcher et à refaire une rééducation avec sa fracture qui n’était plus consolidée et qui s’était refracturée, et c’est là que tout a éclaté. Il a subi de nombreuses opérations, quatre avant d’attaquer l’arthrodèse, qui lui enlevait une partie des douleurs et qui lui a permis de marcher. C’est à partir du moment où on s’est rendu compte que ça ne s’arrangeait pas, que là il a "perdu pied". La Médecine du Travail ne l’autorisait pas à avoir un travail ni debout ni assis, donc son employeur l’a licencié - on est toujours en procès avec lui. Il s’est mis dans la peau de la victime et ça a été très dur à gérer. Il s’est senti un peu mis à l’écart d’une vie sociale et professionnelle. Et ça a été difficile pour nous parce qu’il passait par des moments d’abattement, de révolte qui retombaient sur nous, des moments d’autorité très importante.
Il s’était mis un peu dans un cocon. Je pense que pour mon mari, tout s’est arrêté quand il s’est mis à la retraite. Le fait qu’il ait été au chômage alors qu’il avait commencé à travailler à 14 ans, il pouvait prétendre à une retraite à 56 ans - puisque c’était l’ancienne réforme Fillon - mais il n’a pas pu la prendre parce qu’il avait eu du chômage. Il n’avait pas eu une activité professionnelle régulière. Donc là aussi, il s’est retrouvé blousé en quelque sorte parce que d’un côté, il avait ses cotisations et de l’autre côté, il ne pouvait pas prétendre à sa retraite, il restait en invalidité où il gagnait nettement moins. Après il ne me l’a jamais dit mais il avait d’un côté une épouse qui travaillait, qui rentrait, qui sortait, il y a eu un moment d’adaptation qui a été dur pour lui aussi.
Mon mari est rentré dans un cadre de vie normal quand il a enfin pu toucher sa retraite, parce que là il a eu la reconnaissance du travail qu’il avait fait, de toutes ses années de cotisation.

H. - Le fait que votre mari ait perdu une partie de ses capacités, cela a-t-il transformé le regard que vous portiez sur lui ? Est-ce que vous l’avez vu autrement ?

M-C.O. - Oui je l’ai vu autrement dans le sens où des fois, moi je me disais : "Mon dieu ! Il reste là à la maison tout seul comme ça... c’est pas bien...". Je pense que mon regard a changé mais ce n’était pas le plus important, je pense, parce que bon physiquement, il y a quelques trucs qu’il ne peut pas faire. Par exemple on a dà » laisser tomber les randonnées, marcher avec des amis, ça on ne peut pas parce qu’il se fatigue beaucoup. J’aimerais qu’il fasse un effort. Alors c’est vrai que des fois on s’accroche un peu pour ça.

H. - Et le fait qu’il y ait eu son entourage, est-ce que ça lui a permis de mieux vivre cette situation ?

M-C.O. - De mon regard, oui c’est certain, parce que vous avez déjà tout le côté matériel qui n’est pas important. Il a eu le chômage, ce n’était pas très important mais ça compensait avec mon salaire, moi j’avais quand même pas mal de primes tout ça... On a dà » faire des sacrifices, mais on a continué à payer notre loyer, à payer nos impôts, à ne pas avoir de dettes. Je pense que ça a dà » avoir une importance très grande d’être adoré, d’avoir ses enfants qui viennent le voir. Mais vous savez, après quand vous êtes un peu dans ce cercle "confiné", que vous n’êtes plus tenu à vous réveiller et à aller travailler, tout ça, c’est sà »r que vous vous laissez vite entraîner. Qui plus est, mon mari a eu une grave dépression nerveuse suite à ça.

Jacques Oliver. - Ça m’a tout coupé, moralement surtout, parce que j’avais perdu tous les repères que j’avais. Tous les jours, je travaillais, le samedi, j’allais plonger, c’était un rythme que j’avais fait et que ma femme avait accepté. Quand je sortais de l’eau, j’arrivais sur le quai, je l’appelais pour lui dire que je n’étais pas noyé, donc tout marchait bien. Et du jour où j’ai eu cet accident, que j’ai perdu tous les collègues ça m’a tout coupé. C’est cette vie sociale que j’ai perdue et ça, ça m’a fait beaucoup de mal.

H. - Justement est-ce que vous en parliez avec des personnes de votre entourage de vos difficultés et de ses difficultés ?

M-C.O. - Oui, j’en parlais avec mon amie d’enfance. Elle, je lui en parlais parce que des fois il était très pénible à vivre. Tout ce qu’il vivait il fallait qu’il y ait un tampon pour le prendre et c’était nous le tampon, ses enfants et moi. C’est vrai qu’il a changé depuis cet accident, c’est quand même plus le même. Mais bon j’étais bien entourée, j’avais mes amis... et puis quand il y avait du trop plein, je l’envoyais balader, je me disputais un bon coup et puis tout rentrait dans l’ordre.

H. - C’est un moment qui a mis en péril votre couple ?

M-C.O. - Il y avait des moments, oui quand même. Mais lui, alors là , il s’en rendait compte et après ça s’arrangeait. Peut-être qu’un couple de jeunes, je ne sais pas s’ils auraient pu tenir, parce qu’ils sont moins volontaires que nous, dans ce sens de préserver quelque chose. Puis j’avais quand même mon travail.

H. - Le travail vous a permis de vous réfugier et de penser à autre chose ?

M-C.O. - Je pense. Et puis ce besoin de créer des choses... je suis sà »r que s’il n’avait pas eu l’accident, il n’aurait pas eu besoin de se créer des repères comme il dit. On n’a pas besoin de repères, les repères ils viennent seuls, c’est votre vie qui fait vos repères. Et ce besoin qu’il a, je pense que ça vient de cet accident. Moi quand je suis parti à la retraite, j’avais très peur justement de ne plus avoir de repères et je me suis aperçue que ce n’est pas moi qui les ai créés, ils sont venus à moi et je me suis adaptée à eux. C’est son accident, son handicap qui a créé ce nouvel environnement. Si pour une raison ou une autre, je n’avais pas travaillé, je pense que pour lui, psychologiquement, il n’aurait pas fait ça parce qu’il aurait été entouré, et les repères, il les aurait fait avec moi, il se serait adapté d’une autre façon.

H. - Qu’est-ce qui vous a permis à vous de surmonter ces événements ?

M-C.O. - Ce qui m’a permis de continuer, ce sont mes enfants qui étaient avec nous, mon travail et puis le fait que moi j’ai peur de la maladie. Quand on vous fait une arthrodèse à la cheville, ça vous embête, c’est un handicap important mais vous êtes vivant. Je me disais toujours : "Il aurait pu être mort." C’est grave pour lui mais pour moi ça l’était moins parce qu’il était là , il n’avait pas une maladie incurable. Ce qui a été très dur pour nous c’est, chaque fois qu’on nous disait : "Il faut faire une opération qui va arranger..." Et puis elle arrangeait pas. Puis après il y a eu l’opération, la dernière pour lui enlever les douleurs et pour lui permettre de marcher : l’arthrodèse. Vous écoutez, vous vous documentez. À cette époque-là , il n’y avait pas Internet, alors on avait des avis qui disaient qu’on ne pouvait rien faire avec une arthrodèse, on allait un peu sur les bouquins où les médecins chirurgiens disaient : " Mais avec une arthrodèse, il y a beaucoup de choses que vous ne pouvez pas faire, mais quand même vous ne boitez pas, à traîner une jambe...". Et finalement ça lui a enlevé une partie des douleurs jusqu’à un certain point, après ça a été le côté dépressif qui a été très dur à gérer.

H. - Et avec le recul, quel sentiment vous éprouvez sur cet accident et sur les répercussions que cela a engendré sur votre couple et sur votre vie en général ?

M-C.O. - Je me dis que quand même il y a eu 15 ans de vie qui auraient pu être différentes ou pas, parce que c’est un handicap. Il y a la souffrance physique et il y a surtout la souffrance morale. Il a perdu totalement pied. Autant je l’ai vu se battre les années où il y avait l’intervention chirurgicale, on se disait : "Ça va aller, ça va aller, la prochaine c’est bon, c’est bon...", autant, je l’ai vu qu’il perdait pied au fur et à mesure qu’on lui disait : "Là ce n’est pas bon...". Il lui ont coupé l’os et ils lui ont mis l’os d’un cadavre et lui c’était un donneur de sang et de plaquettes, on lui a enlevé ça aussi. Ça, ça l’a beaucoup marqué. Vous voyez, il s’est senti au fur et à mesure dévalorisé, jusqu’au moment où il a lâché prise. Il était fier de donner des plaquettes pour les enfants, il y allait régulièrement, et puis un jour on lui a dit : "On vous a fait une greffe d’os, vous ne pouvez plus donner des plaquettes parce que c’est interdit par la loi." C’est encore quelque chose qu’on lui a enlevé petit à petit. Moi je relativisais, j’avais mes amies, quand j’avais un coup de nerfs ou de blues, je l’expliquais à mon amie d’enfance Patricia qui a été très présente, ça faisait une soupape.
Peut-être que maintenant je vous parle comme ça, parce que c’est passé, peut-être qu’il y a 15 ans je ne vous aurais pas dit la même chose, ou il y a 10 ans je n’aurais pas dit pareil, parce que c’est vrai que le temps apaise beaucoup de choses. Je me dis que dans l’ensemble, on s’en est pas trop mal sortis. On croyait que tout était plus ou moins calmé, le fait qu’il ait sa retraite et tout, et puis non.

H. - Et quel conseil vous donneriez au conjoint d’une personne qui vient d’avoir un accident ?

M-C.O. - Le conseil que je donne, c’est de réorganiser sa vie en fonction des éléments qu’on a sur le moment. Après vous avez un choix entre le souci de la personne que vous voyez, et vous vous dites : "Mon dieu, le pauvre ! Il est handicapé. Mon Dieu, le pauvre ! Tout ce qui lui arrive...". Vous avez de la peine et vous avez envie de le plaindre. Et d’un autre côté, vous avez envie de dire : "Si je le plains, il ne va pas se battre." Voilà , là c’est dur, parce que vous ne savez pas quel choix faire. Il y a des moments où il était complètement replié sur son handicap, sur son problème et c’est là qu’il fallait le secouer et il fallait dire : "Mais arrête de penser à toi. Regarde, il y a des enfants qui meurent et tout..." Seulement il faut savoir doser, parce qu’il y a eu des fois où je l’ai fait et le résultat c’est qu’au lieu de le secouer, il se laissait complètement aller. Après il faut gérer quelqu’un qui a une dépression.

H. Je vous remercie.

M-C.O. - Je vous en prie.

Propos recueillis par Yoann Mattei

Notes

[1Une arthrodèse est une intervention chirurgicale destinée à bloquer une articulation lésée par l’obtention d’une fusion osseuse (en général de l’extrémité des os) dans le but de corriger une déformation ou d’obtenir l’indolence. C’est souvent une opération non réversible.


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