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Sexuation masculine

En avril découvre la diversité des profils...

En ce début de printemps qui éveille les sens et accorde les cœurs au diapason de la nature, espérons qu’il émousse nos défenses conditionnées de représentations sociales et nos défiances envers l’autre, le genre opposé, perçu différent, le genre sexuel divergent, ou diffus...
HandiMarseille, fidèle à sa dynamique, ouvre des pistes de réflexion sur les versants de la multiplicité des espèces, en jetant des passerelles pour la rencontre des genres, afin qu’ils expriment leur vision singulière dans la diversité plurielle des êtres, sans les restreindre à leur rôle biologique ni les réduire à des archétypes sociologiques immuables, dans lesquels on a encore tendance à les enfermer pour se rassurer.

Après l’honneur aux dames, en mars, ce mois-ci nous abordons la sexuation masculine. C’est le genre sexué, distingué par le chromosome Y qui détermine en biologie le mâle.
Mais qu’en est-il de la sexuation pour l’homme en situation de handicap ? Comment se construit sa masculinité dans une société validocratique, conçue et organisée par et pour les valides ? En effet, on constate trop souvent encore que notre communauté nourrit des préjugés et des stéréotypes envers certains de ses membres, auxquels elle ne peut s’identifier, ou qu’elle ne peut classifier ni appréhender de façon rassurante et catégorique.

Ainsi l’individu de sexe masculin, et a fortiori l’homme en situation de handicap, peut-il se construire ou se réinventer hors du mimétisme idéologique de la virilité ? Idéologie formatée et instituée dans une communauté d’image surévaluant le pouvoir masculin... Archaà¯que dominance masculine, qui a marqué l’histoire du sceau de l’infamie et de l’intolérance, aboutissant à la folie meurtrière à l’encontre de millions d’innocents. Aujourd’hui, imperceptible et camouflée sous d’autres formes plus larvées, cette doctrine idéologique de la force brute et machiste a subsisté, d’où des relents dans certains discours élitistes où "la raison du plus fort (du plus riche) est toujours la meilleure", où tous les va-t-en guerre de tous poils paradent en drapeau dans la démagogie patriotique en abusant les faibles, les démunis de ne pas se laisser abuser par la détresse et l’urgente nécessité vitale de tous ceux qui sont encore plus faibles, plus démunis... D’humaines et néfastes répercussions sans fin, d’intolérance et d’absence de bienveillance pour notre semblable, font toujours le jeu du malheur. Ces effluves surannées du culte phallocrate passéiste et mythifié se sont imprégnées dans le paysage social, puis ont été accentuées par les médias à l’esthétique télégénique aseptisée, vantant des valeurs du commerce tel le pouvoir d’achat, ciblant la jeunesse consumériste (et autres victimes de la mode), imposant le concept de "œjeunisme" et du mercantile ravalement de façade, culte de la forme et de l’aspect physique éternellement jeune et beau ; chirurgicale illusion contre les individus à l’apparence faible, fragile, ou considérés comme vulnérables, tels les femmes, les homosexuels, les minorités de genre indéfini, puis étendue aux personnes invalides ou âgées qui se sentent rejetées et recluses dans l’uniformité d’une catégorie sociale inférieure et dépréciée. Comme si notre culture n’avait pas réussi à se dépouiller de son état de nature primaire, où le pouvoir absolu du mâle dominant fait force de loi. Avons-nous (les mecs !) vraiment dépassé ce comportement primitif, cet instinct dominant observé chez beaucoup d’espèces animales ?

Avec les tendances narcissiques actuelles qui résultent de la nouvelle croyance dans la religion cathodique qui sacralise les canons imposés par les modes pourtant changeantes et éphémères, les personnes en situation de handicap contreviennent aux images de féminité, de virilité, de séduction que notre culture chérit. Et elles ne trouveront jamais leur place tant que l"™on tiendra comme condition du bonheur la nécessité d"™être jeune, beau, performant et en bonne santé, bref : c’est le sacerdotal esprit sain dans un corps sain. Pour la majorité de la population, le handicap implique au contraire de mener une existence morne, inactive, solitaire et renfermée. Échapper à ce misérabilisme requiert des qualités particulièrement exceptionnelles. « Nous devons toujours être un peu meilleur, pour être simplement égal aux autres » raconte l’auteur Charles Gardou, dans son livre "Le handicap par ceux qui le vivent".

Les attributs de la virilité dans notre culture

Force, courage, performance, honneur, etc. : si ces attributs de la virilité, qu’ils soient physiques ou moraux, semblent immuables, c’est qu’à l’évidence ils forment une image qui imprègne toute la culture occidentale. Mais quand ce stéréotype est-il né ? Comment a-t-il évolué ? Quels objectifs politiques et sociaux sert-il ?
Pour la première fois, Georges Mosse, un grand historien, aborde ces questions de front. Depuis leur origine, qu’il situe au XVIIIe siècle, quand la bourgeoisie adapta l’idéal chevaleresque à son usage, il analyse les avatars du "œvrai homme" : le duelliste, le soldat, le gymnaste, le scout, l’aventurier, le "œnouvel homme" fasciste...
Valorisé tour à tour par les conservateurs, les nationalistes, les nazis, les communistes, l’idéal viril s’est renforcé en s’inventant des "contretypes" fantasmatiques : le Juif, l’efféminé, l’hystérique...
Mais il fut ébranlé après la dernière guerre par les mouvements de libération des femmes et des homosexuels, par les nouveaux idéaux de la jeunesse. Cette "œimage de l’homme" peut-elle vaciller ? De toute évidence, derrière les mouvements féministes et démocratiques, les transformations et les mutations sociétales, le sexe prétendu "œfort" , le genre masculin doit, en dernier ressort, s’adapter à l’évolution des mentalités et se trouve dans la nécessité de réformer son mâle comportement, afin de s’harmoniser à la modernité des attentes de partage et de désir mutuel de la femme actuelle.

Héritage du modèle masculin

La virilité appartient au domaine des constructions sociales. La construction de la masculinité ou de la féminité est le résultat de mécanismes de construction et de reproduction sociale : les normes s"™appliquant au comportement masculin ont évolué depuis le début du XVIIIe siècle. Selon l"™historien Georges Mosse, l"™idéal viril s"™est fixé à la fin du XVIIIe siècle. L"™homme se devait d"™incarner qualités physiques et morales, sens de l’honneur, courage et volonté de domination, d"™où l"™image du soldat et de l"™aventurier qui en découleront. Ce stéréotype de l"™homme s"™est doté de contretypes qui furent, entre autres, l"™homosexuel, l’androgyne.

Actuellement nous assistons à l"™érosion du modèle viril. Cette crise de la virilité doit être située dans la question du genre et de l"™identité. Elle serait liée à l"™évolution des valeurs portée par les courants féministes et gays qui remettent en cause ce modèle classique de virilité.
Est-ce que l’homme moderne peut, sans se départir de ses qualités intrinsèques masculines, avancer main dans la main avec la femme vers un nouvel horizon de relations équilibrées et d’osmose du couple ? Pour cela il faudra que chacun accepte l’autre moitié comme altérité, en contribuant à de nouvelles bases de solidarité et de respect, sans se réfugier derrière des acquis inégaux de posture sociale et des habitudes éducatives sclérosées paternalistes. Ne sont-ce pas ces places hiérarchisées et ces rôles préétablis qui dégradent le désir de fusion de deux âmes, et faussent les rapports par lesquels chaque genre se trouve cloisonné à sa place ? L’amour et l’harmonie sexuelle s’épanouissent par la découverte de la singularité et l’ouverture enrichissante de l’intangible et du mystère. Ce désir sincère d’union réciproque de deux identités se crée et se construit sur le terrain de l’improvisation et de l’incertain, et non sur une possession définitive, ni contractuelle ni déterminée à chaque sexe.

À quand la libération masculine ?

Après la libération féminine voulant se défaire des oripeaux d’une société conservatrice maintenant les femmes dans le rôle unique de mère et subordonnée au mari par la tradition sociale et religieuse de dominance masculine, n’est-il pas temps pour l’homme de se libérer à son tour de ce vieux carcan caricatural, et du beau rôle qu’il s’est attribué depuis longtemps ? Cette primitive conception de déterminisme et de hiérarchie des genres dans laquelle s’est enfermé le sexe masculin, en s’affublant de signes ostentatoires du genre dominant, social et politique, a fait vaciller le monde vers d’insupportables gouffres d’intolérance idéologique et d’abomination criminelle, inscrites en rouge sang dans l’histoire humaine. Ce conditionnement du besoin de domination d’autrui, l’autre genre, l’autre sexe, camouflé sous des théories rassurantes et iniques nous aveugle et nous empêche de grandir ensemble et d’évoluer par le métissage des idées et le foisonnement culturel. Pour se rapprocher de la pluralité des formes, sans les masques et les rituels communautaires, afin de se connaître pour mieux s’apprécier, en s’enrichissant des différences, des particularités de chacun, au-delà des apparences et des a priori visuels et discriminatoires qui nous rendent antagonistes et nous font agoniser dans la méfiance et l’isolement des uns envers les autres...
Le virilisme observable chez certains jeunes des quartiers populaires peut être analysé comme une stratégie de défense collective en réponse à la peur du chômage, du racisme, à l"™état de non-droit, à la souffrance de ne pouvoir exhiber d"™autres attributs de la virilité. Il s"™inscrit plus généralement dans une société de domination masculine, qui conforte ce repli "œviriliste" . L’ignorance révisionniste et les mystifications superstitieuses historiques permettent tous les mensonges et les égarements idéologiques et sociaux que porte le genre humain, et le sexe masculin, en particulier, vu que c’est lui qui a écrit et récrit l’histoire à sa guise. Ainsi, dans la Genèse judéo-chrétienne, il est dit que c’est Eve, symbolisant la première femme qui porte la responsabilité de la faute originelle : manipulation traditionnelle masculine de la croyance mise en pratique misogyne aliénante de la place et du quotidien des femmes dans le monde. Le monde est masculin, dans les chiffres même, on a le numéro 1 pour l’homme et le 2 pour la femme, un détail qui en dit long.

"SPORT ET VIRILISME" (Fréd Baillette et Phil Liotard)

Récemment, on a pu assister à la télévision aux Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver à Vancouver, compétition sportive internationale où est représenté le triomphe de la force, de l’adresse, de la puissance et de la testostérone, qui sont autant d’attributs de la masculinité. Célébration du spectacle sportif valorisant la masculinité en action, avec la prégnance du modèle de la virilité et de la performance culturellement dominant. C’est la culture idéologique de l’homme fort, le mâle dominant, genre déterminé des héros d’antan, glorifiés et acclamés, tels les dieux du stade, encensés et mis en scène par les télévisions mondiales qui nous imposent des modèles de référence du surhomme, type accompli, victorieux de ses concurrents, qui eux sont les malheureux perdants, déchus et hués par un public voulant s’identifier à son champion. À l’image du sportif qui se dépasse (et parfois même trépasse), le héros exemplaire, avec sang-froid et détermination, fait des émules parmi les jeunes garçons voulant lui ressembler afin qu’à leur tour ils deviennent les élites triomphantes, se voyant riches et célèbres, en pérennisant l’esprit de concurrence et de glorification de la puissance virile et du pouvoir galvanisant des hormones mâles imposant leur domination au monde, dans une quête frénétique de dépassement, de succès, de reconnaissance mondiale.

Ainsi Baillette et Liotard (1999) proposent dans leur ouvrage Sport et virilisme un ensemble d"™analyses visant à questionner la fonction des pratiques sportives dans la construction de la masculinité. Ils entendent par virilisme l"™idéologie de la virilité, entendue comme le caractère de ce qui établit, accrédite, propage et renforce l"™idée d"™une supériorité des hommes sur les femmes, mais aussi des hommes en bonne santé sur les hommes handicapés.
Lors de cette compétition, on a pu observer au passage la hiérarchie de valeur et d’intérêt dans la durée de transmission télévisuelle consacrée aux uns (la majorité perçue comme bien-portante) aux dépens de ceux qu’on devrait pourtant admirer, pour leur volonté, leur vitalité, et du fait qu’en dépit de leur handicap, ils effectuent de véritables performances sportives et d’inventivité, validant des records et pulvérisant les pronostics normalement attendus. Ces sportifs pourraient-ils altérer l’opinion caricaturale et faire douter de la toute-puissance idéologique et symptomatique du grandiloquent "œesprit sain dans un corps sain" ? Mais ce bien-portant est souvent prêt à zapper, dès qu’il voit un corps qui ne correspond pas à l’image d’Épinal rassurante, car statuaire conforme sous tous les angles à ses critères de conditionnement social stéréotypé.

Comment l’homme en situation de handicap peut-il affirmer sa masculinité ?

Les codes de la masculinité impliquent donc que les hommes doivent être indépendants, autonomes et puissants, ce qui semble, à première vue, en contradiction avec l’homme en situation de handicap, et provoque par conséquent chez lui le complexe de virilité ou de masculinité.
On ne peut aller à la rencontre de la personne souffrant de déficience dans une perspective d"™égalité, si on l’appréhende sous les seuls aspects du misérable ou du héros. D’autant que chaque handicap ne peut en aucun cas révéler de façon globale l’identité ou la complexité de celui qui l’a subi à la naissance ou après, lors d’un accident. Ni l"™utiliser seulement pour se rassurer sur son sort, en utilisant le handicap comme miroir déformant de nos propres angoisses...
On constate ici que les passerelles avec le monde des valides font encore trop largement défaut. L’ignorance engendre la peur, qui à son tour engendre l’intolérance, et ses désastreuses conséquences pour le bien-être de tous...

Dans une société de culture masculine, l’image caricaturale de la masculinité se traduit au cinéma dans des films d’action, par un archétype viril, un héros qui va sauver le monde (James Bond et consorts musclés). C’est un cliché qui fait encore recette, et des émules. Pourtant, petit à petit, à la suite de l’évolution des romans modernes, reflétant une volonté de changement des mentalités de la société actuelle, l’homme contemporain ne veut plus s’identifier à un genre de super-héros, à un personnage principal, "œsans peur ni reproche" , cliché de l’homme parfait, protecteur et bourreau des cœurs de ces dames en pâmoison, mais loin de la réalité dans sa complexe diversité. De plus en plus (grâce aux combats d’émancipation féminine et de reconnaissance homosexuelle), les garçons actuels peuvent s’identifier à une sorte d’anti-héros, un type bancal mais complexe, perfectible mais pas parfait, un genre ambigu, voire inadapté social, un style marginal avec ses failles et sa vulnérabilité, dont on suivra les mésaventures ou les tribulations d’un quotidien plus prosaà¯que et aux contingences plus proches du réel. Par opposition, certains personnages fictifs ont un handicap, tel Daredevil, super-héros qui, étant aveugle, développe ses autres sens pour combattre le crime et l’aveuglement des bien-voyants. Et bien avant, on se souvient de Victor Hugo et de son personnage Quasimodo : son émouvante sensibilité révélant son externe difformité, dans un monde grégaire religieux et arrogant sans éthique.
Et il en existe quelques autres, peut-être moins caricaturaux, auxquels chacun peut s’identifier. Ce personnage trisomique dans Le Huitième Jour nous montre un acteur attachant et sorti des clichés, mais reste encore trop isolé et un peu exceptionnel au cinéma. Willow est un personnage de taille non conventionnelle mais plein de courage dans son évolution, ou Oscar, le personnage refusant de grandir, du film Le Tambour, où on voit des personnes de petite taille, affrontant la "normalité" des géants et des bien-portants. Ces rares films ou romans (Rain man ou Le monde selon Garp...) permettent de nous ouvrir à la différence et d’appréhender une vision et des points de vue singuliers et non conventionnels, qui nous enrichissent par leur surprenante nouveauté pour défricher l’étendu de l’esprit humain...
Cela permet aussi d’alléger cette tension, cette obligation masculine au regard du corps social, subi par le garçon valide et plus encore s’il ne l’est pas, de se comporter de la manière dont on l’attend d’un "œvrai mec" , sans plainte, ni pleur...

L’amour-propre

L’homme qui a vécu le traumatisme du handicap, piégé par les stéréotypes de notre société, revit celui de se sentir ignoré, bafoué, face à la normalité d’autrui ou à l’objet de son désir, devant celui ou celle pour qui il ressent une attirance. La perte de son intégrité physique le rend moins confiant dans sa virilité et dans sa capacité à séduire. L’absence de considération et de reconnaissance sociale accentuent le manque de confiance en soi et empêchent souvent la rencontre avec l’autre, l’être aimé.
Dans le cas d’un handicap physique, l’homme se sent parfois diminué dans sa virilité. Dans le cas d’un handicap mental, ce sentiment peut être encore amplifié. Enfin, l’étiquette de "personne handicapée" réduit souvent l’identité-même de "personne sexuée". Les mots révèlent les maux, lorsque par exemple, on appelle un homme ou une femme en situation de handicap, "un handicapé", on les réduit à une seule catégorie, sans nuance de genre, ni de la spécificité de chaque handicap. Comme le souligne Simone SAUSSE (1996), il existe chez nous des toilettes pour les hommes, pour les femmes et pour les personnes handicapées, comme si ces dernières étaient dénuées de toute identité sexuelle.

Le sentiment de dépréciation, de honte et de culpabilité : tout cela va établir la dévalorisation de la personne handicapée et la disqualifier sexuellement.
L’image de ce corps défaillant et incontrôlable est une atteinte narcissique tout aussi importante que la blessure physique.

La différence est donc bien réelle pour la personne invalide, mais le désir de vivre sa sexualité et sa vie affective n’en est pas minimisé (au contraire, certaines personnes handicapées voient le mariage ou la vie en couple comme un moyen de s’épanouir mais aussi de se "normaliser", de se prouver leur valeur). Sans compter que souvent, un sens atrophié permet l’acuité des autres sens.

Dans notre dossier, HandiMarseille s’est intéressé au parcours de Christophe, ancien motard qui a perdu l’usage de son bras lors d’un accident de moto. Il veut nous démontrer que cet accident qui l’empêche désormais de pratiquer sa passion de la mécanique, lui a permis en revanche de devenir plus attentif à la femme, vers une relation plus stable, sans se sentir moins viril, ni d’exprimer ses sentiments de mec indépendant qui refuse qu’on fasse les choses à sa place, même si l’on perçoit, entre les lignes, la fierté toute masculine d’un être entier qui refuse l’apitoiement et la condescendance des regards extérieurs.
On peut inférer, dans les cas de l’homme handicapé, que celui-ci brise en quelque sorte une norme esthétique ; mais c’est oublier qu’il peut, dans la plupart des cas, en plus de ses compétences intellectuelles, répondre aux normes génitales.

Avec la majorité auto-proclamée "œnormalement constituée" , aveuglée par le désir d’une perfection illusoire, car relative et subjective, dans laquelle le profil idéalisé et arrêté de l’homme en société est affublé du statut contraignant d’une caricature de mâle dominant et performant, un genre qui doit dissimuler ses failles et sa vulnérabilité à l’environnement social... Car sinon, malheur au faible, à celui ou celle qui, invalide, marginalisé et trop éloigné de la forme péremptoire du modèle normé et valorisé par les médias (pub/sport), se sentira rejeté et exclu de la communauté validocratique, et ses indicibles masques d’apparat et de façade sociale...

LE REGARD DES AUTRES

Le plus souvent, la personne handicapée ne suscite pas des regards de convoitise.
Au lieu d’avoir le goà »t de la séduire, on a des réactions de répulsion et de rejet. L’homme handicapé représente en quelque sorte tout ce qu’il ne faut pas posséder et ne représente pas la virilité, l’argent et le pouvoir. Il ne sont ou ne se sentent en somme au regard des autres que représentation de "œl’anti-désir" et de "œtue-l’amour" . Ainsi la personne handicapée arrive à penser qu’elle n’est pas faite pour l’amour : son corps lui déplaît et déplaît aux autres.

Dans un bien singulier contexte en citant une tirade de Richard III, un personnage difforme de Shakespeare : "Moi qui ne suis pas formé pour les galants ébats ni fait pour courtiser la luxure au miroir, moi le mal équarri à qui la majesté de l’amour fait défaut pour m’aller pavaner devant une nymphe... moi qui suis amputé des charmes corporels ...difforme, inachevé, dépêché avant terme en ce monde où on respire, à peine mi-bâti et de si boiteuse et déplaisante manière que les chiens aboient quand je claudique près d’eux ...eh bien dès lors je suis résolu de m’avérer un scélérat et d’exécrer leurs vaines amusettes".

Les personnes en situation de handicap souffraient très fréquemment d"™un déficit d"™image. Tant pour des raisons culturelles qu"™institutionnelles, leur condition de personnes stigmatisées ou de mineurs à vie a contribué à négliger leur image personnelle. Celle-ci était alors le reflet de leur exclusion sociale, comme dans les hôpitaux psychiatriques où des patients demeuraient parfois en pyjama tout au long des journées"¦ Depuis quelques années, émerge une prise de conscience de l"™importance du look dans les interactions sociales, et par conséquent du rôle de l"™image de soi dans la possibilité ou non de "œparticiper socialement" , ce qui reste le but ultime de toute action sociale ou médico-sociale.

Toute forme de discrimination est insupportable, plus encore quand la discrimination se fait sur la forme, l’aspect extérieur, en ignorant la profondeur, l’étendue de l’être et ses multiples capacités sensitives, cognitives, spirituelles, etc... qui déterminent l’individu humain dans sa complexité, au-delà des genres et des catégories. On oublie l"™humanité de l"™autre en le réduisant à son étrange apparence physique. Pourtant, notre statut est frappé au coin de la fragilité : l"™aventure de la vie est marquée par le prodige de l"™éclosion, mais tout autant par le spectre du flétrissement. « Un rien suffit pour exclure du cercle ordinaire de la société : une taille un peu au-dessous ou au-dessus de la moyenne, une difformité affectant telle ou telle partie du corps, une mutilation, une couleur de peau, d"™yeux ou de cheveux distincte de celles des autres, une voix trop haut perchée ou bégayante ou mal audible. » [1]
Un étonnement qui vire alors à l"™amusement puis à la moquerie ou à un léger dégoà »t, qui à son tour se transforme en répulsion, voire en agacement. Dès lors, l"™allergie n"™est pas loin, qui peut se muer en intolérance. Alors même que ces normes qui nous font l"™écarter sont tout à fait aléatoires : tolérées ou encensées aujourd"™hui, elles peuvent s"™avérer dépassées ou condamnées demain. Pour d"™autres encore, il s"™agit d"™une révolte contre une société hantée par la vitesse, la compétition acharnée de la normalité, la vaine performance, l"™impatience. Et de s"™inscrire ici dans un mouvement de contre-culture face à la puissance bruyamment célébrée. Tels les nombreux mouvements et associations qui revendiquent et célèbrent leur vision d’un monde de partage et de libre rencontre de tous les types, aux couleurs d’arc-en-ciel.
En un temps où il est mal vu d"™apparaître fragile, cherchons la connivence avec la déchirure des êtres et du monde et à faire le deuil d"™une irréelle perfection. Nous procédons tous du même patrimoine et de la même histoire et nous sommes marqués d"™une commune humanité faite de dépendance, de précarité, de provisoire, d"™indéterminée, d"™évanescence et d"™inachevé.

En principe et selon les lois démocratiques, nous sommes tous frères en humanité, et l"™imperfection est délégataire d"™une partie de la nature de notre espèce.
C’est pourquoi l’auteur C. Gardou dans son livre avance l’idée par laquelle nous concluons cet article : "Il n"™y a pas d"™être handicapés". Il y a seulement des êtres inassimilables les uns aux autres et irréductibles à un seul signifiant. À considérer leurs acquisitions instrumentales, leurs habiletés motrices, leur niveau de raisonnement, le développement de leurs fonctions langagières, communicatives, sociales ou affectives, on ne repère pas davantage de similitudes entre personnes porteuses de handicap qu"™entre celles qui n"™en ont pas : la variabilité constitue leur seul point commun. Mais, ces capacités originales sont occultées au profit de comparaisons ou de classifications hasardeuses, leur personnalité étant éludée par une identité collective réduite à quelques traits saillants ou caricaturaux. Experts en humanité, les blessés de la vie n"™affirment pas leur place par leur esthétique extérieure, ni par le vernis de leur paraître ou une gloire illusoire et évanescente. Ce qu"™ils nous apportent c"™est le reflet d"™une expérience qui les a contraints à se dépasser et à ouvrir d"™autres horizons, d"™autres dimensions de l"™être et d"™autres manières d"™être. Ceux qui par chance jouissent de ce qui fait défaut à d"™autres ne disposent là que d"™un bien éphémère dont ils peuvent être privés, à tout instant. Il faut faire le pari que les hommes peuvent vivre leur confrontation, sans que l"™exigence d"™uniformité ne fasse réputer déviant ce qui n"™est que différence. Cela nécessite d"™établir des principes de vie neuve, pour et à partir des plus vulnérables.

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Notes

[1in "Au nom de la fragilité", sous la direction de Charles Gardou, 2009


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